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  • Exposer l'humanité. Race, ethnologie et empire en France (1850-1950) by Alice L. Conklin
  • Claire Fredj
Alice L. CONKLIN, Exposer l'humanité. Race, ethnologie et empire en France (1850-1950), Paris, Publications scientifiques du Muséum national d'histoire naturelle, « Archives », 2015, 540 p. Préface de Tzvetan Todorov.

Dans cet ouvrage initialement publié en anglais en 2013 9, Alice L. Conklin, spécialiste états-unienne de l'empire colonial français, ne s'intéresse pas directement aux colonies, mais à la manière dont les sciences de l'homme ont évolué en France ainsi qu'à la part de l'empire dans ce processus. Elle donne une étude intellectuelle, sociale, matérielle et politique de ces sciences dont l'histoire ambiguë se reflète dans la dénomination des disciplines qui lui sont associées : l'anthropologie et sa dissidence, porteuse d'une autre approche de l'humain, l'ethnologie.

Les deux premiers chapitres exposent avec précision la manière dont, dans la France de la seconde moitié du XIXe siècle, l'anthropologie naît de l'ambition de fonder une « science générale de l'homme ». Comme dans le reste de l'Europe et aux États-Unis, des médecins et des naturalistes commencent à recueillir et comparer des informations sur les peuples, classés selon leur degré de développement. La « race » correspond alors à un niveau civilisationnel. À Paris, l'anthropologie s'organise comme discipline savante autour de deux pôles : l'Institut anthropologique que Paul Broca met en place après la création de la Société d'anthropologie de Paris en 1859 et celle de l'École d'anthropologie en 1876 ; le Muséum d'histoire naturelle où le naturaliste Armand de Quatrefages inaugure en 1855 une chaire d'anatomie et d'histoire naturelle de l'homme, rebaptisée chaire d'anthropologie un an plus tard. Broca établit la raciologie, fondée sur des mesures anthropométriques qui se concentrent particulièrement sur la mesure des crânes humains et de leurs capacités cérébrales, établissant une corrélation entre traits physiques du cerveau et intelligence, qui serait en correspondance avec la race. L'anthropologie de Quatrefages, moins biologique, cherche aussi à mesurer les influences environnementales qui façonnent les variétés humaines, ce qui l'amène à s'intéresser aux objets culturels. Ce paysage est complété en 1879 par la création au palais du Trocadéro du Musée national d'ethnographie, dont la direction est confiée à Ernest-Théodore Hamy, qui cherche à en faire non seulement un lieu d'exposition mais également un laboratoire de recherche et d'enseignement. Il identifie, organise, archive les collections tout en initiant une pratique de collecte.

L'école française d'anthropologie se caractérise surtout par les mesures, dont l'inflation prête à confusion et oriente vers l'étude d'autres traits morphologiques. La « mise en évidence » de types physiques va de pair avec leur politisation à la fin du XIXe siècle, autour d'anthropologues comme Georges Vacher de Lapouge ou de vulgarisateurs comme Édouard Drumont. L'utilisation politique de la science lors de l'affaire Dreyfus fait réagir un groupe conduit par Émile Durkheim, pour qui c'est la société qui façonne les individus, les caractéristiques d'un groupe ne pouvant être attribuées exclusivement à la race.

Par ailleurs, de plus en plus de chercheurs sont convaincus, au tournant des XIXe et XXe siècles, que la mesure physique n'est pas la seule base pour identifier la « race » qui, sans être rejetée, ne permet pas pour autant de déterminer les aptitudes d'un groupe humain. Au début du XXe siècle, le renouveau de la « science de l'humanité » passe par la collaboration de deux hommes, Marcel Mauss, un des pères de la « science de la société », et Paul Rivet, un médecin militaire. Ce dernier a commencé à se passionner pour la collecte de matériaux anthropologiques, archéologiques, [End Page 197] ethnographiques et linguistiques au cours d'une mission en Équateur. Il obtiendra en 1928 la chaire du Mus...

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