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  • Genèse d’une écriture
  • Thérèse Kuoh Moukoury (bio)

Introduction

Les peuples de l'Afrique ancienne possédaient essentiellement des littératures orales. Avec l'introduction de l'écriture ils ont progressivement évolué vers les « sociétés d'écriture ». Prenant conscience d'elles-mêmes, les femmes ont pris place aujourd'hui dans l'histoire littéraire de leurs pays, car « L'histoire commence au moment où l'homme réussit à se raconter à sa postérité. Il faut donc pour cela qu'il ait les moyens capables de porter son langage » (Mveng 23).

Partie prenante d'une enquête portant sur les « Lettres Camerounaises », notre contribution ici propose un panorama de la genèse de l'écriture féminine au Cameroun. Dans cette aventure, l'école fut une étape décisive parce que porteuse à la fois d'une langue nouvelle mais aussi des valeurs et savoirs nouveaux.

Ecole: Véhicule d'une langue écrite et d'une culture

Pour les femmes, le passage de l'oralité à l'écriture fut un processus lent, souvent contrarié par les tabous et préjugés sociaux. Alors que l'instruction des garçons débuta dès l'arrivée des premiers missionnaires en 1843, celle des filles fut tardive. Les handicaps sur ce point restèrent longtemps liés aux traditions et coutumes, nettement plus favorables au sexe masculin: les pères préféraient instruire leurs fils et sacrifier leurs filles.

Cependant les femmes et jeunes filles avaient toujours bénéficié des encouragements des mères et des aïeules. Ainsi qu'il est écrit dans Rencontres essentielles: « Dans toutes les familles ce sont les mêmes sermons d'exhortation au courage, à la persévérance dans nos études. 'Allez plus loin que nous. Faites mieux que nous. Faites ce que nous n'avons pas pu faire' » (10).

L'apprentissage et l'utilisation d'une langue nouvelle

Pour pouvoir écrire, ces femmes avaient besoin d'une langue. Le Cameroun était alors sous le mandat de la France depuis la guerre de 1914–1918. Mais l'instruction des filles initiée par les Allemands restait confiée aux établissements confessionnels des missions protestantes et catholiques. L'enseignement était dispensé en langues du pays principalement en langue douala. On refusait aux jeunes filles l'apprentissage de langues étrangères! Alors que pour les garçons, l'enseignement en français organisé à partir de 1916 déjà, se prolongeait à l'école William Ponti à Dakar au Sénégal qui n'avait pas son équivalent en Afrique centrale désignée Afrique Equatoriale Française (AEF) en ces temps-là.

Dans ces écoles des missions, les jeunes filles ne recevaient qu'un enseignement primaire qui leur apprenaient à lire, écrire, compter. Elles avaient [End Page 24] aussi les cours de « leçons de choses » appelés par la suite sciences naturelles puis sciences de la vie. Le programme comportait évidemment, l'enseignement ménager et l'éducation religieuse. L'une des plus célèbres écoles ouvertes en 1894 était l'Ecole de Bonamuti dont la responsable de l'internat à une époque était Jacqueline « Jacobine » Ndolo Ekolo, veuve d'un pasteur protestant (Essono 42). Les jeunes filles pensionnaires et elle-même avaient composé un hymne devenu le premier écrit collectif des femmes camerounaises laissé à la postérité en français et en douala.

École de Bonamuti Esukud'a Bonamuti
École de Bona Muti Esukud'a Bonamuti
Les filles y sont groupées Ngondedi ipulisan ten
C'est l'église qui l'a créée Ebasi nde elongui moE
De ses moyens et pour nous. Na ngud'a bu onyul'asu
Nous l'aimons beaucoup, Ditondi mo jita bwambi
Pour le savoir que nous en tirons Nyola jokwa di ben no ten
Le savoir des livres et de la couture Jokwa kalatin na mbango
Et surtout pour la conduite. Sepon so nyola bedemu (Ekolo et al.)

Si des générations successives allaient, non sans frustration, se contenter de ce programme, ces femmes réclamaient néanmoins, un savoir plus élargi pour leurs filles. Le besoin de connaissance était grand et l'ignorance d'une langue occidentale telle que la langue française...

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