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  • Introduction : Abdelwahab Meddeb ou la francophonie palimpseste
  • Réda Bensmaïa (bio)

PALIMPSESTE : sub. Masc. :

A. − Manuscrit sur parchemin d'auteurs anciens que les copistes du Moyen Âge ont effacé pour le recouvrir d'un second texte. L'habileté des paléographes, pour ne rien dire de leur patience et de leur longue application, a souvent triomphé des difficultés multiples que présente la lecture des palimpsestes, surtout quand il s'agit de textes inconnus... (R. Devreese, Introd. à l'ét. des mss gr., Paris, Klincksieck, 1954, p.16).

1. Œuvre dont l'état présent peut laisser supposer et apparaître des traces de versions antérieures. Toute œuvre est un palimpseste −et si l'œuvre est réussie, le texte effacé est toujours un texte magique (Gracq, Beau tén.,1945, p.64)

(« Palimpseste »)

« Il n’y a pas de pays qui te soit plus légitime qu’un autre ; le meilleur pays est celui qui te porte. »

(Meddeb 2005 : 95)

« Et pourtant ces êtres du passé vivent en nous, au fond de nos penchants, dans le battement de notre sang. Ils sont ce geste qui ainsi remonte depuis la profondeur du temps ».

(Rainer Maria Rilke, Lettre à un jeune poète ; in Didi-Huberman 2002 : 202) [End Page 7]

Arabe – « langue morte1»

Consacrer un numéro spécial d’Expressions Maghrébines à un écrivain comme Abdelwahab Meddeb représentait d’emblée une gageure car si nous avions bien affaire à une œuvre entièrement écrite en français, rien de ce qui compose son œuvre ne vient – comme chez de nombreux écrivains francophones du Maghreb – s’inscrire sans autre forme de procès dans ce qui s’est appelé la littérature francophone. En effet, l’une des choses qui frappe le lecteur attentif à ce qui est mobilisé dans cette œuvre de polygraphe, c’est l’importance qui est donnée d’entrée de jeu – dans les travaux poétiques et dans les essais critiques – et de manière systématique, au référent littéraire et philosophique arabo-musulman. C’est cette sorte d’inclination – ou de « penchant », comme aurait dit Rilke – de l’écriture vers le français qui donne à l’œuvre la tonalité très spéciale qui la caractérise : tout se passe, chez Meddeb, comme s’il fallait en passer par le français pour qu’enfin puisse émerger ce qui, durant des siècles, avait été tu et comme tenu sous séquestre dans les cultures arabe et française. C’est sans doute cela qui a fait que la mobilisation de la langue française s’est vue octroyer par Meddeb un statut qu’elle n’avait jamais eue dans la culture francophone des pays du Maghreb : de simple relais véhiculaire d’expression, le français s’est vu transformé en un formidable outil de déchiffrement et de révélation d’un régime de pensée qui avait été l’objet d’un véritable scotome culturel et, dans certains cas, d’une véritable forclusion historique. Écrire en français pour Meddeb fût le détour qu’il fallait prendre pour avoir enfin « libre accès » à un référent – celui des cultures et de la tradition philosophique arabo-musulmane – qui, selon lui, avait été historiquement l’objet d’une double altération : celle « exogène » produite par la déculturation et l’acculturation que la colonisation avait provoqué par les effacements réglés, les ratures et les déformation des cultures autochtones des pays du Maghreb et que l’on allait présenter faussement comme leur « spécificité » : le bilinguisme par exemple, l’arabité, l’islamité et bien d’autres « choses » le plus souvent données pour « évidentes » et qu’il fallait déconstruire si l’on voulait jamais se libérer de la tutelle coloniale. Et, d’autre part, l’altération intérieure aux pays du Maghreb – « endogène » pourrait-on dire – et qui renvoyait aux interdits et aux tabous que certaine « tradition » religieuse en « terre d’islam » [End Page 8] avait imposés à la société maghrébine en rendant impossible le libre exercice de la pens...

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