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  • Lémures: Hantologie de la littérature malgache en français by Jean-Louis Cornille
  • Patricia-Pia Célérier
Cornille, Jean-Louis. Lémures: Hantologie de la littérature malgache en français. Caen, Passage(s) "Essais," 2019. ISBN 9791094898673. 110 p.

Vingtième livre de Jean-Louis Cornille, professeur émérite à l'université de Cape Town et spécialiste des littératures françaises des dix-neuvième et vingtième siècles, Lémures est le second ouvrage de l'auteur sur l'océan Indien, après Le Murmure des îles indociles (2017). Revendiquant un point de vue personnel et intuitif, Cornille construit son analyse autour de la notion d'hantologie qui, de Rabemananjara à Rabearivelo, puis de Raharimanana à Ravaloson, lui semble impulser leur production. La méthode théorique adoptée est celle d'un décodage de cette littérature à partir des échos, emprunts, "interférences," ou "désécriture" (26) du "canon littéraire de la France colonisatrice" (11). Dans l'introduction, Cornille rattache l'hantologie à deux champs et formes de transmission de la pensée, la philosophie avec Spectres de Mars de Derrida (1993), Adorno, et Horkheimer, et la sociologie avec Haunting Matters (1997) où Avery Gordon développe sa théorie de la transmission inconsciente des traumatismes collectifs, tel l'esclavage, aux générations suivantes, post-coloniales.

Les chapitres I et V sur l'œuvre de Raharimanana enchâssent les autres. Les chapitres II et III ancrent la littérature malgache dans une généalogie intellectuelle et artistique. Le chapitre final boucle paradoxalement l'argument en l'ouvrant à un auteur de la génération de Raharimanana, Johary Ravaloson. Intitulée "So(r)tie," la conclusion de Lémures fait subtilement référence aux pièces satiriques des quinzième et seizième siècles et à leurs figures allégoriques de "sots," fins observateurs du monde. L'auteur y fait retour sur sa démarche d'ensemble, et notamment sur la notion d'hantologie fondant son argument, pour dire qu'elle reste une notion incertaine et renégociable.

Dans ce livre d'une ampleur intellectuelle indéniable, le critique a le mérite [End Page 242] de s'affirmer comme lecteur, mais ne laisse pas toujours parler les textes étudiés en dehors des références, le plus souvent européennes et "classiques," qu'il reconnaît comme fondatrices. Quoique le titre évoque la Lémurie et l'histoire mythique de ce continent originel et disparu de l'océan Indien, on n'y croise pas cette idée avec celle d'hantologie. Or, de l'homme politique réunionnais Jules Hermann (1845–1924) à l'écrivain mauricien Malcom De Chazal (1902–1981), cette géographie imaginée renvoie à un passé de la région plus ancien que la littérature canonique française. Un dialogue avec des critiques indocéaniens, tels Françoise Vergès et Jean-Claude Carpanin Marimoutou, qui ont élaboré un nouveau vocabulaire théorique, aurait été bénéfique. L'auteur propose une lecture originale et "cultivée" mais réduit souvent l'œuvre à un emprunt. Son analyse de la violence de l'écriture de Raharimanana comme réaction nécessaire au conformisme de Rabearivelo et de Rabemananjara, et comme devoir de mémoire, est passionnante. Mais peut-on résumer la production de Raharimanana sans considérer l'impact de sa pratique renouvelée de l'oralité malgache au début des années 2000, ainsi que dans Les Cauchemars du Gecko (2011) et les trois volumes d'Enlacement(s) (2012)?

Le travail que fait Cornille sur l'étymologie, son souci des "citations cachées" (14) tirées de L'Odyssée, de Baudelaire, de Rimbaud, mais aussi de Damas et de Segalen ouvrent de larges pistes de lecture. Elles approfondissent, entre autres, la compréhension de certaines des œuvres de Raharimanana et des techniques de l'inscription/adaptation de la référence. Mais la volonté du critique de débusquer l'emprunt et ses formes dénote parfois une vision presque magique de la littérature qui a par ailleurs tendance à ramener Raharimanana vers Paris. L'influence de l...

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