La soudure by Alain Guyard (review)

Reviews 263 et de la peur, mais pris par la beauté du monde, surtout lorqu’elle le surprend aux deux extrémités du jour, le narrateur se laisse bercer par l’esprit immémorial des lieux qu’il traverse: “L’horizon ne reculait plus, il tournait lentement comme une roue” (182). Ainsi le bonheur parcourt ce récit sombre et sauvage, une sorte d’indifférence à la mort aussi, où face aux paysages, toutes les inquiétudes s’effacent comme l’effet“de cet éther sur les tempes où on dirait que la transparence pure vient vivre et s’exalter dans la couleur de la joie” (225). Metropolitan State University of Denver Jean-François Duclos Guyard,Alain. La soudure.Paris: Dilettante,2015.ISBN 978-2-84263-8231-4.Pp.224. 18 a. Ryan et Cyndie se sont rencontrés dans la décharge de bagnoles dont s’occupe Rambo Petrac, ami Manouche du couple qui “s’applique à toujours mieux s’intégrer dans la société française”(17). Cyndie, passionnée de soudure, a été séduite par Ryan, titulaire d’un CAP de soudure. Ensemble, ils rêvent de fonder une famille; leur fille s’appellera Wendy. Mais la mort du père de Cyndie laisse le couple sans soudure (argot pour argent) ni domicile.Afin de subvenir aux besoins de sa bien-aimée, Ryan bascule “dans ce que les puissances médiatico-policiées appellent ‘délinquance’” (43). Il se tourne d’abord vers un ancien camarade de classe, Fouad Moussa, “baltringue notoirement connue des services sociaux, classée débile léger par les aides à l’enfance, et aujourd’hui convertie au trafic d’armes” (49). Puis il se fait aider par un avocat véreux, Bernard Carré dit Maître Cube,“gros mec adipeux, avec une petite moustache en balai à chiottes” (50),“alcoolique affable et bonasse” (51). Ses débuts de voleur de jantes aux côtés de Rambo encouragent Ryan à persévérer: “en trente secondes Ryan gagnait autant que son père en une semaine”(78). Il met en place un trafic de voitures volées qu’il exporte au Maghreb. Refusant de démunir les classes populaires, Ryan dépouille les riches de leurs véhicules luxueux. Pendant ce temps, Cyndie, armée de son chalumeau, soude des “papillons d’acier griffus” ou “des oiseaux en colère” (86). Elle participe aussi à la restauration de la bélandre—rebaptisée Cheval de Troie—de JeanJacques , un “retraité des chantiers de Sète” (131) qui lui raconte les voyages d’Ulysse en citant l’Odyssée. Devenu une figure paternelle pour Cyndie, Jean-Jacques, doté d’une voix philosophique, cherche à instruire ces jeunes incultes. Il les protègera également contre Da Silva, un policier arriviste, symbole d’un système répressif. Roman sur l’exclusion, La soudure met en scène des personnages atypiques en quête de bonheur et de besoin d’appartenance. Pour combler un manque affectif, le jeune couple se construit son propre soutien familial: “La vingtaine de Gitans, de Blancs et d’Arabes constituait dorénavant une bande, sa bande, la bande à Ryan” (132). “Philosophe forain, bonimenteur de métaphysique et décravateur de concepts” (couverture), Guyard fait le portrait d’une jeunesse nîmoise désabusée. Au-delà du conte social on décèle un texte politique qui condamne notamment le capitalisme, cette“maladie de l’âme”(109).L’utilisation de l’argot,caractéristique du style de l’auteur, renvoie à l’environnement socioculturel des personnages et renforce le sentiment de marginalité qui domine le récit.Quelques phrases poétiques (et homériques) illuminent le texte: “l’aurore aux doigts de rose baigna les deux amants d’un nimbe doré” (222). Guyard crée un jeune couple attachant: Cyndie, artiste-soudeuse, exprime son mal d’enfant à travers son art. Elle émeut par sa fragilité et pourtant se montre courageuse et loyale lorsque Ryan est emprisonné:“il fallait maintenant endosser la lourde cuirasse des femmes de prisonniers, être complice des magouilles, des silences, des compromissions ” (181). Quant à Ryan, héros grec des temps modernes, il rêve de voguer jusqu’à Ithaque...