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Reviewed by:
  • La douleur réal. par Emmanuel Finkiel
  • Nathalie Degroult
Finkiel, Emmanuel, réal. La douleur. Int. Mélanie Thierry, Benoît Magimel, Benjamin Biolay. Cinéfrance, 2018.

Cette belle adaptation du roman éponyme et semi-biographique de Marguerite Duras (publié en 1985) nous plonge dans le Paris des derniers mois de l'Occupation allemande puis des ambivalences d'un après-guerre trouble. En juin 1944, Marguerite (Mélanie Thierry) attend le retour de son mari Robert Antelme, figure majeure de la Résistance, alors qu'elle entretient une liaison secrète avec son camarade, Dionys Mascolo (Benjamin Biolay). Cherchant à avoir des nouvelles de Robert, Marguerite rencontre Pierre Rabier (Benoît Magimel), un inquiétant agent français de la Gestapo qui, s'étant amouraché de l'écrivaine, exige des rendez-vous réguliers contre informations. Marguerite tente de le manipuler même si elle comprend vite qu'elle est à sa merci. Rien n'y fait. Robert est envoyé à Buchenwald puis à Dachau. La libération de Paris amène une joie tempérée face au retour de certains déportés et à l'horreur vécue dans les camps de concentration. Tandis que Robert ne revient pas, l'attente douloureuse de Marguerite continue. Elle a publié son premier roman, Les impudents, en 1943 et travaille encore dans une maison d'édition. Malgré un épuisement physique qui entraîne un alitement temporaire, Duras ne cesse d'écrire son insupportable quotidien dans ses cahiers. Profondément humaine, elle réconforte aussi une voisine minée et accueille chez elle Mme Katz (interprétée par Shulamit Adar, actrice déjà présente dans Madame Jacques sur la croisette [1995] et Voyages [1999]). Cette dernière attend désespérément sa fille handicapée, Dora, refusant d'accepter la mort de celleci, pourtant gazée dès son arrivée au camp d'extermination. Ici, Finkiel fait écho à sa propre histoire familiale, nous rappelant que son père, aussi, espéra, en vain, le retour de sa famille déportée. À la fin du film, Robert, qui n'est qu'une silhouette agonisante, est ramené à Paris par ses camarades résistants dont un certain Morland (alias François Mitterrand). En voix-off, Marguerite nous apprend l'inévitable séparation d'avec celui [End Page 241] qu'elle attendit tant et la construction d'une nouvelle vie avec Dionys (ils se marieront en 1947 et auront un fils, Jean). La prestation de Thierry est remarquable. Elle interprète avec justesse l'angoisse d'une jeune femme séduisante et pleine de vie, qui est quotidiennement confrontée à l'absence et à la mort. Le visage ravagé de l'actrice traduit parfaitement l'incertitude, le vacillement intérieur et les doutes entrecoupés d'instants d'espoir ou de rage. De plus, la voix de l'actrice reproduit avec une exactitude surprenante le phrasé durassien. Quant à ses mouvements de corps, ils rythment le temps intérieur qui semble si long et trahissent cette insoutenable attente. L'innovation de Finkiel est de créer un personnage dédoublé qui s'observe, se juge et illustre l'ambiguïté des sentiments: la peur de perdre ce mari déporté côtoie la peur de le revoir et la culpabilité d'en aimer un autre. Filmant en gros plans la nuque, les cheveux, les yeux et la bouche (sur laquelle se pose souvent une cigarette) de son actrice principale, le réalisateur révèle toute la profondeur des blessures intimes. Avec La douleur, Finkiel signe un nouveau film poignant qui retranscrit avec fidélité l'écriture durassienne et réussit à faire triompher les tourments intérieurs.

Nathalie Degroult
Siena College (NY)
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