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Reviewed by:
  • L'histoire comme émancipation by Laurence de Cock, Mathilde Larrère et Guillaume Mazeau
  • Gabriel Galvez-Behar
Laurence DE COCK, Mathilde LARRÈRE et Guillaume MAZEAU, L'histoire comme émancipation, Marseille, Agone, « Contre-feux », 2019, 144 p.

Engagés dans un combat contre les tenants d'une vision conservatrice de l'histoire, Laurence De Cock, Mathilde Larrère et Guillaume Mazeau publient un manifeste en faveur d'une histoire émancipatrice que liront avec profit toutes celles et tous ceux qui témoignent d'un véritable intérêt pour l'histoire. S'il est vrai qu'une certaine idée des sciences sociales vise non seulement à comprendre le monde mais aussi à le [End Page 263] transformer, l'histoire comme émancipation doit se concentrer plus particulièrement sur l'historicité des dominations, comme y invitait déjà Walter Benjamin59. Il y a là un choix à faire car « l'histoire ne naît pas émancipatrice » (p. 13). Pour qu'elle puisse le devenir, il faut déplacer le regard des dominants vers les dominés afin de redonner à ces derniers l'histoire dont ils ont été privés. Faire l'histoire des dominés – des « subalternes » – expose toutefois à maints écueils, qu'il s'agisse de la recherche de sources qui résultent bien souvent des rapports de domination eux-mêmes, ou des risques d'une histoire victimaire. Se rattachant à une tradition transmise notamment par E. P. Thompson, L. De Cock, M. Larrère et G. Mazeau défendent une histoire soucieuse de mettre en évidence le pouvoir – pour ne pas dire l'agency – des exclus de l'histoire. Comme le suggérait W. Benjamin, une histoire émancipatrice permet de montrer que tout pouvoir est fragile en même temps que possible.

Une telle tâche, qui consiste à redonner au passé un sens commun à toutes et à tous, est éminemment politique. Pour assumer cette fonction d'intérêt général, historiennes et historiens sont ainsi amenés à produire une connaissance sur le passé et à la transmettre « à celles et à ceux qui veulent se fabriquer une conscience historique et agir en conséquence » (p. 43). Ils agissent alors dans le respect des règles du métier que vient garantir la communauté de celles et ceux qui ont l'histoire comme profession. Pour cela, il faut que cette dernière bénéficie d'une indépendance sur laquelle pèsent pourtant un grand nombre de menaces. Les restrictions budgétaires adoptées dans le sillage des politiques néolibérales depuis les années 1980, la mise en éuvre de la loi sur la responsabilité des universités depuis 2007 et les différentes formes d'ingérence politique souvent liées à l'adoption de lois mémorielles en sont autant d'exemples. Aussi L. De Cock, M. Larrère et G. Mazeau défendent-ils une recherche publique indépendante et ouverte sur la société. L'ancrage de l'histoire émancipatrice dans les réalités du monde social passe par un travail de transmission au-delà des laboratoires « afin de réarmer politiquement celles et ceux qui en ont besoin » (p. 55). Ce travail requiert l'invention de formes nouvelles de l'histoire, qu'il s'agisse d'ateliers où intervient le public, de dispositifs croisant l'histoire et la création artistique – au cinéma ou dans la bande dessinée, par exemple – ou d'ateliers d'écriture.

Au céur du métier de l'historienne et de l'historien, la transmission au-delà de la seule communauté historienne est pourtant un aspect du métier jugé de manière plutôt subalterne. Les auteurs de L'histoire comme émancipation mettent ainsi en lumière un effet de domination au sein de la profession historienne, qui tend à négliger la vulgarisation ou la pédagogie au profit de la seule recherche. Or, « l'émancipation ne peut être uniquement pensée du point de vue du savoir transmis ; on ne peut faire l'économie d'interrogations sur les méthodes de transmission » (p. 69). Ces interrogations inspirent des initiatives encourageantes, mais encore trop peu nombreuses, autour de l'histoire publique ou de différents...

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