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  • La postérité du scandale. Petite histoire de la réception de Sade (1909–1939) by Michaël Trahan
  • Sébastien Drouin (bio)
Michaël Trahan, La postérité du scandale. Petite histoire de la réception de Sade (1909–1939), Montréal, Nota bene, 2017, 171 p.

En 1990, la maison d'édition Gallimard frappa un grand coup à la fois commercial et éditorial: l'entrée des œuvres complètes du marquis de Sade dans le saint des saints de la littérature française: la prestigieuse collection de la [End Page 374] Pléiade. « L'enfer sur papier bible », annonçait la publicité dans une allusion au fait que les œuvres du « divin marquis », qui avaient séjourné plus d'un siècle dans l'enfer des bibliothèques (la section des livres interdits), se retrouvaient désormais dans les mains de tout le monde. Depuis, bien de l'encre a coulé au sujet de l'un des auteurs les plus scandaleux des lettres françaises: des thèses de doctorat y sont consacrées, des colloques ont lieu, des films sont tournés. Il n'en fut pas toujours ainsi. C'est donc à une « petite histoire de la réception de Sade » que nous convie cet essai de Michaël Trahan dans lequel l'auteur retrace, avec brio, « la postérité du scandale » léguée par Sade dans la première moitié du XXe siècle.

Lire Sade est une chose. Lire ceux qui ont fréquenté son œuvre il y a main-tenant un siècle en est une autre. L'accès à son œuvre, tout d'abord, était problématique. La compréhension de Sade était forcément incomplète en raison, tout simplement, de l'absence d'œuvres à commenter. Pour diverses raisons que Michaël Trahan explique avec aisance, la figure de l'écrivain maudit trouble et fascine les plus brillants esprits des premières décennies du XXe siècle, de Breton à Bataille en passant par Apollinaire et la plupart des surréalistes. C'est que Sade serait « moderne »: voilà pourquoi les avant-gardes s'intéressent à lui. Apollinaire publie par exemple des extraits jamais édités depuis le XVIIIe siècle dans un volume paru en 1909: « Il semble, dit-il, que l'heure soit venue pour ces idées qui ont mûri dans l'atmosphère infâme des enfers de bibliothèques, et cet homme qui parut ne compter pour rien durant tout le XIXe siècle, pourrait bien dominer le XXe », prophétise l'auteur d'Alcools.

Une figure moins connue des littéraires, à part des spécialistes de Sade, est celle de Maurice Heine, le premier grand éditeur des textes de Sade, qui servait de caution érudite tant à Breton l'idéaliste qu'à Bataille le matérialiste. Ces derniers proposaient, dans des polémiques étonnamment virulentes, des lectures opposées de la signification tant de la figure de Sade que de son œuvre. Il faut lire ces pages de La postérité du scandale où Breton et Bataille se livrent à un concours d'insultes au sujet de l'interprétation d'une simple anecdote—du reste à l'authenticité douteuse—décrivant un Sade se faisant apporter (par qui au juste?) des corbeilles de roses à l'hôpital de Bicêtre. On raconte qu'il les contemplait, les humait, les trempait dans le purin pour ensuite les lancer au loin dans un éclat de rire. On appréciera le soin patient qu'a pris Michaël Trahan à retracer l'évolution des plus importantes querelles entre les figures principales des avant-gardes, lesquelles paraissaient essentiellement dans des revues par essence éphémères. Le point de synthèse de ces querelles entre Breton et Bataille se présente à l'arrivée de Pierre Klossowski dans le paysage intellectuel. L'auteur à venir du classique Sade mon prochain (1947) va, avec Heine, proposer des lectures de Sade moins engoncées dans les querelles de chapelle: les analyses tout d'abord inspirées par la psychanalyse laisseront la place, peu à peu, à des interprétations sous le signe de la philosophie et de la th...

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