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  • ÉditorialVers une histoire transnationale des mouvements de jeunesse
  • Laura Lee Downs

«L'enfance, notre plus doux espoir », proclame Maurice Thorez en août 1936, lors de sa visite de la colonie de vacances d'Ivry-sur-Seine, municipalité communiste de la banlieue parisienne qui construit depuis les années 1920 une politique sociale, sanitaire et éducative pour ses plus jeunes citadins. Si cette attention particulière portée aux enfants était un moyen d'attirer le soutien politique des parents, elle visait également la fabrication d'une nouvelle génération forte, robuste et pénétrée d'une conscience de classe, apte à porter jusqu'au bout la lutte ouvrière. Il en était de même avec les jeunes filles et garçons de la ville ouvrière, appelés à travailler chaque été au sein de la colonie car, « à cette époque, le travail avec la colonie faisait partie de leur vie de militants. Il faisait partie intégrante de leur engagement politique 1 ».

Depuis une vingtaine d'années, l'histoire de l'enfance et de la jeunesse se renouvelle par le biais de l'histoire sociale et culturelle des structures sociomédicales, éducatives et ludiques conçues par des adultes. Visant les enfants et les jeunes au nom de l'avenir de collectivités diverses (politiques, religieuses, ethniques ou nationales), ces structures sont fondamentales dans la construction des politiques de protection sociale en général, fabriquées par des associations, des mouvements religieux, des associations de réforme sociale ou bien des « municipalités providence », où il existe un vaste effort collectif pour construire des formes de solidarité locale.

L'étude de ces structures locales ouvre donc des perspectives nouvelles pour la compréhension des politiques sociales (c'est-à-dire l'étude des politiques utilisant comme moyen principal l'action sociale). Elle permet de mieux comprendre la manière dont l'enfant ou le jeune deviennent un objet central de l'action publique et politique des adultes 2. Il s'agit [End Page 3] de véritables mobilisations autour de la cause des jeunes, qui s'appuient sur la société civile plutôt que d'émerger des initiatives étatiques. Qui plus est, la diversité des acteurs qui jouent un rôle important dans ce domaine–paroisses, syndicats, partis politiques, municipalités, comités d'entreprise, associations religieuses ou caritatives–révèle le caractère pluraliste de ces mouvements, et donc des oeuvres d'enfance et d'adolescents. Le pluralisme idéologique, religieux et politique de ces mouvements, ainsi que leur ancrage dans le monde multiforme de la réforme sociale, ouvrent la voie à une nouvelle approche de l'histoire de la protection sociale qui va du bas vers le haut, et du niveau local vers le niveau national, afin de mieux comprendre la longue histoire de la construction des États-providence.

Conçus par des adultes recherchant des finalités éducatives et idéologiques très précises, les mouvements de jeunesse apparaissent comme de puissants révélateurs de la société 3. Mais qu'en est-il des aspirations des jeunes qui affluent dans ces mouvements pendant l'entre-deux-guerres ? Y a-t-il un moyen de retrouver leurs voix ? Les deux beaux articles ras¬semblés dans ce mini-dossier ouvrent des pistes prometteuses relatives à la restitution des aspirations de jeunes, grâce à l'analyse de la circulation transnationale et transimpériale des modèles éducatifs, comme celui de la Young Men's Christian Association (YMCA) ou bien du scoutisme britannique. Ce faisant, ChristinaWu et Ondřej Matějka contribuent au renouvellement récent de l'histoire de l'enfance, tel que l'ont porté des chercheuses comme Manon Pignot ou Célia Keren, découvrant par exemple de nouvelles sources et les lisant attentivement afin de restituer la perspective et les expériences des jeunes 4.

En privilégiant une approche transnationale, O. Matějka et C. Wu participent en outre à un tournant récent dans le domaine des études de la jeunesse 5. Mais c'est surtout à travers la question de l'appropriation des modèles qui circulent au-delà des frontières que O. Matějka...

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