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  • L’empreinte de Jean-Daniel Reynaud
  • Patrick Fridenson and Michelle Perrot*

Jean-Daniel Reynaud, qui vient de disparaître, avait été le premier sociologue à faire partie du Comité de rédaction de notre revue.

Il avait accepté sans difficulté l’invitation en 1964 de notre fondateur, Jean Maitron, sur la suggestion de Michelle Perrot et de Madeleine Rebérioux, après la parution de son premier livre : Les syndicats en France. À vrai dire, le milieu des historiens engagés ne lui était pas étranger : ses liens avec son beau-père, Charles-André Julien, ancien professeur d’histoire de la colonisation à la Sorbonne et une des grandes figures de l’anticolonialisme, proche de plusieurs membres de l’équipe de la revue, étaient vifs. Son nom apparaît pour la première fois dans le numéro 49 d’octobre-décembre 1964. On lui doit entre autres le numéro 61 spécial « Sociologie et histoire » d’octobre-décembre 1967, puis la lecture acérée de plusieurs articles d’histoire soumis à la revue, l’entrée d’un sociologue du travail plus jeune, Bernard Mottez, et les premières réflexions sur le contrat entre la revue et les Éditions ouvrières (à partir de son expérience de l’application du contrat entre Le Seuil et Sociologie du travail), car notre revue n’a eu que très tard un contrat avec son premier éditeur. Puis, après la parution du numéro 100 (octobre–décembre 1977), sur la pointe des pieds, il avait quitté le comité. Mais les liens ainsi noués persistent lors de débats ou de colloques ou grâce à ses élèves 1. Lorsque Bernard Mottez part à son tour, pris par d’autres recherches, c’est Alain Cottereau qui le remplace, tandis que le comité compte un second sociologue, Daniel Pécaut, qui apporte ses compétences sur l’Amérique latine. L’affirmation qui concluait son éditorial du numéro 61 en 1967 s’est donc vérifiée : « L’époque est passée où la sociologie faisait craindre son impérialisme et où elle craignait, en même temps, de n’être pas reconnue. Elle est peut-être venue d’un dialogue, non plus sur les principes, mais dans la recherche elle-même. »

Les lignes qui précèdent ne traduisent pas la chaleur profonde et le rayonnement international de cet homme aux recherches empiriques variées en France, en Europe et en Amérique latine, aux activités multiples dans des établissements parisiens d’enseignement supérieur, dans deux grandes revues de sociologie, en immersion auprès des syndicats, des entreprises et dans la cité 2. Elles ne traduisent pas non plus le fait qu’il a non seulement beaucoup favorisé les contacts entre sociologues et historiens – ainsi le numéro 61 comporte un article en perspective historique de la sociologue Madeleine Guilbert qui, dit Jean-Daniel Reynaud, « présente le bilan objectif d’une étude sur la discrimination à l’égard des femmes dans l’industrie », soit le premier consacré par la revue à ce problème majeur ; il a patronné notamment [End Page 113] les travaux de Catherine Lévy sur le logement, la précarité, les inégalités nationales et internationales –, mais encore s’est vraiment intéressé aux travaux des historiens. Il avait été nommé en 1959, à 32 ans, professeur au CNAM sur la chaire d’histoire du travail et des relations industrielles, et y a donc enseigné entre autres l’histoire du travail. Puis, en 1969, il avait obtenu la transformation de l’intitulé de son poste en sociologie du travail et des relations professionnelles 3, créant le laboratoire de sociologie du travail et occupant la chaire pendant trente-cinq ans. Son célèbre livre Les règles du jeu porte la marque de cette perspective renouvelée et d’une analyse théorique 4. Le séminaire sur le travail et la régulation sociale qu’il avait codirigé à l’Université de Nanterre, avec l’économiste hétérodoxe Olivier Favereau 5, de 1990 à 1999, avait été extrêmement fructueux pour plusieurs générations d’universitaires et de chercheurs...

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