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  • Les Îles malades, léproseries et lazarets de Nouvelle-Calédonie, Guyane et Guadeloupe by Éric Fougère
  • Isabelle Roussel-Gillet
Fougère, Éric. Les Îles malades, léproseries et lazarets de Nouvelle-Calédonie, Guyane et Guadeloupe. Paris, Classiques Garnier, 2018. ISBN 9782406065043. 168 p.

Dès l'introduction à son étude anthropologique, aussi précise et dense qu'efficace, Éric Fougère rappelle comment Michel Foucault distingue le rêve politique de la léproserie qui exile—rêve de communauté pure—de celui du lazaret—rêve de [End Page 214] société disciplinée. Ces deux manières de retrancher ont marqué l'histoire de l'espace insulaire. Ces espaces sont empreints des stratégies d'une société pour "se protéger." Mais le critique éprouve la typologie de Foucault en attirant notre attention sur l'évolution de ces lieux et sur la multiplicité des facteurs croisés: l'histoire des maladies, leur introduction et leur migration du fait des colonisations et du commerce, les avancées médicales ou encore techniques comme la machine à vapeur (115), qui ont un impact sur la durée de la quarantaine, les doctrines contagionnistes et infectionnistes, les évolutions en matière de contrôle sanitaire. Éric Fougère explique le rôle des autorités aussi diverses que les autorités militaires, maritimes (pour la peste), civiles ou religieuses ou encore la législation, notamment sanitaire, certes, mais encore celle qui traite de la propriété: la confiscation des biens des lépreux, par exemple. Une stratégie d'inclusion pour les colons malades, à domicile, s'oppose à l'exclusion des non propriétaires. L'isolement est parfois perméable à d'autres plaies comme le trafic des commerçants de Mana en Guyane et échappe ainsi au contrôle. Les enjeux commerciaux n'ont-ils pas parfois primé sur la question de santé?

Bien des cas attestent du besoin de se distinguer entre lépreux pénitentiaires, condamnés ou libérés, quitte à renforcer le paradoxe de se distinguer en "multipliant les séparations" (89). L'histoire de la lèpre est indéniablement liée à celle de l'esclavage et de la colonisation. L'étude le prouve mais ne s'en tient pas là puisqu'elle évoque, jusqu'aux années 1950, le devenir des léproseries et le renversement de perspective: la "prophylaxie de la lèpre basée sur l'internement est illogique, inefficace et dangereuse" (101). Ce qu'Éric Fougère résume d'une phrase lapidaire: "Le verdict a fait place au diagnostic." Comment les îles de relégation deviennent-elles alors zones de transit? (115)

S'il recense de façon rigoureuse les lazarets en ayant soin de contextualiser leur édification, Fougère observe surtout les divergences, dissymétries et décalages dans une situation complexe. En s'appuyant sur la consultation des archives nationales d'outre-mer, de l'institut de médecine tropicale du service de santé des armées et de nombreux fonds ministériels, il a le souci de dresser un panorama tout autant que des portraits singuliers en situation, ainsi du statut des lépreux esclaves que les propriétaires éloignaient à condition d'indemnisation ou de la différence de traitement des malades de la peste selon leur origine ou condition. "C'est de ces décalages, à la fois temporels et spatiaux mais aussi cliniques (entre lèpre et peste, entre action législative ou règlements d'administration et réalités de terrain), qu'il doit être question si l'on veut faire, à présent, la géo-histoire d'une bio-histoire insulaire" (27). Tout fait impactant la réglementation est corrélé à la situation des malades; il en est ainsi de l'abolition de l'esclavage et du passage de la léproserie sous "le régime des réglementations des établissements de bienfaisance et des prisons" (49) et de rappeler que "[l]a léproserie est une institution de l'esclavage." En Guyane, l'abolition de l'esclavage conjuguée à l'introduction du bagne engendre une situation paradoxale dont la réponse sera encore motivée par les préjugés...

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