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  • Mai 1968 au Sénégal. Senghor face aux étudiants et au mouvement syndical by Omar Gueye
  • Françoise Blum
Omar GUEYE, Mai 1968 au Sénégal. Senghor face aux étudiants et au mouvement syndical, Paris, Karthala, « Hommes et sociétés », 2017, 336 p.

Le Mai sénégalais (mai-juin 1968) a été concomitant du Mai français, ce qui a pu faire dire au président Léopold Sédar Senghor que les étudiants de l'université de Dakar faisaient « même chose toubabs ». C'était évidemment faux, car un mouvement social n'en copie pas un autre. Néanmoins, il y avait des circulations de la France au Sénégal et réciproquement. Et le Mai sénégalais, dont on fête aussi en 2018 le cinquantenaire, peut être sur bien des points comparé au Mai français : grève étudiante (à l'origine pour un motif corporatiste : la réduction des bourses), grève générale, répression, manifestations et émeutes urbaines, négociations, etc. Le livre d'Omar Gueye retrace très précisément le déroulé des événements et s'intéresse à ce qui s'en est suivi, c'est-à-dire, après une intransigeante répression (internement des étudiants sénégalais, expulsion des étudiants étrangers, internement des syndicalistes), l'ouverture de négociations avec les syndicats de travailleurs, entamées d'abord, puis avec les syndicats étudiants, et leurs résultats. Outre cet événementiel détaillé, des chapitres particuliers sont consacrés à « Dakar la frondeuse », à « l'Affaire des pères dominicains » (les Dominicains de Dakar avaient pris fait et cause pour les étudiants, suscitant l'ire du catholique Senghor), aux « acteurs et événements influents de la crise »… Tous sont étayés sur un solide dépouillement d'archives, françaises (Centre des archives diplomatiques de Nantes, fonds Foccart, archives diplomatiques de La Courneuve), mais aussi anglaises (British National Office), ainsi que sur un beau corpus de trente-six entretiens réalisés avec d'anciens acteurs–enseignants ou étudiants au moment des événements –, dont Abdoulaye Bathily, lui-même auteur d'une déjà ancienne histoire du Mai sénégalais aux éditions Chaka 1. L'ouvrage est agréable à lire et, grâce à lui, rien des événements du Mai sénégalais ne pourra désormais être ignoré.

On peut néanmoins faire quelques remarques–qui, on l'espère, ouvriront des pistes–à propos des archives et de l'historiographie.

À propos des archives, il aurait peut-être été intéressant d'explorer davantage les fonds existants sur le territoire sénégalais. Car l'auteur ne donne aucune référence d'archives sénégalaises et s'appuie essentiellement sur les archives conservées dans les anciennes métropoles. Certes, les archives nationales du Sénégal ne rendent accessibles que les fonds antérieurs à 1962–les fonds des années ultérieures n'étant pas classés, ni donc consultables–et il n'y existe sur les événements de 68 qu'un dossier de presse. Mais on peut penser aux archives de l'ancien palais de justice, qui pourraient peut-être livrer des informations précieuses sur les procès des manifestants, procès qui ont eu lieu en juin et dont le livre d'Omar Gueye ne dit rien. Il aurait sans doute été possible de mieux comprendre ainsi, d'une part, l'articulation [End Page 155] répression-négociations, et, d'autre part, de mieux cerner le profil des manifestants quand ceux-ci n'étaient ni syndicalistes, ni étudiants. Peut-être est-ce illusoire, mais l'aventure méritait d'être tentée. Peut-être aussi aurait-on pu trouver d'autres éléments dans les archives des renseignements généraux, consultables aux archives régionales ? Ou bien dans les archives du rectorat, dans celles qui sont conservées à l'école de police (ce sont celles du ministère de l'Intérieur), au ministère de l'Éducation nationale, voire à la mairie de Dakar ? Outre les étudiants et les travailleurs, les lycéens ont été très importants dans le mouvement...

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