In lieu of an abstract, here is a brief excerpt of the content:

Reviewed by:
  • Le goût de l'ivresse : Boire en France depuis le Moyen Âge (Ve–XXIe siècle) par Mathieu Lecoutre
  • Mathieu Perron
Le goût de l'ivresse : Boire en France depuis le Moyen Âge (Ve–XXIe siècle) Mathieu Lecoutre Paris : Belin, 2017, 459 p., 23,50 €

La publication de L'histoire de l'alimentation (1996) par Jean-Louis Flandrin et Massimo Montanari a établi l'histoire de l'alimentation comme un champ respecté de l'historiographie française. Avec Le goût de l'ivresse, Mathieu Lecoutre entend camper l'histoire des boissons et des buveurs comme champ distinct de l'histoire de l'alimentation. Le livre combine à la fois une synthèse de la thèse de doctorat de Mathieu Lecoutre couvrant la période qui sépare le 5e et le 18e siècle et une synthèse de la production historiographique, principalement française, allant jusqu'au 21e siècle. Le résultat peut paraître baroque, mais demeure clair et cohérent.

L'ouvrage est structuré en quatre parties chronologiques : Métissage (5e–9e siècle) ; Diversité (10e–15e siècle) ; Modernité (16e–18e siècle) ; Mondialisation et tradition (19e–21e siècle). Chaque partie est composée de trois chapitres qui suivent un enchainement particulier : d'abord, le premier chapitre décrit les différentes boissons en circulation ainsi que le cycle de leur production et distribution. Ensuite, le second chapitre traite des pratiques et des manières de les consommer. Enfin, le troisième chapitre aborde les transformations dans les discours et politiques entourant l'ivresse: plus particulièrement, les changements opérés dans sa compréhension médicale et son encadrement culturel et sociétal. Pour ce faire, l'auteur s'appuie sur une collection de monographies touffue ainsi que, surtout pour les trois premières parties, sur un corpus de sources diversifiées : traités médicaux, sommes théologiques, ouvrages philosophiques et de morales, archives administratives.

Dès 1961, les historiens de l'école des Annales ont ouvert le champ à l'étude des goûts alimentaires dans une perspective pluridisciplinaire regroupant géographie et anthropologie. Les goûts des élites qui étaient alors jugés minoritaires, futiles et sensibles aux effets de modes, les intéressaient peu. Les goûts des masses, supposément ancrés dans la stabilité de la longue durée, leur furent préférés. Mathieu Lecoutre soutient que cette approche possède d'importantes limites : les sources employées sont souvent approximatives quant aux volumes consommés, ce qui limite les conclusions sur la consommation populaire réelle. En écartant l'étude des discours produits par les élites, les choix de consommation individuels ne peuvent être réinsérés dans une compréhension culturelle et sociale plus large : s'alimenter [End Page 443] et boire sont des actions fondées sur des choix culturels et ne sont pas uniquement « une addition de volumes et de boissons » (p. 14). Le regard des élites importe donc autant que celui des masses.

Les fluctuations dans les influences déterminant les choix et les goûts individuels sont aussi importantes. Selon Mathieu Lecoutre, chaque buveur est toujours sous influence, de l'enfance à l'âge adulte, c'est-à-dire que l'auteur prend ses distances avec une lecture fondée sur l'habitus, sur le poids contraignant des habitudes se transmettant, quasi inchangé au court des âges de la vie et des transformations du milieu, sur plusieurs générations. Le buveur est sous l'influence des parents, des « anciens », des pairs (frères et sœurs, proches, amis, collègues, dans un processus de transmission intragénérationnelle), mais le buveur intègre aussi les habitudes du groupe social auquel il appartient ou auquel il souhaite appartenir. « Boire permet donc d'intégrer, en créant du lien avec son groupe d'origine ou avec d'autres groupes, mais aussi d'exclure de la normalité autorisée certaines boissons, certains buveurs ou non-buveurs, et certaines manières de boire » (p. 12). C'est l'étude de l...

pdf

Share