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  • Animal Studies et littérature médiévale:Fictions politiques de la domestication
  • Yasmina Foehr-Janssens

Critique littéraire, histoire et anthropologie: élucidation du bestiaire médiéval

Les animaux sont omniprésents dans la littérature française médiévale. Les bestiaires, les fables et le Roman de Renart leur donnent le premier rôle, mais les chansons de geste, les romans et les vies de saints leur reconnaissent aussi la place de témoins privilégiés, voire de complices, des héros humains. Les œuvres françaises médiévales fourmillent de lions et de faucons, de loups et de grenouilles, de chevaux et de chiens, de chèvres et de serpents, mais aussi de centaures, de chevaliers-bêtes, d'hommes loups et de femmes serpentes.1 Elles sont irriguées par les sources savantes, notamment encyclopédiques, qui véhiculent le savoir naturaliste antique; par les récits de métamorphoses animales d'origine mythologique ou folklorique; par la vaste tradition ésopique et orientale du récit animalier; par l'anthropologie biblique et notamment les récits génésiaques de la création et du déluge, sans parler de la riche tradition iconographique qui peuple les chapiteaux des églises aussi bien que les manuscrits de représentations saisissantes de bêtes en tout genre.

On ne s'étonnera donc pas que la question des animaux figure depuis longtemps à l'ordre du jour des recherches sur la littérature médiévale. La Société internationale renardienne (SIR; International Reynard Society), fondée en 1975 à l'initiative de Kenneth Varty afin de promouvoir les études sur le Roman de Renart, les fables et les fabliaux dans une perspective comparatiste, soutient depuis plus de quarante ans la recherche sur l'animal comme personnage littéraire à part entière.2 La revue Reinardus (1977), organe de la SIR, offre ainsi un large panorama sur la recherche autour de ce thème. [End Page 572]

Durant la même période, les travaux des historiens ont fourni, à partir de points de vue divers, une riche matière aux chercheurs et chercheuses en littérature médiévale. Paru en 1984, le livre du médiéviste Robert Delort, Les Animaux ont une histoire, ouvre une voie féconde en rappelant que le monde animal est un objet d'histoire en tant que tel, documenté par l'archéozoologie et la paléontologie.3 Mais il insiste aussi sur le fait que le devenir des animaux croise celui de l'humanité et se joue 'malgré, contre et avec [celle-ci]'.4 Les chapitres consacrés à ce second aspect se concentrent sur les questions de la prédation, de la domestication et du parasitisme, sur lesquelles nous aurons à revenir. À partir d'une thèse consacrée au bestiaire héraldique, Michel Pastoureau propose quant à lui une histoire culturelle entièrement orientée vers les usages symboliques de la représentation animalière. On lui doit d'importantes études sur l'évolution de certaines figures clés du bestiaire chrétien, le lion et le cerf en particulier, dont la promotion se fait au détriment de l'ours et du sanglier.5

Au carrefour entre l'histoire des sciences et l'histoire culturelle, les travaux de Baudouin van den Abeele permettent l'accès à la littérature cynégétique qui constitue une source déterminante pour l'étude des rapports entre humains et animaux au Moyen Âge.6 La pratique de la chasse, hautement ritualisée au profit de la domination exercée par la classe des seigneurs et des chevaliers tant sur les autres humains que sur les bêtes, domestiques et sauvages, occupe une place névralgique dans nombre d'intrigues littéraires.7 La scène de chasse sollicite un imaginaire de la distinction sociale grâce au noble art de la vènerie; elle sous-tend nombre de scénarios érotiques (la rencontre du chevalier et de la fée dans les lais ou celle du chevalier et de la bergère dans les pastourelles; les métaphores de la chasse amoureuse remontant à Ovide); elle structure les récits d'initiation et les...

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