In lieu of an abstract, here is a brief excerpt of the content:

  • Adolescents en guerres mondiales, entre transgression et filiation
  • Manon Pignot

Depuis les années 1980, la multiplication des conflits en Afrique sub-saharienne a contribué à populariser un terme et une image, celle de l'« enfant-soldat ». Protocoles additionnels de la convention de Genève (1977), Convention internationale des droits de l'enfant (1989), Principes du Cap (1997) : les instances internationales, poussées par les ONG, dénoncent ainsi de manière croissante la présence d'enfants de moins de 18 ans dans les groupes armés. Parallèlement, la littérature et le cinéma se sont saisis de cette figure devenue presque iconique, œuvrant involon-tairement pour ce qu'il faut bien appeler la construction d'une « identité africaine » du phénomène des enfants-soldats 1.

Le premier enjeu de ce numéro spécial est donc de revenir sur une évidence historique : la présence d'enfants ou, plutôt, de très jeunes gens sur les champs de bataille est loin d'être une spécificité de notre temps, a fortiori du continent africain. Sans remonter jusqu'aux Spartiates ou aux pages médiévaux, dans un raccourci chronologique qui confinerait à l'ana-chronisme, l'ère contemporaine offre de nombreux exemples d'engagement de très jeunes gens dans des conflits armés. Des écoles d'enfants de troupes ou d'élèves-marins existent, à partir du XIXe siècle, dans la plupart des pays occidentaux. De ces derniers cependant, il ne sera pas question ici, même si les enfants ne sont pas absents de certains terrains étudiés. Les articles réunis dans ce numéro s'attachent en effet davantage aux engagements illicites, c'est-à-dire ceux qui sont contractés en marge des formes légales de mobilisation, voire à l'encontre des instructions explicites des états-majors. Pour récurrents que soient ces engagements, peu d'historiens s'en sont encore saisis, notamment en France 2, au contraire des juristes 3. La biblio [End Page 3] graphie anglophone est, en revanche, nettement plus abondante, et largement portée par l'anthropologie 4. L'angle mort qu'occupe l'engagement juvénile illicite dans la bibliographie française est d'autant plus étonnant que les questions de jeunesse, d'engagement, de génération et de violence y sont abondamment présentes et excellemment traitées depuis plusieurs décennies 5. Peut-être est-ce l'obligation de se confronter à une violence non plus uniquement subie mais délibérément infligée qui explique, entre autres, la réticence à se saisir d'une histoire aussi délicate ? Si la jeunesse est bien, selon l'heureuse formule de Jean-Pierre Azéma, cette « période aussi sensible qu'une plaque photographique 6 », alors l'histoire d'une certaine jeunesse combattante n'en est que plus difficile. S'agissant des guerres mondiales en particulier, l'étude de l'engagement juvénile durant la Grande Guerre n'est encore qu'à l'état d'ébauche 7, tandis que pour la Seconde Guerre mondiale, à l'exception notable du colloque dirigé par Jean-William Dereymez 8, l'essentiel de la bibliographie disponible concerne les dictatures fasciste et nazie 9.

L'enjeu de ce dossier est donc d'étudier, à travers des exemples variés mais une réflexion commune, l'impact des guerres mondiales sur les adolescents et sur les représentations que les acteurs sociaux en ont, en passant outre l'obstacle qu'a pu constituer, pendant des décennies, l'archétype de la [End Page 4] « dernière armée d'Hitler 10 ». Dans la geste adolescente en guerre mondiale, l'enrôlement combattant tout comme l'engagement idéologique semblent suffisamment révélateurs pour qu'on prenne le temps de s'y attarder et qu'on tente de les rendre plus intelligibles. L'intérêt est que nous observons des phénomènes similaires entre 1914 et 1945, sans que ces attitudes juvéniles soient spécifiques aux États « intrinsèquement violents 11 ». La Grande Guerre inaugure ainsi des pratiques qui s'amplifient et se systématisent pendant la Seconde Guerre mondiale 12. En outre, c'est aussi entre ces deux...

pdf

Share