In lieu of an abstract, here is a brief excerpt of the content:

Reviewed by:
  • Que pense le poème? by Badiou Alain
  • Isabelle Roussel-Gillet
Badiou, Alain. Que pense le poème? Caen: Éditions NOUS, 2016. ISBN 9782370840349. 177 p.

Passons vite sur le désagrément de la répétition, sans doute dû à l'assemblage disparate de textes parus d'abord isolément (à distance de plus de vingt ans du premier au dernier, de 1992 à 2014) et au fait de devoir se concentrer sur un texte aussi ardu qu'il est exigeant. Alain Badiou interroge les rapports entre philosophie et poésie et ce faisant, offre des analyses des plus stimulantes de poèmes, ou parfois de vers quelque peu isolés, ce qui renforce l'impression de déconnexion, et de citations au service d'une pensée philosophique pensant la poésie, sans jamais la prendre de haut. Certains poètes en relation avec l'Espagne sont longuement cités: Cesar Vallejo, Pablo Neruda, ou Brecht, pour ce qui est du communisme, d'autres sont évoqués de manière plus fragmentée (Éluard, Hikmet). Avant que de voir ce que fécondent la philosophie et la poésie dans l'autre en ce qu'ils ont en commun la langue pour matériau, le livre s'ouvre en rappelant comment la poésie fut pensée par Platon en rivale qui "ruine […] la discursivité." S'éloignant de cette vision traditionnelle passée qui assigne une poésie au bon ordre, la préface pose d'emblée la poésie et l'incantation comme anti-philosophies non en ce qu'elles seraient de piètres mimesis mais parce qu'elles se situent à l'autre bord de la rationalité mathématique, du formalisme, voire d'une rhétorique de conviction, preuves à l'appui qui caractérisent la force argumentative du philosophe (qui semble faire retour dans les pages consacrées à "Pasolini: La leçon dialectique du poème"). Il y aurait chez le philosophe trois façons de se défendre face à la poésie: l'envier, l'exclure, la classer (54), puis deux: l'écarter ou l'avaler (113). Quand la poésie est un "état de langue," elle "est chargée de soutenir le privilège de l'expérience personnelle dans l'accès aux vérités improbables" (9) et surtout n'a "rien à communiquer" ("langage du désarroi des images") parce qu'elle est un dire libéré, un événement. Le poème affirme une position subjective du poète. Pour n'entretenir aucun rapport à un objet référentiel, de façon mimétique, pour s'écrire dans la perte de rapport à un objet, le poème opère par soustraction (Mallarmé) ou dissémination par excès de métaphores (Rimbaud). Ce serait cette perte de connaissance non sans vertige (entre scintillation et soif) qui décontenancerait la philosophie et en ferait son symptôme. Alain Badiou évoque un "âge des poètes" (qui renvoie à sa catégorie philosophique pour désigner la modernité, la poésie se trouvant la dépositaire de tâches qui relevaient auparavant de la philosophie) de Hölderlin à Celan, où le poème est une pensée qui ne calcule pas, qui ne se suture pas à la philosophie. Ce serait une table de désorientation. Alors quoi de plus normal que d'être à notre tour désorientés de lire que la poésie est de la pensée pure, de la poésie déconnectée? Les analyses sur Lyre dure de Philippe Beck sont en ce sens convaincantes. Cette poésie dont le monde naît du mouvement de la poésie elle-même, est autogénérée dans un langage. Dénuée d'intention qui la vectorialiserait, la poésie serait un descriptif-narratif, pur chemin. C'est en cela que le [End Page 222] poème est "pensée" et non pas accueil d'une pensée qui lui préexisterait et qui serait par exemple la pensée du poète. Le poème n'est donc pas si générique que veut bien l'annoncer le titre, il est même question de lyrisme...

pdf

Share