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Reviewed by:
  • De Lénine à Gagarine. Une histoire sociale de l’Union soviétique by Alexandre SUMPF
  • Laurent Coumel
Alexandre SUMPF. – De Lénine à Gagarine. Une histoire sociale de l’Union soviétique, Paris, Gallimard, « Folio Histoire », 2014, 944p.

C’est un bel exemple de cours universitaire qu’Alexandre Sumpf livre ici, autant qu’une réflexion épistémologique sur la recherche en histoire sociale et culturelle de l’Union soviétique. L’ouvrage répond ainsi à son ambition de départ : rassembler de façon dynamique la somme des connaissances accumulées en français, en anglais et en russe, un peu en italien – mais pas en allemand. Il y a peu d’oublis dans l’impressionnante littérature mobilisée pour ce panorama de la société soviétique de 1917 (en fait 1914) à 1961 (en fait le milieu de la décennie). Une fois n’est pas coutume, l’approche historienne s’enrichit d’une dimension spatiale : plus qu’un cadre général, la géographie est sollicitée pour mieux comprendre le goulag et ses différents degrés de déportations, mais aussi l’exode rural, l’exploitation des ressources et l’entreprise de domination de la nature portée par le projet soviétique. En témoignent aussi les cartes rassemblées en annexe. Le principe de construction de l’ouvrage déroute un peu car il n’est ni chronologique, ni classiquement thématique – procédant plutôt par problèmes historiographiques, bien que parfois non explicitement formulés. Tout en la comprenant, on regrette l’existence de deux livres en un : l’appareil critique des notes est riche mais s’avère peu maniable, avec une numérotation renouvelée à chaque chapitre, et l’absence de bibliographie rend hasardeuse la recherche de références complètes. Le choix de ne citer que très peu d’historiens dans le corps du texte ajoute à ces inconvénients. Reprenons quelques-uns des leitmotivs d’un livre dont le défaut principal est sans doute d’être trop dense et allusif pour pouvoir servir de manuel à un public non averti, mais dont la qualité première est la place accordée à la culture, terrain de prédilection de l’auteur.

L’articulation entre projet et communication politique, et, partant, entre pratiques de gouvernement et promesses d’un avenir radieux comme on sait, est au centre des préoccupations d’Alexandre Sumpf. Depuis son travail de thèse sur l’État-propagande bolchevique 1, il déploie une batterie d’analyses qui relativise à la fois la portée et les intentions réelles de ces efforts, destinés à constituer une « base sociologique » autant qu’à créer un « homme nouveau ». Les travaux recensés ici sur l’art et tout particulièrement sur le cinéma montrent comment ce dernier fut à la fois instrument de propagande, moyen de discipline sociale et source de revenus pour l’État. L’accent mis sur les conditions de production d’un côté, de réception de l’autre, révèle aussi les jeux complexes entre création, censure et accueil du public, des publics plutôt. La diffusion des grands écrivains, en priorité russes et en langue russe, est aussi un bon moyen de relativiser le discours sur le caractère multinational d’un empire qui se perpétue sans l’admettre officiellement – même si la politique nationale aurait mérité de plus amples développements ou renvois bibliographiques. La famille et la sexualité font l’objet d’une synthèse efficace. Les pages sur la consommation expliquent en quoi le système soviétique a produit [End Page 149] « une société de spéculation », relativisant d’autres travaux extrapolant un peu vite l’existence en URSS d’une « société de consommation » (expression qu’on retrouve pourtant une fois, p. 689). Le rappel de l’existence d’une « hiérarchie de consommation » est bienvenu, même si les analyses économiques pouvaient être approfondies. Ainsi, de l’affirmation discutable suivant laquelle les élites auraient transgressé la loi « sous Staline pour répondre aux impératifs du Plan, après Staline pour détourner les profits...

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