Secourir sans périr. La sécurité humanitaire à l'ère de la gestion des risques by Michaël Neuman et Fabrice Weissman (review)

La sécurité des équipes de secours est au cœur de la pratique humanitaire depuis ses origines. Cet enjeu a pris une inflexion technocratique et gestionnaire importante depuis une vingtaine d'années, avec la création de départements de sureté et sécurité dédiés à la prévention et à la gestion des risques. L'impact sur la pratique humanitaire et sur les populations secourues de ces nouvelles pratiques de gestion des risques soulève d'importantes questions, que l'ouvrage Secourir sans périr cherche à creuser de la manière la plus ouverte possible.

Écrit sous la direction de Fabrice Weissman et de Michaël Neuman, respectivement coordinateur et directeur d'études au Centre de Réflexion sur l'Action et les Savoirs Humanitaires (CRASH) de MSF, Secourir sans périr est un ouvrage collectif de Médecins Sans Frontière qui s'appuie sur la collaboration de sept membres de MSF et la participation de deux universitaires externes au mouvement, pour nous fournir un point de vue très critique et argumenté sur les dangers normatifs – et même sécuritaires – des nouveaux dispositifs de gestion de sécurité de l'humanitaire contemporain.

Divisé en trois parties (histoire, théories et pratiques), l'ouvrage s'articule autour des questions suivantes : Les perceptions contemporaines de risques accrus chez les travailleurs humanitaires correspondent-elles à la réalité? Les nouveaux modes de gestion de la sécurité et la professionnalisation de ce secteur pour répondre aux risques sont-ils légitimes? Quelles sont les conséquences des dispositifs de sécurité pour les populations aidées comme pour les secouristes? Qu'est-ce que cet enjeu nous dit de la pratique humanitaire actuelle?

Étudier l'histoire de l'humanitaire nous montre que plusieurs postures traversent le rapport à l'insécurité inhérent aux déploiements des secours. Alors qu'Henry Dunant, le fondateur de la Croix Rouge, pouvait faire l'éloge du courage des combattants et que les secouristes de départ assumaient une part sacrificielle implicite à leur mission, les débuts de MSF s'inscriront dans une posture plus nuancée, qui valorise le risque, tout en marquant un « refus du sacrifice » en accord avec la valeur accordée à la vie véhiculée par l'humanitaire.

Une forme de romantisme et d'approximation dominera l'humanitaire des années 1970, qui s'effacera avec la professionnalisation et la technicisation qui s'imposent dès le début des années 1980. L'efficacité sera le maître mot de cette période, qui verra une croissance importante de MSF et de l'humanitaire en général, sans toutefois que la question sécuritaire soit au centre des préoccupations.

Avec la fin de la guerre froide, la lecture simpliste des conflits qui dominait pendant la guerre froide – souvent réduite à des formes importées de l'affrontement est-ouest – s'évapore, pour laisser place à une impression d'irrationalité des nouveaux conflits, doublée d'une illisibilité des contextes : les ressentiments ethniques, religieux ou tribaux et la guerre économique semblent être devenus les causes principales des nouvelles guerres et de ce fait, les rendent difficilement prévisibles et explicables.

À partir de ce moment, la sécurité devient un enjeu ouvertement discuté dans les milieux de l'aide internationale, au moment même où explose le nombre d'ONG sur les terrains de secours. La nécessité de repenser la sécurité des humanitaires s'impose, ce qui entraine en retour une professionnalisation et une technocratisation de la question sécuritaire. Des formations en sécurité se développent dans les cursus humanitaires, et l'on assiste à la création de départements de sécurité dans certaines ONG, ainsi qu'à une attention accrue à la gestion des risques.

Des études scientifiques quantitatives se penchent sur cette...