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Reviewed by:
  • Mœurs de province. Essais et divagations by François Ricard
  • Hans-Jürgen Greif
François Ricard, Mœurs de province. Essais et divagations, Montréal, Boréal, coll. Papiers collés, 2014, 230 p.

Dans son Avertissement, François Ricard place les jalons pour préparer le lecteur aux vingt-six essais et « divagations » qui l'attendent. En premier lieu, pourquoi avoir choisi le sous-titre de Madame Bovary pour ce livre? La raison en est simple : en parlant du Québec, il faut toujours s'y référer comme à une province canadienne, une parmi d'autres, contrairement à la France, où Paris filtre, avale, digère pour ensuite céder l'aliment à la province (de l'Hexagone). Tout ce qui ne passe pas par la capitale ne vaut pas grand-chose ou est carrément rejeté : « Extra Lutetiam nulla [End Page 411] salus ». Je n'exagère pas : dans son (séduisant) Dictionnaire amoureux du théâtre, Christophe Barbier étale ses étonnantes connaissances du théâtre parisien sur 1 156 pages. Dans cette brique, la province française est aussi absente que la Francophonie, recalée au statut de province extraterritoriale (Plon, 2015). Aucune mention n'est faite des Robert Lepage, Larry Tremblay et Michel Tremblay, René-Daniel Dubois, Réjean Ducharme, Michel Marc Bouchard, Jean-Pierre Ronfard… Consolons-nous, le Québec n'est pas seul à être snobé.

Par conséquent, François Ricard s'exprime, nolens volens, en provincial—sachant bien quels avantages et profits nous, les provinciaux par excellence, pouvons tirer de notre statut : une province ne part pas seule en guerre, et celle du Québec a la renommée d'être particulièrement pacifique (sauf quand il s'agit de hausser les frais de scolarité des étudiants, ce qui provoque alors l'indignation et de grandes manifestations avec bien du bruit, surtout quand les manifestants profitent de la belle saison, sans craindre l'emploi de matraques). De plus, notre vie se déroule dans le calme, nous relaxons après le labeur devant la télé… souvent française, celle de France, même si certaines émissions sont ennuyeuses à faire peur. En fait, le Québec ne s'est jamais vraiment débarrassé de son complexe d'infériorité face à la mère patrie, plutôt de sa marâtre, puisqu'elle a tourné le dos aux arpents proverbiaux où s'accumule la neige, pour ne garder de son immense empire en Amérique du Nord que deux minuscules îles rocheuses, Saint-Pierre et Miquelon, qui lui coûtent un bras. Soyons réalistes mais ne perdons pas l'espoir : pour un long moment encore, le Québec n'aura pas statut de pays et doit se contenter de ce qu'il est, une province, habitée par des provinciaux, incapables « d'admettre [leur] propre condition de provincial ». Une définition qui donne à réfléchir, une première écharde que Ricard nous fait entrer sous la peau. Attendez : il y en aura d'autres.

Pourquoi bon nombre de Français, et pas des moindres, viennent-ils au Québec pour se « ressourcer » puis repartent à Paris après avoir goûté à la détente dans le « désert intellectuel » québécois? La raison est tordue : une fois de retour, ils auraient honte de revenir pour avouer que ce désert n'est pas uniquement fait de dunes mouvantes. À bien y regarder (certains Français suivent la scène culturelle d'ici de très près), des auteurs novateurs, qu'ils soient d'origine belge, suisse, québécoise ou africaine sont intégrés, voire assimilés en un tournemain comme s'ils faisaient depuis toujours partie de l'intelligentsia française. Il ne faut pas se le cacher, les impulsions créatives se développent plus rarement en France, mais en périphérie, moins ennuyeuse que Paris, le moteur aux ratages répétés. Avons-nous des leçons de comportement, de démocratie, de rectitude politique, de tolérance à recevoir de la société française? Écoutons les slogans éloquents de madame Marine Le Pen et n'ayons pas peur de la [End Page...

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