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  • Note de lecture sur Luftschnappen war sein Beruf (Une vie ordinaire, trad. Anne Weber)1
  • Ariane Lüthi

S'il est souvent difficile de traduire des titres, le vers choisi par Anne Weber pour sa traduction d'Une vie ordinaire (1967) est précis, voire empathique: Luftschnappen war sein Beruf, et présent dans le texte original de Perros: "Prendre l'air était son métier." "Ein gewöhnliches Leben," cette "vie ordinaire" mise en relief par le biais du titre volontairement peu spectaculaire du "roman poème," passerait mal en allemand. Le choix d'une accroche différente n'a donc ici rien d'extravagant; au contraire, il correspond intimement à l'intention de l'auteur. Grâce à cette traduction d'Une vie ordinaire, les vers légers et apparemment modestes de Perros peuvent être lus depuis quelque temps par un lectorat allemand ignorant sans doute en grande partie le nom du poète qui a fait de la Bretagne son lieu de prédilection. Les octosyllabes de la version française demeurent chez Anne Weber des vers courts et souples qui avancent, telle une eau vive où le nombre de syllabes varie.

En plaçant dès le titre le motif de l'air au premier plan, Anne Weber souligne d'emblée un aspect essentiel de cette œuvre où courant d'air, vent, respiration ou bouffées d'oxygène sont vitales pour cet homme attiré par la simplicité, voire l'aspect banal des choses et de ce qui répond précisément à la poésie de la vie ordinaire. Dès les premières lignes de son long poème, Perros se présente comme "homme d'un courant d'air":

Je suis l'homme d'un courant d'airqui aurait trouvé sa fenêtreun peu trop vite se lâchantdans la nature sans avoirpris nécessaire rendez-vous [End Page 137]

Ce qui donne, traduit en allemand:

Ich bin der Mann eines Luftzugsder ein bisschen zu schnell seinFenster fand sich absetzte indie Natur ohne den nötigenTermin vereinbart zu haben

Le fait qu'il n'y ait pratiquement pas de ponctuation, juste de temps en temps de rares majuscules signalant le début d'une nouvelle phrase ou d'une nouvelle direction dans laquelle la pensée va se diriger, donne le sentiment d'une langue qui déborde, de mots impatients qui se pressent, voire se piétinent. Qui a lu les Papiers collés du même auteur ne peut s'empêcher de penser aux notes où il est question de la "fabrique" des mots. Certes, les notes sont écrites en prose, mais les phrases serpentent de la même manière que les vers libres d'Une vie ordinaire. Après tout, l'octosyllabe est compatible avec une certaine souplesse rythmique, un prolongement naturel de la phrase ou un grand souffle que l'on ressent aussi dans la version allemande.

J'aimais me sentir dans le ventdans le blé bleu qui pique aux jambesle blé n'est pas bleu je le saismais un mot en amène un autreet tout a la couleur du cielquand notre œil est en nouveauté.

Ich mochte es mich im Wind zu spürenim blauen Weizen der die Beine stichtder Weizen ist nicht blau ich weißaber ein Wort gibt das andereund alles hat die Farbe des Himmelswenn unser Auge auf neu eingestellt ist.

Le rythme et la respiration sont en effet souvent thématisés dans ces vers, ainsi lorsqu'il est question de respirer "en arrière," c'est-à-dire à l'envers: "C'est quand on respire en arrière / que le malheur creuse son trou." Et en allemand: "Nur wenn man rückwärts atmet / gräbt das Unglück seine Grube." Anne Weber respecte de très près l'original. L'octosyllabe ne permet pas la grande rhétorique du décasyllabe ou de l'alexandrin; c'est précisément ce que la traductrice reproduit dans ses vers denses où tout [End Page 138] élément superflu a disparu. Comme par exemple dans...

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