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  • La force de gouverner. Le pouvoir exécutif en France, XIXe–XXIe siècles by Nicolas Rousselier
  • Anne Simonin
Nicolas Rousselier
La force de gouverner. Le pouvoir exécutif en France, XIXe–XXIe siècles
Paris, Gallimard, 2015, 828p.

Identifié à un passé monarchique détesté sinon abhorré, le pouvoir exécutif est longtemps apparu comme une menace pour la République démocratique. «Du coup, plutôt que de vouloir l’organiser afin de l’articuler à l’ensemble de la démocratie politique, les républicains ont imposé au pouvoir exécutif un procédé de soustractions successives » (p. 34). Refuge institutionnel possible de l’ambition personnelle, de l’arbitraire, de l’excès et des abus de pouvoir, le pouvoir exécutif se devait d’être dominé par le pouvoir législatif. Dans le narratif républicain du long XIXe siècle, de 1870 à l’avantguerre, le rejet du pouvoir exécutif tenait à la fois lieu d’« article central » (p. 37) en termes d’identité politique et d’outil pour la promotion du suffrage universel, le seul moyen d’établir la primauté indiscutable du pouvoir législatif.

C’est aux monarchistes, majoritaires dans l’Assemblée nationale de 1871, que l’on devrait la première avancée significative dans la définition d’un pouvoir exécutifmoderne, en charge de la politique extérieure de la nation et fondé, en matière de politique intérieure, sur le principe de la responsabilité des ministres. S’efforçant d’instiller les restes épars de la tradition monarchique dans la gestation de la République, cette première pensée constitutionnelle du pouvoir exécutif a eu une visée politique pacifiante : son ambition était davantage d’établir la dignité de la fonction exécutive que de la doter de compétences spécifiques. Il s’agissait d’opposer à l’aura de la souveraineté populaire la majesté d’un président de la République qui ne pouvait mal faire, puisqu’il était irresponsable (hormis le cas de haute trahison). Cependant, dès 1875, les monarchistes sont hors jeu. Et la toute jeune IIIe République doit faire avec un pouvoir exécutif faible. L’invention du parlementarisme rationalisé par Jules Ferry, avec la notion de « majorité restreinte », ne parvient qu’exceptionnellement, entre 1881 et 1885, à garantir la stabilité de l’action gouvernementale.

Mais qui dit pouvoir exécutif faible ne dit pas nécessairement gouvernement inefficace. Les deux chapitres que Nicolas Rousselier consacre à la « fabrique » et à la mise en œuvre de la loi de 1905 sur la séparation de l’Église et de l’État attestent l’efficacité du régime d’assemblée : « Alors qu’il s’agit d’une des réformes les plus importantes de l’histoire du régime républicain, et même de la plus grande réforme des temps modernes selon la formule avancée par Émile Combes, [la loi de 1905] apparaît comme un pur ‘produit’ du travail parlementaire » (p. 123).

La IIIe République renouvelle la question de la distribution des pouvoirs en imaginant une solution inédite, un droit spécial que le juristeMaurice Hauriou, dans son Précis de droit constitutionnel (1892), invente autant qu’il légitime : le droit administratif. Considéré sous l’Empire, en 1800, comme un instrument de la tyrannie de l’État sur la société, le droit administratif devient, sous la plume du juriste conservateur, l’instrument de défense de l’« intérêt [End Page 815] public suprême ». Bien davantage que l’hypothétique souveraineté nationale prise aux pièges des luttes des partis politiques dans l’enceinte parlementaire, que la loi comme expression d’une introuvable souveraineté générale, « la puissance publique » armée du bras du « règlement » marque le triomphe du pouvoir de l’État et, avec lui, d’un pouvoir exécutif devenu force collective. Les recours pour excès de pouvoir déposés par les citoyens devant le Conseil d’État grimpent de 186 en 1890 à 1 160 en 1906. Ils attestent qu’en régime d’exécutif faible, gr...

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