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Reviewed by:
  • Gender and Decolonization in the Congo. The Legacy of Patrice Lumumba by Karen Bouwer
  • Karine Ramondy
Karen BOUWER.– Gender and Decolonization in the Congo. The Legacy of Patrice Lumumba, New York, Palgrave Macmillan, 2013, 247 pages.

À quelques heures de l’indépendance de la jeune République du Congo, Pauline, la femme de Patrice Lumumba, est inquiète : son mari va devenir premier ministre et elle pense qu’il va être tenté de prendre une nouvelle femme plus éduquée, plus « européanisée », pour tenir son rôle auprès de lui dans les cérémonies diplomatiques. Elle organise une manifestation de femmes pour protester contre le possible comportement de son mari et des futurs ministres.

Le pari de Karen Bouwer est original et audacieux : utiliser la figure de Patrice Lumumba (1925-1961), le leader charismatique congolais mort assassiné en 1961 et devenu mythique, pour favoriser la recherche sur le genre et la décolonisation. Cette initiative place au centre la cellule familiale, comme un espace de contestation des rapports de genre. L’autrice met en lumière les interconnexions entre les sphères privée et publique de Patrice Lumumba à un moment clé de l’histoire de la jeune République du Congo. Karen Bouwer revient aussi sur la manière dont la construction mémorielle de la figure du leader congolais a participé à l’occultation des femmes et de leur rôle durant cette période, contribuant ainsi à l’émergence d’une mémoire sexuée de l’indépendance.

Les chapitres 1 et 2 révèlent le décalage entre les idées théoriques de Patrice Lumumba sur les femmes congolaises, exprimées dans ses écrits, et ses propres actions envers les femmes dans sa sphère privée. La radicalisation politique progressive du leader est soulignée par l’autrice, la rupture de 1958 est réaffirmée : la participation de Patrice Lumumba à la Conférence des peuples africains, qui se tient à Accra le [End Page 163] 5 décembre 1958, a conduit à son éveil politique panafricain et à la cause féminine. Néanmoins, dès 1956, dans Le Congo terre d’avenir est-il menacé?, il consacre de nombreuses pages à la condamnation des mariages arrangés, de la déscolarisation précoce des filles, des hommes qui se comportent en « roitelets » en vivant très largement aux dépens de leur famille. Il revient également sur les nombreuses charges fatigantes qui pèsent sur les femmes, l’absence prolongée des hommes du foyer (absences que Pauline Lumumba reprocha beaucoup à son mari) et la nécessité que les femmes deviennent des partenaires à part entière des hommes. En 1958, il encourage la création de l’Union des femmes démocratiques du Congo1. Mais, parallèlement, des contradictions persistent : dans ses discours, Lumumba s’adresse avant tout à « ses frères » et particulièrement aux « évolués », il réaffirme dans ses écrits que la place des femmes est à la maison en dépit d’une potentielle éducation. Karen Bouwer en profite pour dresser un état des lieux de la condition des femmes au Congo belge : la colonisation a transformé les pratiques initiales en imposant la monogamie et l’indissolubilité du mariage, mais aussi en réduisant les droits des femmes sur les exploitations agricoles. En 1960, 9 % des Congolaises entre 5 et 19 ans étaient scolarisées ; la première diplômée, Sophie Kanza, sort de l’université de Lovanium en juin 1961. Pauline, la femme de Lumumba, n’a pas été à l’école, elle n’a pas, comme lui, suivi des cours du soir. En 1956, le leader congolais crée « l’association libérale » pour éduquer les femmes congolaises mais il n’aurait pas poussé sa propre femme à s’instruire, la confinant à des tâches domestiques dans la sphère privée. Karen Bouwer revient également longuement sur le statut de « l’évolué » qui nécessitait une immatriculation de la part des autorités belges, statut auquel aucune femme congolaise n’eut droit.

À travers le parcours d’Andrée Blouin et de Léonie Abo (chapitre 3 et 4), figures méconnues de la d...

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