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Reviewed by:
  • Du front à l’asile, 1914-1918 by Hervé Guillemain and Stéphane Tison
  • Grégory Dufaud
Hervé Guillemain et Stéphane Tison Du front à l’asile, 1914-1918 Paris, Alma éditeur, 2013, 416 p.

Cet ouvrage s’intéresse aux soldats victimes de troubles psychiatriques pendant la Première Guerre mondiale. Son propos ne se limite pas au traumatisme de guerre qui a déjà fait l’objet de nombreuses études et d’une attention importante de la part de l’historiographie. Il cherche à rendre compte de l’expérience ordinaire de la folie et à montrer les outils thérapeutiques dont disposaient les psychiatres de l’époque. Pour ce faire, les auteurs adoptent une approche visant à « rétablir la continuité entre l’avant-guerre et le conflit; [à] être attentif à la variété des pratiques de prise en charge des soldats » (p. 26). En conséquence, ils s’intéressent moins au centre neurologique qu’à l’asile et autant à la parole des patients qu’au discours des médecins. L’absence de mention géographique dans le titre du livre pourrait laisser penser que l’enquête porte sur l’ensemble du territoire français, mais elle ne concerne en réalité que la IVe région militaire, soit les départements de la Sarthe, de la Mayenne, de l’Orne, de l’Eure-et-Loir et un pan de la Seine. Les auteurs mobilisent des archives issues des fonds des asiles du Mans, de Mayenne et d’Alençon. Un recensement partiel fait état de plus de 5 000 admissions entre l’été 1914 et le printemps 1919.

L’ouvrage est organisé en quatre parties. Il débute en montrant l’afflux de soldats dans les asiles lors des premières semaines du conflit: dans la IVe région militaire, ce sont 20 % des soldats aliénés qui sont internés de l’entrée en guerre en août à la stabilisation du front en octobre. Les admis comptaient des soldats qui s’étaient effondrés avant même de combattre. [End Page 272] Hervé Guillemain et Stéphane Tison expliquent cet effondrement par la force des représentations de l’ennemi et les peurs qui ont saisi les soldats mobilisés, reprenant l’hypothèse des psychiatres qui postulaient une grande intensité des émotions. Les soldats choqués au front représentaient pour les médecins une énigme qui ne cessait de les intriguer. Leur difficulté à formuler un diagnostic fiable attestait de leur embarras quant au rôle joué par les événements dans l’apparition des maladies mentales. L’enjeu était d’importance puisqu’il renvoyait à la question de l’origine – environnementale ou organique – des pathologies mentales. En obligeant les psychiatres à revenir sur ce problème, la guerre faisait ainsi rebondir une controverse que la victoire des thèses organicistes paraissait avoir éteinte. Les états de choc n’ont pas été les seuls à faire l’objet d’une interrogation d’ordre étiologique. Il en était de même des psychoses que le conflit a révélées et qui ont été individualisées en nouvelles entités cliniques. Ainsi du « cafard », à propos duquel les hypothèses environnementales sur l’état de morbidité des soldats coloniaux formulées par les médecins ont été reprises.

Une partie de ces soldats réformés pour troubles mentaux a été « récupérée » pour pallier les pertes humaines, l’armée passant outre ses propres critères d’exemption. Mais ces récupérés ont rarement fait de bons soldats et leur situation a, en conséquence, été révisée plusieurs fois. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, la fin de la guerre n’a pas arrêté les admissions dans les asiles, qui connurent même un nouveau pic avec les soldats atteints de troubles différés ou de paralysies générales.

Traitant des lieux de prise en charge de la folie, la deuxième partie commence par retracer la naissance de la psychiatrie militaire dans son lien à la médecine légale et à la conscription généralisée. Le développement de cette spécialité revient...

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