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  • Le massacre des Italiens. Aigues-Mortes, 17 août 1893 by Gérard Noiriel
  • Alexandra Oeser
Gérard Noiriel Le massacre des Italiens. Aigues-Mortes, 17 août 1893 Paris, Fayard, 2009, 294 p. et 8 p. de pl.

Dépassant les explications rapides et anachroniques du simple racisme, Gérard Noiriel analyse dans cet ouvrage « le plus grand ‘progrom’ de toute l’histoire contemporaine de la France » (p. 9), qui coûta la vie à au moins huit Italiens dans les salins d’Aigues-Mortes à la fin de l’été 1893. Contrairement au massacre d’État, décrit par Alain Dewerpe dans son livre sur Charonne, il a été perpétré par des gens ordinaires. S’il s’est déroulé sous les yeux des autorités locales (les gendarmes, le juge, le maire), ces dernières semblent avoir fait de leur mieux pour protéger les victimes. G. Noiriel dévoile l’un après l’autre les différentes dimensions et niveaux d’explication du massacre: politique, social, économique, mais aussi local, national, international.

Le livre trouve son origine dans un projet théâtral. Il en conserve les exigences littéraires, dont la description dense des acteurs et un amour du détail qui, pour autant, ne perdent jamais les grandes lignes de l’argumentation, et les quatre chapitres qui le composent pour-raient être les actes d’une pièce. Le premier décrit une société impossible, la ville d’Aigues-Mortes et ses salins à la fin du xixe siècle, où quatre groupes de populations s’affrontent chaque été au moment de la levée du sel dans des conditions difficiles: les Aigues-Mortais « de souche », implantés dans la ville depuis plusieurs générations, qui comptent parmi eux quelques « nouveaux-arrivés » venus des alentours, parfois d’Italie, pour y tenir des commerces; les « Ardéchois », paysans des montagnes environnantes, qui viennent chaque été par milliers dans les marais pour y chercher du travail; les « trimards », ces vagabonds plus pauvres encore qui survivent grâce aux petits larcins et qui, l’été, rejoignent les Ardéchois pour leur disputer les places dans les équipes de travail de levée du sel; enfin, les « Piémontais » qui, eux aussi, viennent des villages de montagne et tentent de nourrir leurs familles restées au loin grâce à une saison de travail dans les salins.

Tout ce petit monde se retrouve chaque été dans une ville qui ne dispose pas plus d’eau potable que d’hébergements suffisants pour environ 2 000 ouvriers, hommes, jeunes, souvent instables, parfois violents, qui doublent chaque année la population aigues-mortaise. Les trois derniers groupes sont exposés à des conditions de travail extrêmement difficiles. La Compagnie des salins du Midi les emploie sur une courte durée pour effectuer un travail de forçat qui consiste à battre le sel (à la pioche) puis à le transporter pour enfin le stocker en « camelles » (énormes tas de forme triangulaire) sous le soleil d’août, sans abri ni eau, avec, en toile de fond, une révolution indus-trielle à venir et la crise économique qui secoue cette société encore traditionnelle de la France de la fin du xixe siècle.

C’est dans ce contexte que se déroule ce que G. Noiriel appelle le « scénario » (p. 11), deux rixes entre travailleurs piémontais et français. L’auteur analyse le rôle de la virilité entre ouvriers qui pousse les « trimards », usés par leur vagabondage, souvent malades et sans accès aux soins, à mettre en cause les Piémontais, [End Page 252] dont la socialisation villageoise est à l’origine d’une valorisation de la force physique qui leur permet de lever des poids beaucoup plus importants que leurs concurrents français et donc d’être plus efficaces dans les salins. Cette analyse fine des mécanismes genrés à l’œuvre dans des groupes d’hommes ne trouve toutefois pas d’équivalent du côté des femmes.

Peu d’entre elles apparaissent dans l’ouvrage, mais elles y jouent un rôle particulièrement positif: les femmes participent à des « actions de solidarité » (p. 67...

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