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  • Histoire sociale du football
  • Loïc Artiaga
Marion FONTAINE. – Le Racing Club de Lens et les « Gueules Noires ». Essai d’histoire sociale, Paris, Les Indes savantes, 2010, 291 pages. « Rivages des Xantons ». Préface de Christophe Prochasson.

Version condensée d’une thèse de doctorat en histoire soutenue en 2006, le livre de Marion Fontaine est consacré au club de football du Racing Club de Lens (RCL). Depuis les années 1980 et les premiers travaux de sciences humaines et sociales dédiés au football, les historiens ont souvent délaissé l’exercice de la stricte monographie de club1 au profit d’analyses portant sur les grandes compétitions internationales, les politiques athlétiques et, plus récemment, les circulations des cultures sportives. L’échelle du club a toutefois été mobilisée dans des études fondatrices, qui ont mis en lumière la façon dont leur gestion par le patronat, à partir des années 1930, participait de la construction d’un « paternalisme sportif » moderne, à la fois soucieux de l’image des entreprises et de la bonne préparation des ouvriers à « l’esprit de concurrence ». L’essai de Marion Fontaine apparaît ainsi dans un paysage historiographique où les cas de la Juventus de Turin, instrumentalisée par la Fiat, ou du Football Club de Sochaux, dominé par Peugeot, ont été questionnés dans des perspectives d’histoire sociale2.

Le choix d’un tel sujet pose donc des questions d’ordre épistémologique : qu’estce que faire l’histoire d’un club et pourquoi écrire cette histoire ? Marion Fontaine choisit de situer son objet « à la frontière du jeu et des Mines, à la frontière de l’histoire du sport et du monde ouvrier ». Elle suit, en trois parties chronologiques, la traversée du XXe siècle qu’opère le RCL, des années 1930 (la construction du stade Bollaert, la professionnalisation) au premier titre de champion de France, obtenu tardivement, en 1998. Elle relate l’émergence puis l’avènement d’un club dans le paysage du football national. Ses derniers chapitres sont consacrés au renouveau du club, sur fond de crise du monde de la mine.

Avec une qualité de plume que l’ouvrage ne dément jamais, Marion Fontaine introduit son sujet en le situant au cœur du stade Bollaert, construction privée monumentale, aujourd’hui capable d’accueillir plus de spectateurs que Lens ne compte d’habitants. On comprend, à travers la situation géographique de l’équipement qu’inaugure la Société des Mines en 1933, l’emprise de la compagnie sur le territoire lensois. Placé entre le centre-ville et le vaste conglomérat des cités des mines, le stade est le signe visible des formes de ségrégation « sociale, ethnique et ludique » qui caractérisent le bassin lensois. Le RCL, fondé en 1906 par la jeunesse des classes moyennes du centre-ville, est d’abord soutenu par la municipalité socialiste. Mais le passage au professionnalisme implique un « changement de camp » : à partir de 1934, le RCL, désormais dirigé par la compagnie, prend pour domicile le [End Page 145] stade Bollaert. Le club intègre alors un système sportif paternaliste où il se distingue des associations amateurs : il n’a pas la mission d’éduquer les corps et les âmes à travers l’activité physique, mais celle de produire une équipe performante et spectaculaire, composée de joueurs achetés, puisés dans le bassin ou fruits d’une « émigration purement sportive ». Marion Fontaine montre que l’attachement des mineurs au football, sport né hors du monde ouvrier, n’est en rien spontané. Le spectacle du football, dans les années 1930, apparaît comme un loisir parmi d’autres, qui doit se faire une place parmi les ducasses des cités, les concours colombophiles, les courses cyclistes, les concours nautiques, les meetings, les réunions syndicales, les braderies, les fêtes, les bals et les séances de cinéma. L’Occupation, singulièrement, profite au football, moins soupçonné que d’autres délassements de favoriser le militantisme ou les élans patriotiques, tandis que la pression plus forte que subissent les mineurs au...

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