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  • De la tradition à l’histoire. Éléments pour une généalogie du concept d’histoire à partir des controverses religieuses en France, 1669-1704 by Nicolas Piqué
  • Jean-Pascal Gay
Nicolas Piqué De la tradition à l’histoire. Éléments pour une généalogie du concept d’histoire à partir des controverses religieuses en France, 1669-1704 Paris, Honoré Champion, 2009, 817 p.

La position défendue par Nicolas Piqué dans l’ouvrage tiré de sa thèse de doctorat, soutenue en 2002, est d’une singulière importance et suffit à faire de ce livre un texte de référence. [End Page 461] Il y a cependant fort à craindre que les défauts formels de l’ouvrage – qui demeure encore très proche d’un mémoire dans sa présentation typographique, dans son organisation et dans son écriture–, joints au goût de l’auteur pour les didascalies et à une réelle difficulté à éviter les répétitions (on trouve des définitions de l’histoire et de ses caractéristiques jusqu’aux dernières pages du livre) ne contribuent à en décourager la lecture et à en limiter la réception.

Or la thèse qui émerge très clairement de ce livre, à partir d’une analyse qui assume sans réserve sa position disciplinaire dans le champ de l’histoire de la philosophie de l’histoire, a des conséquences tant pour l’histoire des sciences sociales, plus particulièrement de l’histoire, que pour l’histoire des christianismes modernes et, plus largement, des rapports de long terme entre religion et modernité. Les dernières phrases du texte expriment parfaitement ce que le moment des controverses interconfessionnelles du dernier tiers du XVIIe siècle a de déterminant dans l’émergence d’une pensée de l’histoire et ce que cette émergence a elle-même de décisif : « Le changement de paradigme de l’histoire participe […] des bouleversements introduits par la modernité, au même titre que la réflexion scientifique. De manière analogue aux scientifiques, les historiens sont amenés à considérer les faits pour et par eux-mêmes, au-delà du statut qualitatif qu’ils conservaient encore pour la tradition. La modernité n’est pas uniquement le résultat des révolutions scientifiques; rapportées à l’objet que constitue l’histoire, les controverses théologiques ont également et pleinement participé à son avènement » (p. 775).

La contribution des controverses théologiques à l’émergence d’une pensée de l’histoire – dont la condition de possibilité est la rupture avec l’herméneutique de la temporalité de la tradition – est d’autant plus importante qu’elle est doublement spécifique. D’une part, la controverse, par une sorte de ruse de l’histoire, fait émerger la rupture de l’herméneutique traditionnelle du lieu même de la défense de la tradition : l’apologétique et la controverse. D’autre part, cette rupture résulte de dynamiques proprement religieuses. La rupture entre la sphère divine et le monde humain, qui est la condition théorique de possibilité d’une pensée de l’histoire, « a surtout des fondements religieux. C’est dans des termes théologiques qu’elle a été réfléchie » (p. 770).

La thèse de l’ouvrage concerne au premier chef l’histoire de l’histoire en relativisant le topos, encore trop fréquent, selon lequel le dépassement de la lecture providentialiste de l’histoire serait le résultat d’une laïcisation du savoir historique. Mais elle intéresse aussi fortement l’historien du religieux en ce qu’elle appelle à repenser le régime d’historicité dans lequel vivent les christianismes, passé ce moment de la « crise de la conscience européenne » dont l’auteur, à la suite de Paul Hazard, illustre l’importance décisive. Dans ce changement du rapport de la théologie et des théologiens au temps se joue certainement quelque chose d’essentiel pour les rapports intellectuels, mais aussi culturels ou politiques, entre les communautés religieuses et les sociétés dans lesquelles elles s’inscrivent.

La démonstration repose sur un corpus restreint et clairement identifi...

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