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  • Disparition et témoignage. Réinventer la résistance dans l’Argentine des « Mères de la Place de Mai » by Alice Verstraeten
  • Joannie Jean
Verstraeten, Alice, Disparition et témoignage. Réinventer la résistance dans Γ Argentine des « Mères de la Place de Mai », Québec : Presses de l’Université Laval, 2013, 158 pages.

Aux prises, à divers degrés, avec la violence d’État, les pays de l’Amérique latine ont connu, depuis les années soixante, de constantes luttes mémorielles, poussant à la fois les habitants de la région et les universitaires à s’interroger sur le sens à donner aux passés dictatoriaux en période de sortie de régimes autoritaires. L’ouvrage d’Alice Verstraeten sort toutefois de cette question mémorielle alors qu’elle appréhende de manière originale le cas particulier des mères de « disparus » en Argentine. En effet, dans Disparition et témoignage. Réinventer la résistance dans l’Argentine des Mères de la Place de Mai, l’auteure se concentre sur la résistance des actrices qu’elle étudie aux politiques mémorielles officielles. En soulignant le caractère particulier du travail de revendication effectué par ce regroupement de femmes, Verstraeten met en lumière l’alternative adoptée par ces dernières faces aux inatteignables buts que sont la « vérité complète », la « mémoire intégrale » et la « justice totale ». Dans le cadre de cette recension, nous aborderons l’ouvrage de Verstraeten à partir de trois thématiques qui sont traitées transversalement dans celui-ci : la résistance au silence et à la disparition, la résistance au pardon et à la réconciliation, et finalement la dénonciation théâtralisée de l’impunité dans l’espace public.

La problématique de la « disparition forcée » a été traitée par plusieurs auteurs. Tous s’entendent pour dire que celle-ci doit être comprise comme une expérience limite où le disparu est à la fois présent et absent, vivant et mort1. Alors que les corps de proches sont retirés de la société civile, leurs familles leur attribuent une nouvelle identité : celle de « disparus ». En effet, tel que le souligne Verstraeten à la suite d’Agosín (1993), en étant confrontés au phénomène de la disparition forcée, les proches de disparus mettent de l’avant une nouvelle forme de subjectivité politique afin de non seulement expliquer l’absence soudaine d’individus, mais également de dénoncer le silence et le déni maintenu par les administrations à leur sujet. Le témoignage devient donc une forme de résistance, une rupture avec le silence imposé par les militaires pendant la dictature. Le fait de parler devient ici une stratégie de dénonciation, tout en rendant visible la disparition dans l’espace public. Le témoin apparaît ainsi être selon Verstraeten à la croisée de deux chemins. Effectivement, ce dernier doit choisir entre deux types de violence : soit celle du silence, qui perpétue la violence des bourreaux, ou celle de la dénonciation, qui évoque par le fait même la violence perpétrée par ces derniers. Pour les participants de la recherche de l’auteure, « dire » équivaut à résister à la disparition en redonnant une existence aux « disparus ». De plus, plusieurs décennies après les événements, « dire » c’est aussi transmettre la lutte contre l’impunité et au même moment lutter pour la vérité et contre l’oubli.

En sortie de régime, les formes de résistance ont évolué afin de s’adapter à la transition vers la démocratie. Or si cette transition s’est opérée, elle n’est pas synonyme de la réapparition « en vie » des « disparus ». À la suite de l’annulation des lois d’amnistie en 1983 de même que la traduction en justice de grandes figures de la dictature, le gouvernement argentin a adopté diverses mesures pour pardonner les bourreaux. Ces mesures, soutient Verstraeten, traduiraient une volonté d’évitement des conflits afin de préserver entre autres l’unité nationale. Cette politique du pardon, qu’elle qualifie de « volontariste », est accompagnée...

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