University of Nebraska Press
  • La Contagion de l’écho: “L’Obsession” de Charles Cros

Charles Cros’s comic monologues are less famous than his collections of poems Le Coff ret de Santal and Le Collier de griffes, though they were theorized by contemporary actors such as Coquelin cadet, and more recently analyzed by scholars from Daniel Grojnowski to Françoise Dubor. In this study of “L’Obsession” (written and performed in 1878), I argue that the technique of voice and diction tends to liken language and the flow of words to a mental disease. In connection with the clinical experiments that Charcot carried out in the Salpêtrière or with French psychiatric concepts and studies that influenced his sense of drama and onstage recitation, the way in which Cros focuses on his monologue’s verbal and physical tics brings to light a new theory of echo and poetic phrasing not only based on repetitions but also deeply rooted in the speaker’s body. (In French)

Moins fréquentée que Le Coff ret de santal, la série des monologues comiques de Charles Cros rassemble les éléments d’une poétique singulière qui trouvent racine aussi bien dans l’émancipation de la parole dite lyrique en dehors de la sphère parnassienne que dans les expériences zutiques, l’oralité de la chanson populaire ou même les recherches scientifiques de l’écrivain.1 Si elles ont donné lieu à un véritable phénomène de mode dans le dernier quart du XIXe siècle, l’extravagance et l’excentricité qui caractérisent un tel genre y inscrivent pourtant la théâtralité de la voix dans le registre pathologique. Non seulement parce que les personnages déclinent de nombreux troubles et affections, liant la manière du poète, et plus largement l’histoire et l’épistémologie de ce concept en littérature à l’une de ses sources, celle de manie;2 mais parce qu’en conjuguant le besoin de dire à la nullité voire à l’insignifiance de cette parole impossible à réprimer, ils exhibent à même le corps ce dont l’instance n’est plus elle-même qu’un symptôme. Le monologue [End Page 63] chez Cros ne met pas simplement en scène des pathologies verbales. Comme art de dire il désigne plus globalement le langage comme maladie du sujet. La vis comica qui l’habite tient au fait qu’elle donne sa pleine intensité à une crise de la valeur. À ce titre, elle n’engage pas la seule figure de l’acteur. À l’image de l’épuisant et insistant retour des déterminants possessifs et autres signaux actanciels de “La Propriété,” “mon,” “ma,” “mes,” autant d’indices qui tiennent à la grammaire et à l’énonciation de la langue,3 elle s’étend de locuteur en locuteur. Ainsi, la communication paradoxale du monologue, a priori égocentrée, devient soudain virale. L’invention du collectif, plus encore que la présence du diseur devant un public donné, affecte cet anti-théâtre d’une dimension politique qui doit elle-même se comparer à une forme de contagion. Ce n’est pas un hasard si à côté du “Bilboquet” à la “note plus profonde, plus philosophique,” dans la série des monologues “L’Obsession” réalise selon Coquelin cadet “le type, l’incarnation absolue” (12–13) du genre. Histoire malheureuse d’un suicide manqué, la prise de parole advient comme phase post-traumatique. Elle prend la suite d’un accident dont en vérité elle résulte. Sous l’espèce du tic, sinon psychique du moins verbal, qui gouverne dans son intégralité le texte, elle entretient délibérément la confusion entre deux champs, clinique et poétique. Elle instaure l’écho fou du monologue.

l’économie de la répétition

En tête de la cinquième série des Saynètes et monologues, le texte est précisément intitulé: “L’Obsession/Monologue en prose/par X & Charles Cros” (2). Le balisage générique et formel se combine à un procédé déjà éprouvé dans l’Album zutique, entre autres les signatures apocryphes ou anonymes. En mettant de la sorte en défaut l’auctorialité, l’enjeu n’est peutêtre pas d’identifier et de reconnaître quelque collaborateur, improbable ou même fictif. En admettant qu’il fût réel, il resterait cependant à savoir pourquoi il se dissimulerait. Dans tous les cas, en plus d’instaurer une double voix au cœur de l’instance créatrice, cette lacune référentielle induit une forme de distance. Elle confisque une lecture à l’avance trop sérieuse, sans en évacuer la gravité. C’est ce que semble suggérer l’épigraphe “air de l’obsession,” suivie des paroles et de la mélodie dans le volume collectif (voir la page musicale en annexe). Coquelin cadet rappelle qu’il s’agit du Saltarello de Florimond Hervé (112). Cette précision liminaire sert d’indication de timbre, et comme dans la technique de la chanson, invite à considérer le monologue lui-même comme une variante sur un refrain connu, réalisant une espèce nouvelle de parodie. [End Page 64]

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“L’Obsession, monologue en prose par X & M. Charles Cros” (Saynètes et monologues 2)

[End Page 65]

Au-delà de la référence à l’opéra-comique, s’il accompagne le récit, l’important est que cet air est chanté au moins trois fois par le personnage (plus ou moins intégralement), et repris selon les didascalies (“même air”) six autres fois, comme s’il donnait à la diction son rythme plus encore qu’à l’aventure drôle et funeste qu’elle retrace. Or non seulement il s’empare intégralement du corps du locuteur, “je faisais sonner mes bottes sur le trottoir” (Cros 267), le contrôle et le dirige, et il n’est pas à exclure dans ce cas précis un effet scénique en phase avec la mesure 6/8 et le tempo allegretto recommandés sur la page musicale; mais par sa persistance continuelle et même fatale au personnage l’air devrait à terme faire le siège de tous les esprits, comme si à leur tour les spectateurs ne pouvaient pas ne plus l’entendre. Enfin, s’il porte et condense toute l’économie de la répétition dans le texte, l’air de l’obsession active de façon ludique un lieu commun, qui appartient plutôt à la rhétorique profonde de la poésie moderne, notoirement les “fleurs maladives” de Baudelaire (1: 3).

En effet, un texte du même nom, néanmoins dépourvu du déterminant article, “Obsession,” succède à la séquence des “Spleen” dans la deuxième édition des Fleurs du mal en 1861. Il y a loin cependant entre la vie citadine et mondaine, évoquée obliquement dans le monologue, depuis le théâtre jusqu’à la gare et aux bords de Seine chez Cros, et les sensations d’horreur métaphysique inspirées chez Baudelaire par la démesure d’un décor naturel qui va des bois à l’océan et à la nuit. Dans les deux cas, l’obsession et son air sont bien inséparables cependant d’une logique de l’écho. Dans “Notes nouvelles sur Edgar Poe” et son étude sur Théophile Gautier, Baudelaire articule l’obsession et l’idée fixe sur la base de retours prosodiques, de refrains et de variantes, au sens du beau (2: 111, 336). Ainsi décrite, la logique de ressassement se voit de la sorte soustraite au domaine strictement psychologique. Elle trouve son unité à l’échelle du rythme et de la grammaire, sous l’espèce de la rime, du vers ou de la phrase.

Le monologue de Cros rompt à double titre avec la perspective développée par Baudelaire, d’une part en puisant dans les moyens propres à la prose et d’autre part en se destinant prioritairement à la récitation. Dans ce cadre, les mécanismes de répétition appartiennent d’emblée à une théâtralité de la voix. Non qu’à travers le corps de l’acteur, ainsi matérialisée l’instance fictive de l’histoire regagne ce qu’elle avait perdu, une profondeur de l’âme. Au contraire, la per sona convoquée en public s’apparente davantage à un type voire à un stéréotype doué de parole qu’à une singularité aux traits psychiques complexes. Le sujet qui s’exhibe chez Cros décline son évanescence et son inconsistance. S’il s’apparente en bien des points à la marionnette, nouvel opérateur dramaturgique qui sert au tournant des XIXe et XXe siècles à repenser le statut de l’acteur (de Maeterlinck à Craig), c’est en explorant [End Page 66] néanmoins une zone de proximité et d’incertitude avec la maladie mentale,4 ainsi que le trahissent certaines remarques préliminaires de Coquelin cadet:

Vous entrez en scène la physionomie un peu bouleversée, le corps légèrement automatique; une parfaite assurance conviendrait aussi peu que possible au personnage falot du monologue comique. Ceci est extrêmement sérieux. Ayez l’allure d’un monsieur qui arrive de la lune; sans exagération, bien entendu; soyez concentré, obsédé, très inquiet, mais pas halluciné: vous êtes un sujet théâtral, non un sujet médical. Vous appartenez à la scène, non au docteur Charcot.

(92)

La leçon jadis attachée par Diderot au “paradoxe du comédien” permet d’autant mieux de ne pas confondre les deux instances, et de maintenir la spécificité du point de vue dramatique, comme le sens du spectacle. Le public n’est pas assimilable à une assemblée de docteurs de la Salpêtrière; quant au personnage, pour être désorienté et maniaque, il n’est pas un pur sujet d’observation. De même que chez Baudelaire l’idée fixe advenait par les marques prosodiques et grammaticales du texte, le sujet de Cros n’en agit pas moins selon des conventions réglées. Mais alors que l’obsession semblait n’être jusque-là qu’un rôle parmi d’autres au sein d’un répertoire ouvert, les phénomènes auxquels elle se rapporte,—traités au rang de symptômes (“soyez concentré, obsédé, très inquiet, mais pas halluciné”),—montrent qu’elle serait plutôt constitutive de la comédie. Ainsi, le rapport absolument motivé qui se noue entre les deux instances se révèle à double entente: si le sujet théâtral est l’interprétant du sujet médical, le champ clinique sert cependant à catégoriser l’activité dramaturgique.

sujet théâtral et sujet médical

Le “docteur Charcot” apparaît ainsi comme le métonyme des expériences et des connaissances en cours de la psychiatrie moderne.5 Comme notion nosographique, l’obsession indexe avec elle un appareil de discours et de savoirs constitués et institués dans le dernier quart du XIXe siècle. Dans les Leçons du mardi à la Salpêtrière, l’équipe de Charcot s’intéresse plus particulièrement au tic, dans la continuité des recherches de Gilles de la Tourette. Études de cas à l’appui, elle montre que la convulsion physique a trait souvent à des troubles qui surviennent dans le mécanisme de l’idéation. Comme révélateur d’une pathologie plus complexe, le tic moteur se double donc toujours d’un tic psychique, plaçant en conséquence ce phénomène sous “le régime mental des idées fixes, obsédantes, impulsives” (Charcot 16).

De manière significative, l’insistance des médecins porte sur la coprolalie et l’écholalie dont, en plus des interjections et des onomatopées, les syllabes [End Page 67] activées en fin de syntagme dans “L’Obsession” de Cros (268) illustreraient une variante humoristique: “c’est l’express, press, press, press,” “c’est désolant, lan, lan, lan, lan,” “ne m’en parlez pas, pa, pa, pa, pa.” Pourtant, si le procédé s’appuie sur la dernière unité du mot qui précède immédiatement, et tend de la sorte vers la manie, il ne s’organise pas en situation de dialogue, comme lorsque le patient qui souffre réellement d’écholalie interagit en répétant ce que vient d’énoncer son interlocuteur. C’est sur l’air obsédant que le sujet devient obsédé, puisqu’il en reprend sans cesse le schéma mélodique, même si en dernier lieu le refrain ne dévoile qu’une cause apparente du mal. Au plan clinique, l’obsession ne se confond pas évidemment avec la classe des tics qui sont susceptibles de la manifester. Comme le rappelle Jules Seglas dans ses Leçons cliniques sur les maladies mentales et nerveuses, il en existe bien des variétés: “Toute idée, quelle qu’elle soit, qu’elle se rapporte à des abstractions, des mots, des chiffres, des objets quelconques, peut, dans des circonstances particulières, sur un terrain préparé, se fixer dans l’esprit et revêtir la forme obsédante” (60).

En fait d’étiologie, à l’exemple de Charcot lui-même, Seglas accorde une importance déterminante à l’hérédité. Sur le versant caractérologique, après avoir souligné l’instabilité mentale des individus, souvent mobiles, distraits et incomplets, et avoir regroupé aussi bien les abouliques et les apathiques que les cas exposés à une grande excitabilité, il en achève le portrait comme “des originaux, des excentriques, des rêveurs d’imagination déréglée, à tendance romanesque” (68). Ainsi, le regard médical y perçoit en priorité une fissure de la personnalité ou “désagrégation psychologique” (121): “L’idée obsédante est toujours irrésistible, parfois même à ce point que, chez certains impulsifs, l’acte semble précéder la pensée, le malade lui-même n’a pas le temps de se rendre compte de la perturbation psychique qui se produit en lui” (74). Et certains ne parviennent à y mettre fin qu’à travers le suicide (87). Ce dont témoignerait dans le monologue de Cros le progrès soudain, aussi violent qu’intolérable, vers l’aliénation du sujet. Les signes d’intensité et d’emphase qui démarquent au début la plainte, “comme cet air m’agace” et “c’est horrible cet air,” s’accomplissent en diagnostic moins objectif que délirant, dans la mesure où ce dernier s’énonce lui-même par déraillement verbal: “comme un fou, fou, fou!” (Cros 268). Seglas n’admet pas l’obsession exactement au rang des phénomènes inconscients (121). Il l’explique plutôt en raison d’un “dédoublement de la conscience,” au sens où “la note particulière de l’obsession” fait que “l’individu peut se rendre compte de ce qu’il éprouve, peut même l’analyser assez exactement; mais cela ne veut dire en aucune façon qu’il soit complètement conscient, au sens strict du mot” (148). Cette division est paradoxalement génératrice des possibilités mêmes de la dramaturgie. Car s’il y a clivage au plan scénique, c’est qu’un autre [End Page 68] sujet que l’instance reconnue et diagnostiquée par la science psychiatrique peut très précisément advenir. Enfin, dès lors qu’un malade arrive parfois à “méconnaître sa personnalité” (137), une part nouvelle et inconnue du sujet s’ouvre aux ressorts comiques et dérisoires du théâtre.

De fait, cette dimension inconnue est inséparable de la pathologie qui en est la condition d’émergence, disposée au premier plan de la pièce chez Cros. À l’ouverture de “L’Obsession,” le locuteur ne déclare-t-il pas: “Ah! je suis bien malade” (267)? Et s’il se présente avec un aspect “pâle et défait” (267), il en sort tout autant “déplorable” (269). Non parce qu’il attirerait quelque empathie, car il ne semble pas davantage accablé par le deuil, provoqué par la disparition de sa tante; mais en raison même de l’incurabilité de l’affection, la stratégie du suicide ayant elle-même fait défaut. Il n’est pas jusqu’au locuteur de “La Propriété” qui, répétant à l’envi qu’il a “l’air toqué” (307), ou plus vulgairement encore “abruti” (308), ne se disqualifie aussitôt qu’il a pris la parole. Ce qui peut toutefois produire une forme inattendue de connivence entre l’orateur et son public, fondée cette fois sur un jeu pervers de provocation et de séduction, communément désigné sous le terme de “folie.” De même, au début du “Pendu,” l’avertissement liminaire lancé au spectateur, qui anticipe sur sa surprise, ne devrait pas détourner l’attention ailleurs que sur l’intrigue à raconter: “Ne faites pas attention!—C’est un tic, un geste qui m’est resté depuis mon affaire” (295). Or la précaution qui annonce la répétition à venir du geste, “il se prend le cou en faisant une grimace” (295), est bien entendu l’équivalent d’une injonction: le tic est tout ce qu’il y a de signifiant, il envahit l’espace, et épuise sans reste le regard. Et de même que les convulsions grimacières ont pleinement part à la comédie dans “Le Pendu,” les manies prosodiques de “L’Obsession” deviennent une habitude de diction.

À ce titre, elles défont les typologies médicales. Dans son Étude sur les tics chez les dégénérés, les imbéciles et les idiots, le docteur Julien Noir qui a travaillé plutôt sur des enfants à l’hôpital Bicêtre reconnaît pourtant des “transitions insensibles” (168) entre les différents genres, allant des phénomènes purement moteurs, comme les tics simples comparables à des réflexes, ou purement psychiques comme le sont les obsessions et les idées fixes. Entre les deux se tiennent les tics coordonnés, essentiellement rythmiques (balancement, rotation de la tête, krouomanie), liés à des lésions cérébrales, mais également l’écholalie ou la coprolalie. Bien qu’il ne soit lui-même qu’un symptôme désignant une pathologie plus étendue qui reste chaque fois à découvrir, le tic est donc révélateur des liens qui unissent la pensée et le corps: “Il y a des tics dans la pensée comme dans le corps,” a dit le professeur Charcot, dans une de ses brillantes leçons du mardi, ces tics de l’idée, qui sont les idées fixes et obsédantes, la folie du doute, la misophobie, l’arythmomanie, les impulsions [End Page 69] etc., sont reliés aux tics moteurs par des manifestations psychomotrices, qui sont isolées ou unies entre elles, simples ou compliquées de tics moteurs ou de purs tics de l’idée” (106). Les tics ressortissent plutôt chez Cros à un corps du dire. Et ce corps tire bénéfice de la déficience mentale: l’idiotisme et le gâtisme du sujet que Noir rapporte, quant à lui, aux animaux et “à ces jouets complexes où un ingénieux mécanisme met en branle des automates à mouvements variés” (1), un modèle de l’individuation gouverné par la raison et la volonté, notamment sous l’influence des thèses de Théodule Ribot.

déboucher sur la seine

S’il apparaît comme la marque de l’idiotisme dans “L’Obsession,” et conserve à ce titre ses traits cliniques, le tic présente simultanément une valeur artistique. Une telle manie désigne un mode d’être et de dire qui est la manière même—la théâtralité du sujet. Or cette maladie qui distingue pourtant la tenue, le verbe et le geste du comédien est une mauvaise manière, placée entre la contrefaçon et la malfaçon ainsi qu’en atteste Alfred Bouchard: elle se dit généralement de ces acteurs qui, “ne trouvant pas dans leur propre nature une manière à eux, cherchent à imiter le jeu de quelques acteurs en réputation, et sont assez généralement de pâles copies” (138). Au lieu de la “grande manière,” seule requise et admise par les classiques dans le domaine de la peinture, de l’architecture comme du théâtre et de la littérature, le tic transforme le drame en signes reconnaissables et même répétitifs, au lieu de réinventer l’usage du corps et de la voix dans l’espace.

Ainsi doit se comprendre l’équivoque verbale au moment où l’obsédé s’apprête à se noyer: “Je bouscule tout le monde, je prends la rue d’en face, une rue à gauche, une à droite, droite, droite, droite, encore une à gauche; je débouche sur la Seine” (Cros 269). À l’exception du toponyme, la construction référentielle du lieu dépend entièrement de l’acte de locution, “en face,” “à gauche,” “à droite.” Rien de moins déterminé, en vérité, et s’il s’agit de préparer la conclusion tragique du récit, c’est en étirant le suspense et en abusant de la patience de l’auditeur qui n’a guère de repères. Mais la trajectoire géographique, presque inutile, aurait pu être passée sous silence. Après être parti en catastrophe à Versailles pour la cérémonie funéraire, le personnage revient presque à son point de départ. En l’occurrence, la Seine est aussi cette scène sur laquelle il se débonde publiquement. Le verbe luimême est à multiple entente. Dérivé sur la base nominale de “bouche,” il associe étroitement l’excès même de l’oralité, son flux continu, à la traversée des lieux. En outre, compte tenu de l’état pathologique annoncé dès le titre, il évoque l’expression populaire déboucher l’esprit d’un sot, dont l’intelligence [End Page 70] est fatalement obstruée. Enfin, le suicide n’a pas d’autre objectif que de se vider de cet air qui le hante en le privant de sa respiration.

À cette polysémie répond le vomissement, ultime spasme qui se substitue au tic: “J’ai eu quelque chose qui me remontait; j’ai rendu l’eau, mais j’ai gardé l’air! lère, lère, lère, lère” (269). Si la mélodie triomphe, elle assure la résurrection de l’obsédé et de sa parole, événement malicieusement prophétisé par son trajet depuis la gare . . . “Saint-Lazare, zar, zar” (268). Mais le retour à la conscience et à la vie consacre les récurrences de la maladie: “cet air” est celui qu’on ne peut jamais “tère, tère, tère, tère!” (268). L’interdiction du silence est déjà sensible dans ce voyage en boucle du personnage, dont la circularité matérialise et poursuit à sa façon les répétitions du texte. S’il revient à Paris, sur les bords de la Seine, avant de se jeter à l’eau, c’est qu’en fait le locuteur n’a jamais quitté l’endroit d’où il parle. Dans cette optique, la tentative de suicide n’est qu’un supplément au spectacle, qui prend de surcroît le statut d’une métaphore: celle du risque artistique lui-même, qu’assume la voix en s’énonçant de la sorte, quels qu’en soient les cadres matériels (tréteaux, salon, café).

À cet égard, il convient de ne pas oublier la mise en abyme inaugurale, puisque c’est du théâtre des Délass-Com, fort goûté des Parisiens, que sort le personnage mais que date aussi son mal contagieux:

On a joué une petite pièce amusante! oh, amusante! Il y avait une jeune fille (dans la pièce), et puis un jeune homme qui voulait épouser la jeune fille, et puis des gens qui voulaient empêcher le mariage, et puis encore des gens qui étaient pour le mariage, enfin je ne sais plus bien comment ça se passe, mais ils se marient à la fin. C’est là qu’ils sont tous contents et qu’ils chantent d’un même air, oh! un air!

Tra la la la, la la, la la lère, etc.

Il chante tout l’air.

(267)

L’élément capital porte sur les ressources onomastiques: tandis que la “petite pièce amusante” (moins brève finalement que de très médiocre valeur) a suscité la gaieté, le monologue contrarie au profit de l’angoisse et de la nervosité les “Délassements” (267) promis. En opérant ce retour à Hervé et à sa fantaisie, qui ne sont pas nommés, Cros réduit l’œuvre à sa diégèse et à ses principes actanciels, dignes des “aventures de roman” aux “coïncidences bizarres” comme dans “L’Affaire de la rue Beaubourg” (236). Dans sa simplicité, le schéma narratif tel que pourrait le reproduire l’analyse sémiotique avec ses adjuvants et ses opposants (“jeune homme,” “jeune fille,” “des gens”), ne résonne pas uniquement par sa banalité, le déjà-vu avec son happy end, soit le prototype du théâtre à succès qui a rempli les salles sous le Second Empire et après. Il est l’objet d’un mauvais résumé (“et puis,” [End Page 71] “et puis,” etc.), dont le narrateur a lui-même perdu le fil (“enfin je ne sais plus bien comment ça se passe”). En sa clarté même, il devient source de confusion intérieure.

Le monologue se donne ouvertement comme une récriture de la manière d’Hervé, pastiche qui défait l’harmonie primitive du chant: “c’est là qu’ils sont tous contents et qu’ils chantent d’un même air.” Il n’hypothèque certes pas la logique de l’événement, la mort soudaine, et presque invraisemblable de la tante, programmant par exemple le suicide final, de même que la toilette au lavabo avec ses “flou, flou, flou, flou” (268) est relayée par les “glou, glou, glou, glou” (269) du tiqueux au fond du fleuve. Mais le texte substitue à la dynamique des péripéties un récit agencé “avec une féroce minutie” comme dans “La Famille Dubois” (234) par ces détails suivants dans “L’Obsession”: “Je grimpe mon escalier (je demeure au cinquième), la, la, la, la. J’allume ma bougie, la, la; je me déshabille; je jette mon paletot sur un meuble, la lère, mon pantalon sur un autre, la la; je me fourre dans mon lit et je m’endors” (267). Dit autrement, le récit fait le procès de l’inessentiel. Car ce qui compte à travers l’air n’est autre que le “phrasé” du monologue, au-delà du double critère de cohérence et de logique. Ce qui n’empêche nullement l’écrivain d’exploiter par ailleurs la surprise et l’insolite, comme il en va du parapluie, emblème par excellence de l’acte manqué puisqu’il est aussitôt oublié dans le train, objet de nature résolument non-fonctionnelle et même contradictoire, le narrateur ayant mentionné quelques lignes plus haut “un temps superbe” et “un rayon de soleil dans le nez.” Ou encore la réponse au quincailler qui met en cause le principe conversationnel de pertinence: “Vous avez bien du chagrin, monsieur?—Oh! ne m’en parlez pas, pa, pa, pa, pa. C’est horrible cet air.” Le lecteur était conduit à penser que la question, bienséante et conventionnelle, concernait plutôt cette “pauvre tante,” aimée quoique . . . “par alliance” (268).

À l’évidence, l’impropriété du discours détourne le code de la morale, pour en dénoncer l’apparence et la formalité. Ce faisant, elle conjure toute espèce de sentimentalité, comme si l’idiot n’éprouvait rien, en dehors de sa douleur qui n’est pas celle qui sied à la situation présente. Ces discordances par l’absurde travaillent dans l’ordre de l’implicite et du présupposé. Elles prennent à contresens le sens qui est d’abord ici le sens du signe. Autant de stratégies devenues virales dans les monologues, qui se reconnaîtraient sans peine dans les poétiques fumistes,6 les Maximes d’Alphonse Allais par exemple, en attendant les cocasseries ubuesques de Jarry, plus tard Beckett, Tardieu et Ionesco. Ces stratégies ciblent souvent le discours doxique, sous une forme pseudo-parémiologique comme dans “Le Capitaliste”—“l’argent seul n’attend pas!,” “les intérêts, faut que ça coure” (253, 256)—ou appuyé sur des lieux communs: “c’est précieux d’apprendre quelques mots des langues [End Page 72] étrangères, ça élargit les idées” comme dans “L’Homme qui a voyagé” (271). La dérision est au comble par le contraste entre le conseil prodigué et la maigreur de l’apprentissage (“quelques”). Ces techniques participent enfin à une rhétorique du pléonasme: “Il y a beaucoup d’eau dans la mer” comme dans “L’Homme aux pieds retournés” (279), “La propriété, c’est avoir quelque chose, avoir quelque chose c’est posséder, et quand on possède on est propriétaire” comme dans “L’Homme raisonnable” (265). Ce qui dans le dernier cas paraît se déduire en imitant l’enchaînement imparable du syllogisme dote le raisonnement de propositions réversibles et circulaires.

Ainsi, formé aux vérités de La Palisse, le comédien donne à l’idiot le rôle de celui qui fait défaillir le sens, non en vue d’une autonomie du signifiant, comme on l’a longtemps postulé à propos de Jean-Pierre Brisset ou Raymond Roussel, mais d’une critique du signe comme modèle de rationalité au sein duquel opérerait l’individuation. Aux prises avec son obsession, l’idiot tiqueux dissocie définitivement le langage de la raison par ses logorrhées.

la “chanson-spectre”

En effet, si la “tête éclate, klat, klat, klat, klat” (Cros 268) dans le monologue, c’est sous l’influence d’une logique étrangère à la raison, qui achève de disperser et soumettre le sujet. Dans une lecture linéaire de la pièce, Coquelin cadet dégage une gamme expressive de tonalités et d’accents, de mimiques et d’attitudes. Dans le cas de “et même en la suivant en sa dernière demeure, tra la la,” il propose par exemple: “Avec la tête penchée d’un héritier qui suit un convoi funèbre, la main dans le gilet, la figure tout à fait contrite, la lèvre pendante, chantez tra la la, comme s’il y avait un crêpe dessus, mezza-voce, très doux, mais implacable, un tra la la bien deuil” (Coquelin frères 117). Quant à “Oh! ma pauvre tante. Quel horrible malheur! C’est affreux! Tra, la, la,” le comédien exige un affreux! et un tra, la, la “bien liés” de sorte qu’on ait “la sensation d’un air absolument rivé au malheureux homme qui ne peut plus s’en dépêtrer” (Coquelin cadet 116). Le souci premier est celui de la communication, du mélange de gaieté et de tristesse. C’est sur un plan esthétique et émotionnel, articulé à une pragmatique des effets, que se place d’abord l’acteur pour garantir la réussite du genre.

Or parmi les éléments qui retiennent son attention, Coquelin note qu’à cause de l’“épouvantable obstination” avec laquelle s’exprime le personnage “l’air est désormais incrusté dans son cerveau et la langue marche malgré lui, remuée par une force supérieure” (Coquelin cadet 119). Dans cette perspective, le corps récitant de l’automate n’obéit plus à un principe intellectuel ou spirituel qui donnerait une nouvelle preuve de l’extériorité et de la transcendance de [End Page 73] l’idée. “Esclave de la chanson” (Coquelin cadet 115), il se définit au contraire par le mouvement ininterrompu de sa voix et singe alors le sujet pensant d’origine cartésienne, exerçant sa pleine volonté et assurant sa maîtrise sur la nature. Ce mouvement est justement décrit comme “chanson-spectre” (119), dont la puissance infigurable (c’est-à-dire soustraite à toute consciente saisie) s’applique à un double niveau. D’une part, comme l’avoue le narrateur dans “L’Obsession,” l’air “ne [l]e lâche pas” (Cros 268) mais l’investit sur le mode de l’étreinte et même de l’étouffement. D’autre part, l’air va en retour “servir à exprimer [l]a douleur” (268). Cette contrefaçon d’élégie qui donne lieu à deux quatrains à rimes croisées (abab) fait du chant, lui-même noué à la musique, cette forme qui hanterait la prose du monologue, mais une prose qui se confondrait à son tour avec le dit de la récitation:

Je viens de perd’ ma pauvre tante. Je viens de la mettre au cercueil. Ell’ me laisse un’ petite rente, Qui m’permettra de porter son deuil.

J’lui ai fait faire un’ boîte en chêne Pour qu’ell’ puiss’ se r’muer à loisir, Pour qu’ell’ n’éprouve pas de gêne: Où y a d’ la gên’, n’y a pas d’plaisir!

(268)

Si l’on veut, c’est le vis-à-vis entre la parole et le chant qui se superpose aux rapports du vers et de la prose. Au gré des versions publiées, la partition qui l’accompagnait a disparu du texte de Cros. Il est évident toutefois que la régularité syllabique des deux strophes se moule sur la métrique musicale, expliquant l’expansion des apocopes du “-e,” en position finale comme dans “perd’,” “ell’,” “puiss’,” “gên’,” “un’” ou, plus rarement, en position interne, “r’muer.” De cet ensemble résulte un système polymétrique dominé par le vers simple 8-s mais accompagné de trois mesures composées, variablement problématiques: d’une part, deux 9-s de formes cependant hétérogènes, puisque l’un correspond à une segmentation relativement connue (4–5), “Qui m’permettra de porter son deuil” (v. 4) tandis que l’autre “Pour qu’ell’ puiss’ se r’muer à loisir” admettrait plus difficilement cette même scansion, la césure affectant le pronom clitique “se.” Il n’est pas exclu de le lire en 6–3, Pour qu’ell’ puiss’ se r’muer + à loisir voire 3–3-3 Pour qu’ell’ puiss’ + se r’muer + à loisir. En regard, le dernier vers comptabilise dix syllabes et semble obéir quant à lui au schéma du taratantara (5–5), que double le signe de ponctuation: Où y a d’ la gên’, + n’y a pas d’ plaisir! [End Page 74]

Les apocopes ne se calquent pas uniquement sur les mesures du chant; elles ouvrent le discours aux parlures populaires, telles que les ont développées les poésies fumistes à la même époque, d’Aristide Bruant à Jehan Rictus. L’indice convergent le plus significatif en est la suppression à deux reprises dans le dernier vers du “il,” support morphologique du syntagme impersonnel. On ne trouve guère dans le monologue d’équivalent, si ce n’est la disparition de “ne” dans “Ah! plus chanter ça! Mourir!” (269). En plus de la variation des registres, familier dans “me fourre” (267), “me meurt,” “ne me lâche pas,” ou argotique dans “rudement droguer” (268),7 c’est surtout au plan des niveaux énonciatifs que se noue la relation à l’oral. Enchâssés dans le récit, les fragments de discours rapporté font rarement l’objet d’une démarcation précise (guillemets, tirets voire parenthèses) comme s’ils étaient pris en bloc dans la récitation de l’obsédé: “J’attrape un fiacre: cocher!,” “On frappe à la porte, je vais ouvrir, la, la, la, la. Mon concierge! Ah! ah! c’est vous? Vous m’avez fait rudement droguer à la porte hier au soir, la lère” (268).

Dans ce contexte, la discursivité du monologue s’apparente à une véritable gestuelle, principalement organisée par la ponctuation: “En sortant du théâtre j’étais gai; une si jolie pièce. Il faisait un froid! . . .” (267); “Mon chapeau! pardessus, parapluie! Je suis en bas”; “J’arrive; elle me meurt dans les bras! oh! c’est désolant, lan, lan, lan, lan. Oh! cet air m’ennuie” (268). Cette rythmique implique alternativement énoncés verbaux et syntaxe substantive. Au gré des discontinuités, ces chaînes intègrent aussi bien les interjections avec leurs valeurs émotives-pragmatiques que les onomatopées:8

J’arrive à la gare; j’oublie mon parapluie dans la voiture, tur, tur, tur, tur. (Même air) On fermait le guichet, j’avais tout de même mon billet, me voilà dans le train, ouf, ouf, ouf, (même air) le train qui part, c’est l’express press, press, press, press. (Même air) [. . .]

Ma tête éclate, klat, klat, klat, klat; j’arrive à la gare, gar, gar, gar, gar, Saint-Lazare, zar, zar, comme un fou, fou, fou!

(268)

Les tics verbaux du maniaque, qui excèdent rarement une séquence de quatre occurrences, ne sont pas uniquement ludiques, même s’ils tendent à imiter les tours enfantins (tur, tur, tur, tur) ou se doublent d’expressions ambigrammatiques (ouf/fou). À l’occasion, ils retardent la cohésion syntaxique de l’énoncé ainsi que le montre l’apposition: “la gare, gar, gar, gar, gar, Saint-Lazare.” En regard, le tra la la comme marqueur mélodique de la chanson se généralise, et c’est sur la base de cette expression désémantisée que se déploient d’autres répétitions: “Il m’a fallu courir partout; déclaration, lon, lon, lon, lère, billets de faire part, la, la, la, la” (268); “[. . .] je débouche sur la Seine; un pont, pon, pon, pon, pon; j’enfile le pont; au milieu du pont, [End Page 75] je regarde l’eau, lo, lo, lo, lo” (269). Ainsi que le suggère la double occurrence, “déclaration” et “l’eau,” l’attaque consonantique rappelle les tra la la et la la la, elle maintient l’identité de la chanson par mémoire associative, tandis que les voyelles “-on” et “-o” donnent les variantes en reproduisant la finale du mot précédent. L’emploi de “pont, pon, pon, pon, pon” semble échapper à cette figure mélodique-prosodique. En fait, il active au plan référentiel un inventaire de chansons populaires, depuis “Sur le pont d’Avignon . . .” jusqu’au refrain non moins célèbre:

Il était une bergère, Et ron et ron, petit patapon, Il était une bergère Qui gardait ses moutons, Ron ron, qui gardait ses moutons.

Ainsi, les blocs prosodiques s’enracinent aussi bien dans des signes dits conventionnels, pourvus d’un signifié, que des formes expressives, mimétiques voire asémantiques. En conséquence, ils neutralisent discursivement l’opposition entre sens et non-sens pour instaurer le phrasé comique. Un phénomène similaire s’observe dans la réduction progressive de la chanson (texte et musique) aux tra la la. La récitation est alors traversée par une ritournelle épuisante, qui cherche moins à achever le sens que la parole. C’est même au nom d’une nouvelle sémantique, définitivement organisée autour de l’écho, que le chant occupe de manière si insistante la parole—l’obsède. “Enfin c’était fini” lit-on dans “L’Obsession” (268): la redondance n’échappe pas à l’auditeur qui l’interpréterait comme un mécanisme d’autopersuasion, le symptôme aggravant d’une maladie, le désir de ranger en hâte la crise au passé quand le stade paroxystique est en vérité imminent. Car de quoi s’agit-il? De la disparition de la tante? de la mélodie impitoyable? de la douleur de répéter? du suicide qui approche? La force humoristique du propos est son ambivalence qui contient tous ces éléments à la fois. Le personnage quitte la salle “en chantant l’air” (269) de nouveau. Le monologue qui met en scène la fin n’a lui-même pas de fin. Il répète et recommence, sa voix n’est rien d’autre que la contagion de l’écho. [End Page 76]

Arnaud Bernadet
Département de la langue et littérature françaises
Université McGill
Polart—Poétique et politique de l’art

notes

1. La théorie du monologue a été développée par les frères Coquelin: voir à ce sujet l’essai de synthèse de Françoise Dubor. Bien entendu, il est impossible d’accréditer les commentaires de Coquelin cadet comme s’il s’agissait du point de vue de Charles Cros lui-même sur ses monologues. Toutefois, s’ils représentent une lecture située de l’œuvre, destinée de surcroît au travail de l’interprète sur scène, ils n’en restent pas moins des éclairages déterminants.

2. On se reportera ici à Gérard Dessons. Le locuteur du monologue du “Pendu” déclare dans le même sens: “J’ai des manies, des fétiches” (Cros 296).

3. Voir sur ce point l’analyse de Dubor 199–201.

4. Pour des mises au point récentes sur l’interpénétration des milieux artistes et médicaux, on se reportera à Micale et surtout Gordon.

5. Sous le métonyme de Charcot, nous considérons avant tout une “formation discursive,” pour reprendre la terminologie foucaldienne, dans laquelle s’inscrivent d’une part l’assimilation courante entre l’acteur et le fou, les échanges et les circulations entre l’univers psychiatrique et le monde de la Bohème et du café concert, les expériences conduites à la Salpétriêre étant à l’époque particulièrement populaires; et, d’autre part, les travaux de savants qui, postérieurs ou antérieurs aux textes de Cros constituent une chaîne de repères dans la problématisation clinique de la parole poétique et théâtrale.

6. Sur ce corpus, voir les travaux pionniers de Grojnowski, Grojnowski et Sarrazin et, pour une approche plus large sur le rire et la blague au XIXe siècle, Preiss.

7. Delvau en rappelle la définition: “Attendre, faire le pied de grue” (132).

8. Il n’est peut-être pas inutile de rappeler que l’étymologie probable de “tic” est la syllabe onomatopéique—tikk exprimant un mouvement brusque (http://www.cnrtl.fr/definition/tic, consulté le 17 mars 2014).

ouvrages cités

Baudelaire, Charles. Œuvres complètes. Ed. Claude Pichois. 2 vols. Paris: Gallimard, “Bibliothèque de la Pléiade,” 1975–76.
Bouchard, Alfred. La Langue théâtrale: vocabulaire historique, descriptif et anecdotique des termes et des choses du théâtre. Paris: Arnaud et Labat Éditeurs, 1878.
Charcot, Jean-Martin. Leçons du mardi à la Salpêtrière. Paris: Aux bureaux de Progrès médical/E. Lecrosnier & Babé, 1888–89.
Coquelin cadet [Ernest Coquelin]. Le Monologue moderne. Paris: Ollendorff, 1881.
Coquelin cadet et Coquelin l’aîné [Constant Coquelin]. L’Art de dire le monologue. Paris: Ollendorff, 1884. [End Page 77]
Cros, Charles. Œuvres complètes. Ed. Pascal Pia et Louis Forestier. Paris: Jean-Jacques Pauvert, 1964.
Delvau, Alfred. Dictionnaire de la langue verte: argots parisiens comparés. 1866. Paris: Marpon et Flammarion, 1883.
Dessons, Gérard. La Manière folle: essai sur la manie littéraire et artistique. Paris: Éditions Manucius, 2010.
Dubor, Françoise. L’Art de parler pour ne rien dire: le monologue fumiste fin de siècle. Rennes: PU de Rennes, 2004.
Gordon, Rae Beth. Dances with Darwin, 1875–1910: Vernacular Modernity in France. Farnham, Surrey: Ashgate, 2009.
———. De Charcot à Charlot: mises en scène du corps pathologique. 2001. Rennes: PU de Rennes, 2013.
———. Why the French Love Jerry Lewis: From Cabaret to Early Cinema. Stanford: Stanford UP, 2001.
Grojnowski, Daniel. Aux commencements du rire moderne: l’esprit fumiste. Paris: José Corti, 1997.
Grojnowski, Daniel, et Bernard Sarrazin. L’Esprit fumiste et les rires “fin de siècle.” Paris: José Corti, 1990.
Micale, Mark S., ed. The Mind of Modernism: Medicine, Psychology, and the Cultural Arts in Europe and America, 1880–1940. Stanford: Stanford UP, 2004.
Noir, Julien. Étude sur les tics chez les dégénérés, les imbéciles et les idiots. Paris: Félix Alcan, 1893.
Preiss, Nathalie. Pour de rire! La blague au XIXe siècle ou la représentation en question. Paris: puf, 2002.
Saynètes et monologues. Cinquième série. Paris: Tresse éditeur, 1879.
Seglas, Jules. Leçons cliniques sur les maladies mentales et nerveuses (1887–94), recueillies par le Dr Henry Meige. Paris: Asselin et Houzeau, 1895. [End Page 78]

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