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Reviewed by:
  • Quand l’amour et l’État rendent aveugle. Le mythe du mariage automatique by Hélène Belleau
  • Émilie Biland, Professeure-adjointe and Gabrielle Schütz, Maîtresse de conférences
Hélène Belleau. Quand l’amour et l’État rendent aveugle. Le mythe du mariage automatique. Montréal: Presses de l’Université du Québec, 2012. 158 pp.

Dans le monde occidental, le Québec est la juridiction où les couples non-mariés sont proportionnellement les plus nombreux1 et, au Canada, la seule province dont le droit ne reconnaît pas d’obligation économique entre ces conjoints lorsqu’ils se séparent. Depuis 2009 et jusqu’au récent arrêt de la Cour suprême2, l’affaire [End Page 137] surnommée “Lola c.Éric” par les médias a mis au débat public cette situation paradoxale. Sociologue de la famille, Hélène Belleau a pris part au volet judiciaire de celle-ci, en tant qu’experte pour ladite Lola auprès du tribunal de première instance. De ce travail de commande, depuis remanié (enrichi d’une perspective juridique et épuré de son volet quantitatif), elle a tiré un ouvrage académique, qui interroge la condition, sociale et juridique, des couples québécois contemporains. Elle y défend la thèse du « mythe du mariage automatique »—expression forgée par des juristes britanniques3 pour rendre compte de la croyance, largement répandue selon l’auteure, en l’indifférenciation des droits selon le statut matrimonial. La force argumentative du livre réside dès lors dans l’examen des ressorts de cette croyance—qui articulent droit, politiques publiques et normes sociales—et dans l’établissement empirique de l’ancrage social de ce mythe.

Proposant une synthèse des travaux juridiques et sociologiques sur l’histoire de la conjugalité au Québec, la première partie dresse une fresque historique (complétée, fort à propos, par une chronologie et un lexique en annexes) sur l’encadrement religieux, étatique et professionnel (soulignant en particulier le rôle des notaires) de la vie conjugale depuis les débuts de la Nouvelle France. Son analyse de la période contemporaine est particulièrement éclairante, en ce qu’elle place les transformations du mariage sous le signe d’une privatisation croissante, tant du point de vue de son encadrement légal que des normes sociales qui l’orientent. Cette évolution est à la source du brouillage des frontières entre les différents types de conjugalité—un flou renforcé par l’institutionnalisation partielle de la conjugalité hors mariage. L’expression de « législateur polyglotte » vient judicieusement exprimer la tension entre le droit public (social et fiscal), qui reconnaît maintenant pleinement cette forme d’union, et le droit privé, qui y reste sourd.

La deuxième partie de l’ouvrage s’attache à incarner empiriquement le mythe du mariage automatique à partir d’une enquête par entrevues auprès de couples québécois, mariés ou non. Étayant les conclusions de Diane Vincent4, également experte pour Lola, l’auteure montre que la privatisation du statut matrimonial dans les représentations se manifeste d’abord par les termes d’adresse (chum/blonde, conjoint/conjointe), lesquels ne permettent plus de distinguer les couples selon leur statut. Par ailleurs, il apparaît non seulement que les conjoints interrogés sont le plus souvent ignorants du droit, mais aussi que les motifs d’ordre légal n’entrent généralement pas dans les considérations qui les poussent à se marier ou non, celles-ci étant plutôt d’ordre religieux ou festif ou liées à la tradition. Si ce choix est pour certains époux synonyme d’engagement supplémentaire, les conjoints de fait revendiquent eux aussi l’engagement, dont l’absence d’encadrement institutionnel peut même être proclamée gage d’authenticité. Et qu’ils soient [End Page 138] mariés ou non, les couples utilisent tous le « code symbolique de l’amour » (p. 64 et suiv.) pour décrire leur relation : engagement, confiance, fidélité, solidarité conjugale.

On sera gré à l’auteure de questionner la notion de « choix »5, si chère aux...

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