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La “maladie de la mort” du sujet dans India Song: Une allégorie postmoderne Michèle Druon En même temps qu’elle oblitérait l’étrangeté de l’autre extérieur [le colonisé], la civilisation occidentale se trouvait un autre intérieur. De l’âge classique jusqu’à la fin du romantisme (c’est-à-dire jusqu’à nos jours) les écrivains et les moralistes n’ont pas cessé de découvrir que la personne n’est pas une, ou qu’elle n’est même rien, que je est un autre, ou une simple chambre d’échos. [...] L’instauration de l’inconscient peut être considérée comme le point culminant de cette découverte de l’autre en soi. —Tzvetan Todorov, La Conquête de l’Amérique IL EST AISE DE RETROUVER dans l’œuvre de Marguerite Duras les figures de ce qu’on pourrait appeler la “scène” post-structuraliste, ou postmoderne1: critiques et théoriciens y reconnaissent un savoir, ou une pratique, de la déconstruction du sens et du sujet qui constitue l’opération centrale de cette scène. L’exemple le plus notable étant celui de Jacques Lacan, qui (re)découvre dans la folie du personnage durassien cette “autre scène” qui définit l’aliénation constitutive du sujet à luim ême.2 Une dimension manque pourtant à cette scène qu’on dit “théorique”, que Julia Kristeva a récemment précisée, en insistant sur la douleur qui préside toujours à la déconstitution du sujet durassien.3Pour Kristeva, la “maladie de la douleur” qui mine le sens de l’écriture durassienne, et mine intérieurement ses personnages serait l’effet de l’horreur sans précédent, inassimilable pour notre psyché moderne, attachée aux grandes destructions du XXème siècle. Cette horreur (celle d’Auschwitz, ou d’Hiroshima, dont résonne tout l’œuvre durassienne), serait le symp­ tôme d’une “maladie de la mort” collective, d’une véritable “passion” pour la mort, à la fois exterminatrice et auto-destructrice, qui ravagerait tous les niveaux de notre société. A ce niveau, la folie qui détruit le per­ sonnage durassien, le laisse vacant et dépossédé de lui-même, serait elle aussi un symptôme de cette “maladie de la mort”.4 La superposition du point de vue “affectif” de Kristeva sur la décon­ struction “théorique” du sujet opérée par Lacan fait surgir une question importante: si la dépossession du sujet durassien trouve son origine dans une “maladie de la mort” collective, que penser de la théorie qui yrecon­ naît une figure de l’aliénation structurelle du sujet? La perspective de 86 Sprin g 1990 D ruon Kristeva n’implique-t-elle pas, dans ses conséquences les plus radicales, que la déconstruction du sujet serait elle-même un symptôme de la “maladie” dont elle parle? Autrement dit, cette déconstruction n’implique-t-elle pas, pour le sujet, une dimension auto-destructrice, où se retrouverait justement une certaine “passion”, ou “maladie” de la mort du sujet? Une première direction de réponse à ces questions se dessine dans le fait que, sans véritablement s’exclure,5l’analyse de Kristeva et celle de Lacan nous parlent de deux scènes: une scène “intérieure” au sujet— celle de sa déconstruction, ou de son aliénation interne (son “autre scène”)—et une scène “extérieure” au sujet, d’où surgirait pour Kristeva “la maladie de la douleur” durassienne, et qui serait celle de l’horreur du monde, c’est-à-dire aussi, nécessairement, celle de la douleur des autres. Ces deux scènes se retrouvent clairement dans l’œuvre de Duras, mais elles s’y nouent dans un rapport distinct et nécessaire, qui jette un éclairage provoquant sur le “mal” du sujet postmoderne. Essentielle­ ment, ce rapport s’articule dans une figure qui constituera le pivot de notre analyse, et qui représente un schème récurrent de la “folie” duras­ sienne: la figure du dédoublement. Celle-ci se manifeste simultanément dans une scission, une...

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