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Variations sur un préfixe1 Jean-Pierre Cauvin S ’IL EST VRAI QUE toute entreprise littéraire, tout texte, toute écriture, sont le reflet du moi de k a r auteur, alors il ne fait pas de doute que le moi d’Henri Michaux s’offre à travers son œuvre comme une flagrante exception, ou comme un paradoxe. Car ce moi s’affirme tout d’abord par sa propre négation. La révolte contre soi: tel est l’acte premier de Michaux, et le point de départ de toute son œuvre, tant poétique que graphique. Telle est sa raison d’être. Rappelons-nous ce qu’il en dit dans l’esquisse autobiographique qu’il donna en 1957: “ Honteux de tout ce qui l’entoure, de tout ce qui, depuis sa venue au monde, l’a entouré; honteux de lui-même, de n’être que ce qu’il est, mépris aussi pour lui-mêmt et pour tout ce qu’il connaît jusqu’à présent.” A quoi il ajoute qu’il consacre “ beaucoup d ’efforts en tous sens, toute sa vie durant, pour se modifier” .2 A partir du moment où l’on se refuse, où il n’y a pas de compromis possible, deux solutions s’imposent: le suicide, ou bien un auto­ terrorisme systématique. C’est bien entendu cette deuxième option qui sera choisie. La pratique de l’auto-terrorisme commence par le voyage, dès l’âge de 21 ans. Mais c’est surtout en 1929, après la mort de ses parents, qu’il sait pourquoi il voyage: “ Il voyage contre. Pour expulser de lui sa patrie, ses attaches de toutes sortes et ce qui s’est en lui et malgré lui attaché de culture grecque ou romaine ou germanique ou d’habitudes belges. Voyages d’expatriation” (Bréchon, p. 21). Les voyages, comme toutes les épreuves et tous les exorcismes, ont un seul objectif, qui est de s’exorbiter. Les pays asiatiques, surtout, suscitent “ l’excitation et la sur­ prise” (ibid., p. 21). Quant à l’expérience de la drogue, autre espèce de voyage, elle aussi a pour but l’effritement du “ bloc ‘moi’ ” (QF34).3Un 1. Version quelque peu modifiée d ’une communication faite au congrès de la Modem Language Association à Chicago le 30 décembre 1985. 2. “ Quelques renseignements sur cinquante-neuf années d’existence” , in Robert Bréchon, Michaux (Paris: Gallimard, 1959), pp. 16 et 23. 3. Les références aux ouvrages de Michaux sont indiquées comme suit, avec l’année de publication de l’édition consultée: CCT, Chemins cherchés; Chemins perdus; Trans­ gressions (Paris: Gallimard, 1981); CG, Connaissance par les gouffres (Paris: Galli­ mard, 1961); ED, L ’ Espace du dedans (Paris: Gallimard, 1944); EE, Epreuves, Exor­ cismes (Paris: Gallimard, 1945); IT, L ’Infini turbulent (Paris: Gallimard, 1978); JE, Le Jardin exalté (Montpellier: Fata M organa, 1983); MM , Misérable miracle (Paris: Galli­ Vo l . XXVI, No. 3 65 L ’E spr it C r éa te u r comprimé de mescaline “ se change en exhortation” (CG 64). Grâce à la mescaline, l’être ayant perdu sa demeure rejoint l’infini en devenant “ ex­ centrique à soi” (IT 10), pour aborder “ dans l’excellence, dans l’excédence” (M M 178). Porteurs d’une nouvelle vision fortement orientée vers la mystique, les textes post-mescaliniens constituent chacun à sa façon un “ appel à l’expatriation” (C C T 148), pour accéder dans “ le jardin exalté” à un “ summum d’extase” (JE 22) où règne un “ Temps exonéré” (CCT 165). On aura sans doute remarqué, dans les passages cités, la fréquence des termes comprenant le préfixe révélateur, expressif, véritable dénominateur commun. Vouloir se débarrasser du moi, cela se traduit en effet par des vocables tels que: expulsion, expatriation, exorcisme, excitation, exhortation, extase, exaltation extrême, désir d ’être excen­ trique à soi, de s’exorbiter, de s’exonérer... La liste est longue, au fil de l’œuvre. L’acte d’écrire, comme d’ailleurs celui de dessiner ou de peindre, est un exorcisme et une exploration. Il est...

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