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SCIENCES HUMAINES 589 Iyriques de la langue chez Genet, qui se earaeterise par une destabilisation de la syntaxe et un gout pour I'accent et l'etrangete. L'essai de Fredetteporteunnouveau regard sur I'reuvre romanesque de Genet. Al'aide des figures du baroque etapartir de la notion d'une reuvrevie , elle revele un principe unificateur d'une reuvre reputee pour ses disparites. Loin de fournir une lecture complaisante des romans deo Genet, ce principe de renversement constant (la torsion, I'oscillation, la defiguration ) installe un « inconfort» qui fait partie, lui aussi, des strategies cultivees par I'ecrivain fran<;ais. La force de l'interpretation proposee par Fredette reside dans sa sensibilite comme ecrivaine. Romanciere elle aussi, Fredette explore les limites semantiques des figures baroques, ce qui lui permet des observations originales mais qui, parfois, peuvent s'egarer aussi, loin du sens accepte de ces figures. Cette exploration, sans doute salutaire pour les etudes baroques, pourrait neanmoins agacer les specialistes ou les critiques un peu plus orthodoxes. (SHAWN HUFFMAN) Angela Cozea, Petit traiti du beau al'usage des melancoliques Montr~al, XYZ editeur, colI. Theorie et litterature, 202 p. Deji. l'illustration de la page couverture nous met sur la piste de cet essai au titre seduisant: ils'agit d'un celebre tableau de Caspar David Friedrich, Rochers blancs Ii Rugen (1818), une scene caracteristique pour ce peintre romantique par excellence, avec l'ouverture sur une mer infinie, encadree par des rochers d'un blanc rosatre ; une falaise fortement escarpee ; deux arbres dont Ie feuillage assombrit un ciel que nous devinons d'un ° azur leger ; trois personnages, une femme, deux hommes: la femme pointe Ie doigt vers Ie sol, un homme, presque etendu sur Ie bord de la falaise, semble chercher ou verifier quelque chose, tandis que Ie troisieme personnage, adosse a un rocher, les bras eroises, contemple la mer. TI irnporte de souligner qu'ils toument tous Ie dos a celui qui contemple Ie tableau, I'invitant a suivre leur regard. TIs se trouvent a I'ombre, tandis que Ie sujet principal, les rochers et la mer, est inonde de lumiere. Comme Ie souligne Angela Cozea dans son analyse de ce tableau de Friedrich (elle parlera d'autres tableaux du meme peintre), l'homme consolela nature. Au fil de I'essai, nous comprendrons Ie pourquoi de ce besoin de consolation de la nature qui apparait tantot comme notre alJiee, tantot comme notre ennemie. Mais pourquoi restons-nous a I'ombre, et comment se fait-il qu'une barriere semble vouloir nous empecher de faire partie de la beaute que nous offre la nature ? Partant de la lecture de fragments de Sens unique de Walter BenjaminCozea avait deja place son livre precedent, La JUte/itt aux chases, sous Ie signe du philosophe allemand - , d'entree de jeu, elle nous donne un UNIVERSITY OF TORONTO QUARTERLY, VOLUME 73, NUMBER 1, WINTER 2.003/4 590 LETTERS IN CANADA 2002 fragment, Ie plus important peut-etre : « Dans un amour, la plupart cherchent la patrie "temelie. D'autres, mais tres peu nombreux, Ie voyage eternel. Pour ces derniers, les melancoliques, la patrie est Ie territoire d'une tristesse insupportable. La tache de leur bien-aimee est de garder cette tristesse loin, voilee it leurs yeux. » Pour traduire la melancolie dans des figures de voyages eterneis, de naufrage, de la reconnaissance du beau, Cozea cite et analyse des textes d'ecrivains (Madame de Sevigne, Proust, Rilke, Flaubert, Kleist, Baudelaire) et de philosophes (Kant, afin d'etabJir son concept du beau; Horkheimer et Adorno, pour ne nommer que les plus importants appeles it definir Ie concept de la melancolie). On Ie voit, il s'agit d'une entreprise ambitieuse, difficile, d'une etendue enorme. Le lecteur peutdonc s'attendre it un periple aux incursions frequentes dans des domaines souvent evites par bon nombre de chercheurs simplement it cause de la complexite des reuvres. Leur message cependant converge invariablement vers la pensee benjarninienne OU Ie melancolique cherche dans les lointains sa consolation, son abri. «La melancolie telle que j'essaie de la penser ici insiste sur Ie fait que c'est en un certain lieu qu'une eertaine mort nous ree/ame » (la citation de Benjamin est soulignee par Cozea, p. 17; cette citation se trouvera au centre du dernier chapitre de I'essai). Cozea demontre que Ie melancolique met I'objet de son amour it l'abri, dans la douleur, dans la solitude, au creur du soir. Puisqu'il ne peut plus toucher la terre natale (sa «Muttererde»), et qu'il doit meme la fuir, il tombe dans Ie refus radical de cette patrie toute reelle pour s'en creer une autre, imaginaire, par Ie voyage. Cozea rappelle Proust et les bouleversements qu'impliquent Ie depart et I'arrivee. lei, il aurait ete aise d'invoquer la figure de Jean des Esseintes d'A Rebours, figure emblematique de la melancolie au temps de la litterature decadente, qui veut (?) partir, mais n'acheve jamais son voyage. Pour la figure centrale du roman huysmansien ; cette evasion s'avere etre une experience parmi tant d'autres lui revelant la futilite de ses tentatives d'echapper it sonsolipsisme, conformement it la ligne de pensee « neoromantique » durant les deux dernieres decennies du XIX' siecie. Proust, par contre, s'appuie directement sur la definition de la melancolie telle que formulee par un peintrecommeCaspar David Friedrich.Suivant La melaneolie au miroir, cetessaiincontoumable de Jean Starobinski, Cozea revele dans des analyses finement menees de quelle fa~on Ie melancoliqueeloigne de lui tout cequi lui estfamilier. Ainsi, dans Ie tableau de Friedrich, Le naufrage de ['Esperance - La mer de glace (1824), la mer, familiere en apparence, est transformee en un element meurtrier, signlfiant Ie passage vers Ie durcissement, I'inanime, la despiritualisation et la deshumanisation. Cela ramene Cozea it la notion du Beau, elaboree it partirde la definition connue de tous par Kant, pour qui I'objet juge « beau » produit une satisfaction it la suite d'un jugement de goilt sans interet. Celui qui contemple les peintures de Friedrich part en voyage; il brise en permanence UNIVERSITY OF TORONTO QUARTERLY, VOLUME 73, NUMBER 1, WINTER 2003/4 SCIENCES HUMAINES 591 son attachement ala patrie (Ie familier). Mais qui dit partir, dit aussi ne pas vouloir connaltre sa destination/sa destinee. Le voyage qui nous mene au Beau, Benjamin Ie definit dans son rapport 11 l'Histoireeta la Nature, tandis que Proust ouvre sa pensee devant I'objet de I'admiration ou de I'amour, saisissant ainsile Beauparrapport a la Nature dans un mouvementmfi par ses propres passions. L'hornrne du XIX' siecle se coupe du passe et nie I'Histoire, cornrne nous l'apprend Baudelaire dans sa definition de la modernite. Avec lui, Ie travail de I'artiste devient celui du melancolique, comme en temoigne l'analyse entreprise par Cozea dans Ie «Baleon » baudelairien, oil Ie Beau est mis a I'abri, cache dans la nuit. Dans son chapitre intitule «Le moment clinique », l'auteure recourt a Bouvard et Pecuchetqui apposentatoutes leurs entreprises leursignature, se transformant par cet acte en artistes, et confirmant ainsi la these de Deleuze voulant que l'art soitd'abord «affiche, pancarte». Cozea fait alors Ie lien entre les 4' et 5' elegies de Duino et Le cOte de Guermantes II avec, cornrne scene centrale, la mort de la grand-mere, illustrant Ie Beau dans l'amour en revisitant les lettres de Madame de 5evigne. Charlus avail bien compris cet amour dans A l'ombre des jeunes fllles en fleurs : expliquer la cause du Beau lui donne la mort. Car, tant pour Marcel que pour 5evigne, la patrie, Iefamilier, signifienttoujours l'etre Ie plus aime ;chez Proust, c'est la grand-mere, chez 5evigne, la fille. La mort constitue un «nceud» dans la duree du temps, cornrne l'avait demontre Levinas (Dieu, la mort et Ie temps, 1993). L'amour de 5evigne reflete, selon Charlus, son amour pour sa fille et Ie non-sens de la mort. Pour terminerl revenons aBenjantin. Dans son texte « Le narrateur » (Rastelli raconte... etautres recits), ilecritau sujetde la mort de la grand-mere de Marcel: «Seule, en effet, sa mort revele Ie "sens" de la vie. [...]Comment savoir que la mort attend deja ces personnages, et une certaine mort en un certain lieu?» (cite par I'auteure p. 169) La mort de la grand-mere scelle Ie sens de la vie du narrateur de la Recherche. Pour Ie melancolique, la souffrance et la mort precedent 1'« incubation» de toute ceuvre d'art. Si, pour Benjamin, I'ceuvre de Proust demeure fondee sur la rememoration comme moment de reveil (p. 185), les chefs de I'ecole de Francfort,Adorno et Horkheimer, ne laissent ni Ie bonheur ni Ie malheur echapper 11 la negation du regard en arriere, petrifiant ainsi les «phenomenes» benjaminiens et transformantles souvenirs en objets d'admiration,s'opposantainsi au travail de sauvetage propre au romancier qui recueille cette succession«rarement sans une profonde melancolie». Dans cet essai particulierement etoffe et aux references dont la masse peut paraltre parfois accablante, aux frequentes incursions dans des domaines relies acelui de la melancolie (cornrne la neurasthenie), Cozea livre une reflexion solide sur un sujet d'une complexite devant laquelle bien d'autres reculeraient. Se situant entre litterature et philosophie, UNIVERSITY OF TORONTO QUARTERLY, VOLUME 73, NUMBER I , WINTER 2003/4 592 LEITERS IN CANADA 2002 analyse litteraire et nHlexion theorique, ce "petit traite » aurait cependant gagne it etre elague, ce qui en aurait rendu la lecture plus aisee. Le texte, d'une densite extreme, for~ant Ie lecteur Ii revenir souvent en arriere afin d'oHablir les liens avec Ie sujet du livre, s'appuie sur une interdisciplinarite et une erudition que I'on observe rarement dans Ie domaine litteraire. Le plus grand merite de ce procede est sans doute I'ouverture de nouvelles pistes d'interpretation, une invitation pour d'autres disciplines (arts visuels, psychanalyse, musique) it sejoindre aux efforts afin de rendre plus transparent tant Ie texte du philosophe que Ie travail du romancier. C'est pourquoilesfaiblesses du livre de Cozea-une prose somme toute difficile d'acces et I'habitudefacheuse de poser des questions rhetoriques, un exces de citations (quiserventsouventnonpas Ii cimenter la n,flexion de I'auteur mais it clarifier I'objet d'etude) - n'ont que peu de poids devant la somme immense d'informations et l'admiration de l'auteure pour Ie philosophe allemand dont la disparition s'est accordee parfaitement avec sa propre remarque:elle a eu lieu en un certain lieu OU une certaine mort I'a reclame. (HANS-JORGEN GREIF) HelE~ne Gaudreau et Fran~ois Ouellet, 100 romansfran~ais qu'ilfaut lire Quebec, Nota bene, coll. NB Poche, 3'5 p., '3,95$ Etonnant travail dontl'effetn'est pas immediatementsaisissable, ce recueil de comptes rendus de «100 romans qu'il faut lire» me rappelle les mots de Walter Benjamin, selon qui Ie romancier recueille I'histoire de tant de vies achevees, inconnues, desuetes, vies qui sans Iesauvetageque Ie roman leur offre seraient passees it I'oubli. Difficile de savoir si on peutencoresoutenir que roman et memoire sont ainsi lies. L'art de la lecture est necessairement ala baisse de nos jours; si donc memoire - et reservoir de la memoire - il Ya encore, dansI'epaisseurdes romans, on peutsedemander comment ces vies - inscrites lli-dedans parce que l'ecrivain les aura jugees inoubliables - sauront elles-memes etre preservees de l'oubli. Helene Gaudreau et Fran~ois Ouellet ant un peu accompli Ie travail de tels sauveurs des reservoirs de la memoire que sontles romans. Leurs textes, fascinants pour les amateurs de I'histoire litteraire et de l'histoire en general, se deploient ala maniere d'une intrigue ayant pour objectifd'empecher que se perde la memoire des 100romans quien constituentles tableaux et les personnages. . Avez-vous jamais reve, jeune et epris de litterature, de dresser la liste de tous les livres que vous alliez lire, de sorte que vous ne perdiez jamais Ie fil renu de vos lectures? C'est un peu ce que proposent Gaudreau et Ouellet, qui ne divulguent cependant que la «liste raisonnee» des «bonnes lectures », des bons romans dont ils nous racontent I'essentiel, soitun contenu qui doit, pour la plupart des cas, tenir dans deux pages et un tiers apeu pres. Pariimpossible presque, mais qu'ils arrivent arelever sans que Ie lecteur UNIVERSITY OF TORONTO QUARTERLY, VOLUME 73, NUMBER 1, WINTER 2oo}/4 ...

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