In lieu of an abstract, here is a brief excerpt of the content:

58 Enseigner les auteures des Lumières1 Samia I. Spencer Auburn University Le titre même de cet essai pourrait paraître curieux et susciter des questions légitimes. À l'exceptionde quelquesromancières,telles que FrançoisedeGraffigny (1695-1758), Marie-Jeanne Riccoboni (1713-1792)ou Isabellede Charrière (17401805 ) dont les noms commencent à être connus, les femmes ont-elles écrit au XVIIIe siècle? À part le roman, quels genres ont-elles pratiqués? Quels sont les titres de leurs ouvrages? Ont-elles contribué à la philosophie des Lumières? Excepté pour les spécialistes en la matière, les réponses à ces questions ne sont pas faciles, même parmi les dix-huitiémistes. Comment pourrait-il en être autrement lorsque les manuels scolaires sur lesquels se fonde l'enseignement du XVIIIe siècle nous laissent croire que les Lumières sont d'ascendance exclusivement masculine — ses géniteurs étant d'Alembert, Diderot, Montesquieu, Rousseau, Voltaire et leurs confrères — les femmes n'ayant pas de place parmi les grands auteurs de cet âge. Chaque époque fait place à une femme au moins parmi ses inoubliables : Marie de France et Christine de Pisan au Moyen Âge, Marguerite de Navarre au XVIe siècle, Marie de Sévigné et Marie-Madeleine de Lafayette au XVIIe, et Germaine de Staël et George Sand au XIXe. Ironiquement, seul le XVIIf est privé de « grandes auteures », alors que c'est l'époque où le règne des femmes atteint son apogée : ce sont elles qui « gouvementles esprits » (Decaux 258) et « dirigent la littérature » (Lamac cité par Decaux 352). Ironie peut-être même plus grande : à l'aube du XXIe siècle, alors que les femmes ont conquis tous les domaines professionnels y compris l'espace, qu'elles ont atteint les plus hautes instances du pouvoir, et qu'eues ont enfin franchi le seuil de l'Académie française, elles attendent toujours aux portes des manuels scolaires. Pour le constater, il suffit de feuilleter quelques titres, et non des moindres. Elles sont complètement exclues de XVIIf Siècle. Les Grands Auteurs français. Anthologie et histoire littéraire, des très célèbres Lagarde et Michard, même d'un chapitre consacré aux auteurs dits « mineurs ». Il en est de même dansLittérature française. Histoire et anthologie (Nony et André) qui passe directement de Lafayette à Staël. Au prime abord, Xavier Darcos pourrait paraître un peu moins sexiste puisqu'il accorde six lignes à une écrivaine, Marie-Jeanne (Manon) Roland (1754- 1793), dans un chapitre intitulé «Marginaux et contre-révolutionnaires» de son Histoire de la littératurefrançaise. Hélas, il aurait mieux valu l'en exclure, l'information étant présentée de manière tendancieuse et biaisée. Même les plus ardents défenseurs de la femme du XVIIIe siècle ne semblent pas exempts de préjugés à l'égard de la contribution féminine à la littérature et à la philosophie de l'époque. Serge Grand qui consacre une série télévisée de quinze épisodes à la vie ENSEIGNER LES AUTEURES DES LUMIERES59 de salon (France-Culture 1982), publiée ensuite dans un volume intitulé Ces Bonnes Femmes du XVIIf siècle. Flâneries à travers les salons littéraires, ne tient pas compte de l'abondante production littéraire de ses propres protagonistes. Enthousiaste admirateur des femmes des Lumières, Alain Decaux n'échappe point au piège du sexisme quitte à se contredire lui-même. Il détaille leur « efflorescence littéraire » (352) partout en France et même au-delà, reconnaît que « leurs œuvres ont été des succès », nomme leurs prestigieux lecteurs, admet qu'elles ont été,« mieux que les hommes », le porte-parole de « l'art [de cette] civilisation » (353), et que « sans elles, [ce temps] n'eût pas été le 'siècle des Lumières' » (365). Pourtant, sans preuve à l'appui et sans doute étonné lui-même de ses propres contradictions, il affirme que « le curieux de l'affaire, c'est que ce foisonnement intellectuel ne va produire aucun grand écrivain féminin » (364). Dans son excellente étude The Republic of Letters. A Cultural...

pdf

Share