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  • Le Galet et après?Christine Chamson dans l'atelier de Francis Ponge
  • Bénédicte Gorrillot

Francis Ponge s'est souvent inspiré des peintres pour écrire, comme en témoigne l'épais volume de l'Atelier Contemporain (1977) qui rassemble une grande partie de ses textes sur des artistes modernes. Mais il inspire aussi les peintres. Cette relation est encore peu étudiée par la critique pongienne et retiendra ici notre attention, à travers l'exemple remarquable de Christine Chamson.

Née en 1960, cette peintre parisienne entre souvent "dans l'atelier de Francis Ponge." Ancienne élève des Beaux Arts de Paris, diplômée en 1985 en section gravure, dans l'atelier de Jean-Marie Granier, elle est actuellement professeur aux Ateliers Beaux Arts de la ville de Paris et mène une double carrière de pédagogue et d'artiste.1 Elle rencontre, au hasard de ses lectures, l'œuvre de Francis Ponge, en 1988, alors même que ce denier vient de s'éteindre. Comme elle l'explique dans un entretien accordé en décembre 2010, "lorsque la rencontre se fit, un univers s'ouvrit à moi: les mots de Ponge m'étaient lumineux; c'est-à-dire générateurs d'images. [. . .] J'ai lu et relu Ponge. Je me suis mise en quête, dans son œuvre."2 La peintre parcourt surtout Le Parti pris des choses (1942) et Pièces (1961) et éprouve le besoin de prolonger, par ses entrelacs personnels de traits peints ou de formes gravées, les réflexions littéraires menées par ce poète dans "La Crevette dans tous ses états," "Escargots," "La Robe des choses" ou encore "Le Galet."3

Comment exactement? Que devient le texte-source de F. Ponge dans l'atelier de C. Chamson? La dernière exposition de l'artiste, née de la lecture du "Galet" qui clôture Le Parti Pris des Choses, offre une nouvelle occasion de répondre à ces questions.4 [End Page 99]

D'un dispositif titrologique

Pour cette dernière exposition du 29 mai 2011, à la Galerie Olivier Nouvellet de Paris,5 Christine Chamson a accueilli son visiteur avec un dispositif à la fois énigmatique et efficace: celui de la double titrologie qui encadrait ses dessins. Elle a choisi pour l'ensemble des œuvres montrées: . . . "De ce corps fabuleux," Le Galet, Ponge. Comme annoncé d'emblée, ce titre est extrait du poème "Le Galet" (1927-28) de Francis Ponge. Or la peintre a fait précéder la citation par trois points de suspension, afin, peut-on penser, de surligner son côté elliptique et, via l'aposiopèse, commencer l'exposition par un silence.

Quel est ce silence? Et quel est "ce corps fabuleux" auquel a été convié le visiteur en avant texte? "Fabuleux" annonce une merveille, mais l'adjectif vient surtout de "fable," dérivée de la fabula latine qui a traduit le mythos grec.6 "Fabuleux" renvoie aux récits primordiaux, à ces mythes cosmogoniques grecs qui ont imaginé la naissance du monde, de la terre, des dieux, des hommes, des animaux, des plantes, des souffles . . . "Fabuleux" éclaire à la fois le silence et le corps énigmatiques du titre. C'est le silence des origines, avant que la parole divine ou humaine (adamique) ne nomme les choses et ne les fasse exister. C'est le corps des origines, le corps des corps, décrit dans les légendes antiques. Pour les Grecs, c'est le corps de la Terre-Mère, appelé Gaia7 ou Gê.8

Par ce titre, C. Chamson a proposé de revenir au monde originel, quand les hommes, pour en comprendre le fonctionnement mystérieux, ont imaginé ses éléments pétris par la présence des Dieux. L'infatigable phallus géant d'Ouranos (le ciel) frappait et fécondait la matrice terreuse, fibreuse (Gê-Gaia).9 Le silence pré-humain entourait cet inlassable assaut séminal. Dans son poème, Ponge évoque cette époque où "l'aïeul énorme [. . .] s'éveille pour le baptême d'un héros de la grandeur du monde et découvre le pétrin affreux d'un lit de mort."10 Avec...

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