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¦ _ . Women in French Studies Entretien avec Michèle Rakotoson Christiane Makward Paris, 27 novembre 1998 Comme prélude à mon entretien avec Michèle Rakotoson (prononcé [rakot'son]) et comme introduction à son travail je ne peux que recommander son entretien avec Monique Hugon1. Michèle Rakotoson (née Raveloarison en 1948) est l'écrivaine malgache francophone la plus en vue depuis une quinzaine d'années. Elle travaille à Radio France Internationale et vit surtout à Paris. Fille d'une bibliothécaire, "née dans les livres", elle a eu trois fils d'un premier mari. En français, elle a publié un recueil de trois nouvelles, un roman, des pièces de théâtre, un récit pour lajeunesse et en 1 998 un texte narratifpoétique post-moderne. Mais elle a commencé, car c'est un animal politique avant que poétique, à écrire et publier en malgache. Elle entend poursuivre une oeuvre dramatique qui lui tient fort à coeur. ***** C. Dans nosbavardages préliminaires tume disais que tu avaisretravaillé une des pièces déjàpubliées en rapportavecune nouvelle pièce inédite "Elle dansa sur la crête des vagues" M. Oui, en fait "Unjourma mémoire", "Elle dansa sur la crête des vagues" et "La maison morte" font une trilogie sur le pouvoir, sur l'amour, sur la mort, les grands thèmes. C'est toute une réflexion sur la dictature, sur ce quej'ai personnellement vécu entre vingt-cinq et trente-deux ans... C'était la période la plus dure de la dictature à Madagascar quand je suis partie, avec des types qui disparaissaient, avec des lois iniques... Donc pendant longtemps j'ai vécu "parano", ayant peur de tout, susceptible , et je le suis encore par rapport à tout ce qui ressemble de près ou de loin à un pouvoir ... C. Là-bas? ici? Il y a des prolongements de cette situation pour toi en France? M. Non, mais quelqu'un qui a vécu une dictature est profondément marqué de toute façon. Quand on a vécu la peur pendant des années, la violence, quand on a vu des copains mourir, on a peur de tout, on ne supporte plus aucun pouvoir, on se sent prisonnier partout, on se sent fliqué. Quandje suis arrivée en France je voyais des flics, des radars partout. J'ai fait un travail thérapeutique, et le travail d'analyse écrite l'a complété. Il fallaitvraiment queje me débarrasse de ça. D'où cette réflexion sur la dictature: "Unjour ma mémoire", "Elle dansa sur la crête des vagues" et "La maison morte" qui est l'histoire d'un dictateur, un couple presque banal qui est enfermé, qui joue aux cartes, et au fur et à mesure on s'aperçoit qu'en fait c'est un dictateur. Je l'ai refaite, elle va beaucoup plus loin maintenant. Je vais essayer de faire publier les trois pièces enmêmetemps parce que c'estune réflexion complète. Commentune décision prise dans une chambre par un fou se répercute sur la vie de tout un peuple. Et "Elle dansa ...", c'est du théâtre dans le théâtre, des gens qui font du théâtre sur Ia guerre, alors que la guerre est autourd'eux, elle arrive: comment est-ce qu'on vit en sentant, en sachant que la guerre arrive et qu'on ne peut rien faire? C. Ce qui m'a frappée, c'est qu' à côté d'une situation malgache à laquelle, à part les noms, il n'y a rien de très spécifique, on peut lire toutes sortes de tragédies Makward<75 contemporaines concernant l'Afrique, l'Indonésie, l'Amérique du Sud, le Congo ... Ce sont des pièces facilementtransposables, parce que l'abus de pouvoirestun problème "universel". Nonpas qu'il faille sortir de la situationmalgache, maisjeveux dire qu'on peut faire toutes sortes de liens, toutes sortes de parallèles avec ce que tu écris, ce que tu as vécu et ce que tu essaies de convoyer ... Ce sont des pièces "traduisibles", j'ai pensé àbeaucoup d'autrestextes dramatiques politiques surces problèmes du pouvoir. M. Deux ans après mon arrivée en France, il y avait des manifestations àParis, sur le droit de vote des Beurs, vers 1985. Je m'étais retrouvée avec eux etje disais: "Oui, on manifeste, mais l'armée ne tire pas! Chez nous dès qu'on manifeste, l'armée tire!" Et une fillem'adit"Ça faitcombien de temps quet'es ici?" Je lui ai dit"Ça faitdeux ans." Elle m'a dit: "Ecoute, pour l'instant, adapte-toi, ne pense plus àton pays, ou penses-y mais dis-toi bien que dans cette ville-ci on est des milliers à te ressembler. Tu ne t'en sortiras, de ta propre guerre, ettu ne pourras continuer ta guerre qu'en rejoignant celle des autres." Et cette phrase m'a marquée. A partir de làj'ai compris que sije voulais continuer à être honnête dans ma tête je ne pourrais pas continuer à me dire: je suis militante de mon pays ... mon pays, il était loin... La réponse pour moi c'était d'être citoyen du monde, citoyen au sens de 1789 duterme, làoùje suis, dansune bagarre qui me concerne. Etàpartirde 1985j'airejointdesmouvements dejeunes immigrés ici, des sans papiers, j'ai trouvé du journalisme. J'ai choisi d'aller partout en France pour comprendre ce pays dans lequelje vivais etj'ai étéjournaliste en société pendant sept, huit ans. J'ai sillonné la France en posant des questions à tout le monde. J'ai rencontré des Turcs, des Algériens, des Afghans, des Iraniens, des Latins, et bien sûr des Africains aussi ... Ils parlaient de ce qu'ils vivaient enFrance, de ce qu'ils avaientvécu là-bas et ça a été phénoménal dans ma tête! J'ai compris quej'étais Malgache, c'est clair,je suis née là-bas,j'ai vécu là-basjusqu'àtrente ans, mes parents y sont,j'ai une mémoire qui est malgache... Mais petit à petit c'est devenu autre chose. Je n'ai pas vraiment relativisé maisj'ai mis en perspective. J'ai compris que ce qui se passait làbas se passait aussi ailleurs et c'est, je crois, normal que mes pièces reflètent tout ça: une pièce malgache c'est aussi une pièce chilienne, avec laviolence plus grande ou la violence moins grande, la spécificité de chaque pays... Mais quelles que soient les spécificités, de toutes façons, quand on a vécu des horreurs,comme en ont vécu les Chiliens, les Argentins ou nous, chacun estmarqué à la base de la même manière. C. Cet entretien s'adresse à la communauté universitaire "franco-femme" aux Etats-Unis et quelque peu ignorante de ton pays. Alors qu'est-ce qu'on peut recommander comme lectures d'introduction à la culture, à l'histoire récente à laquelle tu t'es agrippée? Où est-ce qu'on peut chercher pour comprendre? M. Sur Madagascar pour l'instant il y a une chappe de silence des Malgaches eux-mêmes. Je ne connais pas de livre qui parle de ces vingt dernières années, à part des essais politiques que l'on peut trouver chez l'Harmattan, de M. Deleris. Ce sont des livres qui apportent un regard de l'extérieur. Il y a des livres d'histoire qui situent l'Indépendance (1960), les révoltes et le départ de la communauté française en 1972, l'arrivée du dictateur en 1975 (restéjusqu'en 1990) puis des électionsmalheureusement classiques. Rejeté du pouvoir en 1995, il est revenu en 1996 avec des élections "démocratiques" saufqu'il n'y aeuque 10% de lapopulation qui avoté. Onpeutparler de la misère qui a grandi en trente ans, une misère terrible: c'est un des pays les plus pauvres du monde actuellement. On peutparler aussi des fantômes de guerre civile qui . _ , Women in French Studies l /o heureusementn'ontjamais explosé mais qui onttoujours été là. Enrecoupant à droite et à gauche on arriverait à retrouver, mais la synthèse de tout ça, c'est encore à écrire C. Mais alors que font les historiens? M. Il y aun grosproblème d'édition àMadagascar. Des thèses existentmais elles ne sont pas éditées. La première des choses faites par cette dictature c'est qu'elle a taxé, surtaxé le livre, le papier et petit à petit les gens ont perdu l'habitude de lire, d'écrire, donc iln'y apasdemaisonsd'éditionréelles. Ilyaungranddésarroi intellectuel en réalité, là-bas ... Moije suis partie parce qu'àun momentj'ai compris que la seule chose qui m'intéressait c'était d'écrire, queje ne voulais pas crever la gueule ouverte en n'arrivantpas a écrire ... On est deux ou trois à avoir fait ça, mais il y a eu toute une génération en 1975-80quivoulaitfairedes films, écrire, faireautre chose etquien réalité n'ajamais rien fait ... parce que certains sont morts, d'autres ont été laminés., ils sont maintenant alcooliques, drogués, petits fonctionnaires complètement frustrés, aigris... C'est un tableau assez dramatique. C. Donc, si je voulais faire un cours d'introduction à la littérature, la culture, l'histoire récente,tuauraisdumal àme signaler destextes utiles? Est-ce qu'il y aurait des revues, desjournaux à explorer? M. Il faudraittoutun travailde bibliographie... Bon ily aune édition desnouvelles francophones. A travers ces nouvelles on voit ce qui s'est écrit pendant ces vingt dernières années. Pour des livres d'histoire, il faut rechercher. L'Harmattan etKarthala ont pas mal de choses... CJ'aimeraisquetu imagines quetues invitée àfaite un coursdansuneuniversité... Alors, côté littérature, est-ce qu'il y aurait quatre ou cinq textes qui te viennent à l'esprit, sans parler des tiens [rires],des textes que tu considères fondamentaux ou fondateurs pour signifier, pourreprésenter la littérature malgache, en langue française évidemment. M. Heureusement que tu dis "en langue française" [rires] parce que, en fait, les textes fondateurs sont en langue malgache. En français, ils datent d'il y a 70 ans: les poèmes de Rabearivelo ... etjem'aperçoisque cestextes-là, quiparlaientde l'oppression coloniale, seraient très bien re-dits, actuellement, la-bas. Un autre "père" c'est Rabemananjara, un poète. Ce sont les deux plus grands. Après il y a un saut de générations. En langue française, il y a moi et Jean-Luc Raharimanana (il est aux éditions du SerpentàPlumes) qui aécritdeuxrecueils detextes extrêmementviolents, La Lucarne et Rêves sous un linceul . Il incarne vraiment la génération née dans la dictature et qui en porte les séquelles: la violence, la douleur, ce sont des textes à la limite du supportable ... C. Je me souviens d'un texte malgache dans un des recueils de nouvelles patronnés par RFI, un des textes les plus violents, les plus épouvantables que j'aie jamais lus - et dans ton derniertexte Henoy (prononcé [enuj]), tu te rapproches de ces limites-là... Il y avaitcette histoire d'un facho qui ordonnait le viol de samère sous ses propres yeux! .. Pourmoi, ça aété une expérience de lecture très pénible. M. Oui,j'avais oublié cetexte. Cette génération-là, qui a35-40 ans, àMadagascar, est terriblement marquée. Les textes francophones contemporains les plus violents ontété écrits pardesMalgaches, parJean-Luc Raharimanana, David Jaomanoro, JeanClaude Fota qui a écrit un texte sur un type en prison. Je crois, avec le recul, qu'on a vécu l'horreur. Quand on est dedans on ne réalise pas. C'est après, quand on voit ce Makward? ?? que deviennent les gens, ce qu'ils racontent ou ce qu'ils n'arrivent pas à raconter, qu'on s'aperçoit que toute une génération n'apu écrire que ça; c'estvraimentterrible. En plus Madagascar estune île, nous sommes des insulaires et la limite d'une île c'est la mer, donc la mort, et on est toujours hanté par cette espèce d'obsession de la mort, du macabre. J'avais complètement oublié un des textes les plus forts, et bien écrits, c'était le texte de DavidJaomanoro, qui est insoutenable... Il fautbien dire que le livre d'analyse sereinn'estpas encore fait, et il faut le faire. Il fautdire aussi que l'expérience malgache estcelle d'unpeuple extrêmementcourageux, qu'il y a, paradoxalement, un espoir, actuellement. C'est un peuple qui a décidé qu'il allait s'en sortir, qu'il allait éviter des guerres civiles. C. Est-ce que tu as jamais envisagé de travailler à une anthologie de littérature malgache? M. C'est vraiment pour moi un problème de temps et pour l'instant, c'est mon oeuvre personnelle qui prime ... Des anthologies de nouvelles contemporaines existent mais pour les romans, pour l'instant, on est deux romanciers malgaches francophones.. En malgache, c'est autre chose. C. Toi et Jean-Luc? M. Il est sur Paris... En fait, une chose à faire ce serait plutôt un livre de réflexion. Je me demande sije ne vais pas unjourm'acheminervers ça: analyserpourquoi lamort de la littérature, pourquoi pas d'écrivains dans un pays ... On parle beaucoup de dictature mais est-ce que la pire des dictatures n'est pasjustement de tuer la création littéraire, de tuer laréflexion? C. Maistu disais tout à l'heure "les textes fondateurs sont en malgache". Alors la créativité en malgache , ça s'est éteint aussi? M. Non, elle ne s'estpas éteinte mais comme il n'y apas de maisons d'édition ce sont les chanteurs qui ont pris le relais... A Madagascar il y a un grand désarroi des intellectuels... C. Est-ce qu'il fautrapprocher ces chanteurs des formes de théâtre populaire que tu analyses dans le numéro spécial de Théâtre Sud (3, 1991), car tu es une personne extrêmement bien informée sur le théâtre traditionnel malgache? Oubien, est-ce qu'on parle de deux genres complètement différents, d'une forme de chanson populaire et "techno" qui se rapproche des jeunesses du monde à partir du monde occidental et anglo-saxon? On parle de ça, ou bien est-ce que ces deux traditions s'interpénétrent? M. Les deux traditions se rapprochent actuellement ... Ce qui est fascinant à Madagascar c'est que l'emprise de la tradition est très forte: on est d'abord et avant tout des Malgaches, complètementbaignés dans une culture malgache. Même quand on met dix mille kilomètres entre notre pays et nous, on est toujours rattrapés par la culture, les chants, la musique, les poèmes en malgache, par la langue malgache. En 1972,juste avant ladictature ily aeutoutun mouvement qui s'appelait "Retrouverses racines" et ça continuejusqu'àmaintenant (mes fils en sont), ce retour vers lanature, les sources paysannes, vers la terre, les chants de la terre, les poèmes de la terre, la musique paysanne, les contes paysans. En fait ce qu'on appelle lamortdes intellectuels actuellement, c'est le désarroi des intellectuels formés à l'occidentale parce qu'ils ont des structures, ils ont des instruments de travail qu'ils doivent réadapter à ce qui se passe là-bas (tu me diras: pourtout le monde c'est la même chose!) et qu' il y a quand même le grand mythe de la France, de l'Europe, de l'Occident... alors ils n'osent pas ]7¡,Women in French Studies couper le pont et se dire "Voilà, on arrête tout, et on va chercher"... Donc il y a des recherches, elles aboutissent et elles ne sont pas éditées, il y a une réflexion mais a un moment donné ça ne va pas; il y a une espèce de coupure latente entre la population qui, elle, estredevenue profondémentmalgache et les intellectuels formés à l'occidentale. C. Tu te comptes ou tu ne te comptes pas parmi ceux-là? M. Je faispartie d'eux! Je suis aussi désorientée qu'eux etmaintenant ... Bon, plus jamaisjenedemanderai àquelqu'und'allerfaire larévolution. Pourmoi c'estclairparce que j'ai trop rêvé d'une révolution mais moi je suis vivante et d'autres sont morts. C'est une culpabilitéterrible, tout ce en quoij'ai cru, et quej'ai crié àhaute voix parce quej'y croyais ... Maintenantje me pose des questions du genre "Mais attends! Tu y as cru! mais ça a donné quoi?" Tout ça ce sont des questions qui laminent .. "Ça a donné quoi?" En plus, la culpabilité d'être loin, en me disant: "Bon tu t'es éloignée et tu as fait quoi? Qu'est-ce qui s'est passé?" Il y a ça, et ce n'est pas un luxe de le dire! Ce désarroi -là, à la limite chezmoi il estmoins violentque chezpas mal de copains que j'ai retrouvés à Madagascar parce que, bon, à partir du moment oùj'avais décidé que mon terrain de travail était la France, ça a été relativement plus facile de me reconstruire, de me poser les questions, puisque je prenais les questions des autres ... Il y a quelquesjoursj'ai rencontré un copain de mon âge, avec quij'ai grandi etje me suis aperçue avec bonheur que les questions que je me posais, les conclusions que j'ai sont les siennes. Mais pour lui le désespoir est plus grand, parce que peut-être, étant en occident, j'ai plus de moyens pour dire ce quej'ai à dire ... C. Lui il est resté, essentiellement? Mais toi, tu retournes souvent, tes trois fils vivent là-bas? M. Oui, ils sont rentrés mais moi, pendant douze ans, je ne suis pas rentrée, maintenant ... C. Tu t'éprouves comme moins coupée? Est-ce que la question de l'exil est désuète? M. La question de l'exil pour moi ne se pose plus. Je ne me sens pas exilée. Petit à petit, de nouveau, je m'implique dans ce qui se passe là-bas. J'ai impulsé des projets... Commeje travaille ici,je nepeux pas y alleraussi souventqueje le veux, mais je pense que c'esttransitoire, dans quelque tempsje vais pouvoiry aller au moins trois fois par an et suivre les projets, déjà cette annéeje le fais. Par rapport à la culpabilité d'être en exil,je l'ai moins maintenant ... Peut-être qu'elle est en train de s'effacer, que je suis en train de devenir "sage" ( "J'ai fait ce quej'ai pu là oùj'ai pu.")... Mais il se pose quand même la question des erreurs, des responsabilités ... Pourquoi on en est arrivé à ce point là? On esttous responsables de cet échec mais comment? Parce qu'il y aeuun échec, là ... C'estpourquoije suis absolument admirative vis-à-vis de ceux qui sont restés, qui ont continué à faire de qu'ils ont pu, à gérer ce pays... Le personnage de "Unjour ma mémoire" c'est un personnage quej'admire: lui il est allé au bout, il est allé enprison, mais il agéré... il afait les concessions quand il fallait les fairemais il aété responsable, il a accepté le devoir de réserve quand il fallait, il a fermé sa gueule peut- être de temps en temps mais il a continué... tandis que elle, elle gueule, mais c'est pas elle qui estallée en prison, c'est lui... Donc il y aces questions-là, et en mêmetemps (je reprends ce quej'ai dit)je suis admirative devant la génération qui a trente-quarante ans, parce qu'en fait ils ont pris le pays à bras le corps. Ils montent des entreprises, ou du moins ils essaient, ils font ce qu'ils peuvent avec les moyens du bord, il n'y a plus Makward, ^o de grand discours idéologique, il y adutravail au ras du sol, et c'est sans doute ce qu'il faut faire ... Je le dis unpeu dans "UnJourmamémoire": letravail quotidien, apprendre à ramper, à marcher lentement, c'est peut-être ce qu'il faut faire ... C'est vrai quej'ai parlé de désarroi, c'est aussi le mien: il y a un grand désarroi là ... C. Est-ce que la situationpolitique actuelle permet quandmême l'espoir? M. Elle est extrêmement ambiguë ... parce que l'ancien dictateur estrevenu. Cela dit il est complètement amoindri, il n'a plus les moyens de la politique qu'il voulait mener avant, il est contrôlé par tout le monde. Maintenantje parle d'espoir ... C. On s'achemine quand même vers une démocratie? M. Oui, etce n'est pas une histoire de dirigeants, c'est une histoire de population, une population qui est très politisée, aubon sens du terme, qui esttrès civique, qui sait qu'il fallait faire les choses comme il fallait les faire au moment où il le fallait... Ils l'ont fait, il y a là une prise en main de manière très calme... Je l'ai déjà dit: on a évité des guerres civiles: Bravo! Ça ne veutpas dire que ça ne va pas exploserencore, mais pour l'instantje vois un pays qui esten train de se reconstruire. Et surtout ce qui me fascine à Madagascar, et bien c'est les femmes. Madagascar est un pays de femmes très fortes C. Ça faisait partie de mes questions! [rires] Alorsje vais essayer de formuler la question telle que je l'avais envisagée pour pouvoir passer à la discussion de tes textes puisqu'il est désormais très clair que tu es un animal politique... Et en même temps tu es beaucoup d'autres choses. Une de mes questions porte sur un de tes premiers textes, Dadabe, qui est le panégyrique d'un grand-père. Je me suis demandée si ça t'agacerait qu'on pose la question de la différence sexuelle ou de l'identification sexuelle, en ce qui te concerne. C'est à dire: est-ce que çapose problème si on s'intéresse à toi parce que tu es une femme, et en tant que femme, ce qui estmaposition, commeje pense que tu l'as compris. Il y a aux Antilles en particulier plutôt un culte de la grandm ère.. J'ai lu tes textes par ordre chronologique, etje me suis dit: "Est-ce que Michèle cherche àse démarquerconsciemment d'unetradition africaine, afro-antillaise, où il y a quand même la reconnaissance de certaines formes de matriarcat, du fait que la vie repose après tout sur l'art de survivre des femmes?" C'est une question à tiroirs, à étages mais au fond: quelle place est-ce que la société traditionnelle malgache accorde aux femmes? M. D'abord la réponse sur Dadabe. Le premier texte quej'ai écrit en malgache c'était "Sambany"2, l'histoire d'une femme stérile qui est rejetée de la société parce qu'elle est stérile... Malheureusement le texte n'est pas édité... Pour Dadabe, c'est un roman qui s'est imposé. C. Alors tu l'appelles un roman? M. Enfin, un roman, un récit... d'ailleurs est-ce quej'ai vraiment écrit des romans, sauf Le Bain des reliques! C. Je sais que Karthala a mis "roman malgache" sur le livre mais en fait, avec Monique Hugon, tu le discutes en tant que recueil de récits et nouvelles. M. Bon, moi non plusje ne sais pas très bien ce que c'est qu'un roman.. J'écris des textes... Dadabe s'est imposé parce que très simplement j'ai été profondément marquée par un grand-père quej'ai eu la chance de connaître, untrès grand bonhomme, l'image du commandeur... Parler du grand-père c'était lui rendre hommage et le tuer (puisqueje l'ai tué à la fin, quand même[rires]). Bon,je ne suis peut-être pas arrivée à , ?.0 Women in FrenchStudies le tuer... mais enfin, cela dit, dans les autres livresjeparle beaucoup de lafemme... En réalité ce n'est que dans Dadabe queje parle d'un homme très fort, en fait laplupart de mes personnages hommes sonttrès fragiles... les femmes sont souvent beaucoup plus fortes... C. Donc ça ne te dérange pas qu'on aborde ton oeuvre sous l'angle du statut des femmes, de la question de la femme qui intéresse nos collègues de Women inFrench et moi enparticulier? M. Non, çane me dérange pas. Je ne suis plus féministe militante (je l'ai été àun momentdonné)mais c'estvraiquejepense que fondamentalementje le suis,je me suis bagarrée... Je le suis même peut-être tellement queje ne le proclameplus hautet fort... Bon il y a les choses de la vie... Très calmementje dis que, professionnellement, j'ai atteint un niveau queje ne dépasserai pas parce que soitje réagirais comme un mec (et c'est hors de question), soit ça demanderait un certain nombre de choses que je ne veux pas faire... Donc, calmement,je comprends que c'estparce queje suis une femme que ça ne peut pas se faire... Maintenant,je me dis "Tu es qui? - Je suis une femme noire dans une société d'hommes blancs." Alors soitjejoue lajolie femme noire, très mignonne, qui séduit tout le monde, et là, j'explose, soit j'accepte queje suis une femme noire avec toutce que celacomporte. D'ailleurs même pas femme noire, femme métisse, ce qui est un statut autre et encore plus ambigu, plus pervers ... Donc je réponds simplement "je suis malgache" et c'est une identité queje crée... D'où peut- être le faitquejeparletoujoursàpartirde ce quej'aivécuàMadagascar, avantde parler d'autre chose. Maintenant, parler des femmes ...je n'écrisjamais en me disant "je vais parlerdes femmes",mais il vade soi que laréflexionqueje fais c'esttoujours àpartirde ça aussi. . Elle auprintemps c'est une petitejeune fille.. Dans Henoy , dans Le Bain desreliques il y acette femme qui ne ditrien, elle setaitetregarde, et c'estce silence qui esttrès fort... J'aiparlé des femmes àMadagascarqui sont des femmes très fortes et ce qui me hante c'est le silence des femmes malgaches. Ce sont des femmes qui ne disent rien, qui vous regardent droit dans les yeux et puis ne disent rien et se lèvent et s'en vont. Je crois que lapire des gifles qu'on peutrecevoir, quand on est enfant, c'est que vous faites une bêtise, votre mère vous regarde, elle hausse les épaules et elle s'en va... C'est l'horreur ça, ça veut dire que c'est le rejet complet de la mère, et ce sont des femmes qui aux moments graves se taisent... en tout cas dans les femmes que je connais. C'estpeut-être une histoire de classe sociale, mais en tout cas les femmes que je connais ne hurlent pas, elles se taisent. Et c'est vrai que dans Le Bain des reliques elles se taisent, finalement lapetite Sahondra [protagoniste de Elle auprintemps] elle se tait, elle regarde, elle se tait. Dans Henoy, ces deux femmes qui se lèvent et qui l'accompagnent au bout du voyage, se taisent .. mais en même temps c'estun silence qui crie! C. Et il faut dire qu'il y en a, dans ton théâtre qui hurlent, au risque de leur vie! [rires] M. Oui, au théâtre elles hurlent, c'est vrai ... elles parlent ... C. On peutdonc dire, etc'estbien ce quinous aramenées l'une àl'autre (on s'était déjà rencontrées il y a dix ans), que tu es la première femme malgache à avoir pris la parole? Est-ce qu'on peut dire ça, en toute modestie? Est-ce qu'en malgache il y a eu des femmes? M. Non, on ne peut pas dire ça: en malgache il y a une tradition... Je fais partie Makward, ? ? d'une tradition de femmes très fortes: lapremière femme écrivain poètemalgache aécrit en 1937. Charlotte Razafiniainaaétémoins connue que les hommesparce qu'elle était une femme, bien sûr, en 1937, quand on écrit on est compagnon de route, on est compagne ... C. Elle écrivait en français? elle a été publiée? M. En malgache. Il y a des poèmes d'elle, publiés à Madagascar, et notre plus grand romancierestune romancière, Clarisse Ratsifandriamanana. Elle aécrit cinq ou six romans, des gros romans sociaux ... C'est quand même, avant Mariama Bâ, la première qui a parle d'unejeune femme qui accouche, qui est une femme, qui est une fille mère... Dans les années soixante elle aposé laquestion de lafille-mère, la question des castes... Il y a un engagement et si je dois me trouver une filiation, c'est cette femme-là. C. C'est une question queje n'ai pas rencontrée dans les petites lectures quej'ai pu faire autour de tes textes, pourpréparer cet entretien, la question des castes dans la société malgache. M. Madagascar est un pays de castes. Et ce sont des castes qui sont très fermées. C. Alors, qui sont les gens au bas de l'échelle? M. Les descendants d'esclaves ... C. C'est lié au métier ou pas? M. Non, Madagascar est un pays qui s'est structuré au 18e et au 19e siècles à partir du système d'esclavage. En gros, une population indonésienne était là au 12e s (l'Océan Indien étaitune zone de grandtrafic) mais on ne l'apas vraimentrépertoriée. Lapremière population répertoriée est arrivée au 12e siècle. Ce sont des Javanais, des Malais fuyant l'invasion musulmane... On ne sait pas trop s'ils avaient été réduits en esclavage mais ils sont arrivés à cause de l'Islam. A partir du 12ejusqu'à peu près le 16e, ily a euun système de traite "douce" (latraite arabe) parce qu'il n'y avaitpas de fusils, c'était le fouet. L'horreur est advenue quand les Portugais sont arrivés avec les fusils. L'histoire de Madagascar du 16e au 19e siècles, c'est une histoire de guerres tribales incessantes, parce que pour pouvoir envoyer des esclaves soit vers la corne de l'Afrique, soit dans les pays arabes, soit dans les Mascareignes, les roitelets s'entretuaient entre eux. Donc la constitution de petits royaumes s'est pérennisée à partir de la fin du 18e, quand les rois ont structuré le pays en castes; et c'était très simple: qui pouvaitoupas être expédié en esclavage. N'étaientpas expédiés ceux qui avaient servi le roi, et ceux qui d'une manière ou d'une autre ontrésisté, sontpartis. Je sais que dans mon village natal, il y a eu une première population partie en esclavage: parce qu'il n'avaient pas obéi au roi, tous les hommes sont partis. C. Donc le système de castes n'est pas lié aux métiers, mais plutôt à l'histoire du pouvoir? M. L'abolition de l'esclavage cheznous estarrivéetrès tard, en 1896. Donc il y a et trois traitements: les "droit commun" sont rentrés chez eux C. Mais là encore,je m'effare! Pourquoi cinquante ans plus tard? M. Oui, eton n'apastoutditparce dans l'Océan Indien, l'Ile Maurice, la Réunion, etc. il y a eu les"travailleurs libres", qui sontarrivés: les Indiens, les Chinois. C'étaient des "coulis", des intouchables ... enfin l'esclavage dans l'Océan Indien c'est l'horreur, et on n'en parle pas assez. C. Vraiment, ce n'est pas écrit, cette histoire-là? , o2 WomeninFrench Studies M. Pas encore, enfin, il y a eu un colloque mais ce n'est pas publié. A l'abolition de l'esclavage, il y a eu trois traitements: ceux qui étaient de droit commun ou de nouveaux esclaves sontrentrés chez eux, donc çaa été effacé... On n'en parle plus, ils ont retrouvé la liberté.. Les descendants d'esclaves, les enfants d'esclaves sont restés des esclaves... ils ont été libérés mais ils ont été "affranchis" et ils ont gardé le nom d'affranchis, les "zazahova"... Et ceux qui ont été décimés ce sont les descendants d'Africains. Maintenant on sait très bien d'où ils venaient: ce sont des Makoas du Mozambique... Eux, on les a fait venir aux 1 8e-19e siècles et ils sont laminés dans tout l'Océan Indien. Les descendants de Makoas qui ont été envoyés en esclavage, il n'en existe quasiment plus. A Madagascar, ce sont des intouchables: chaque ville, chaque village a son "Tanamakoa", le quartier des Macous! C. Et c'est donc lié à l'échelle de la couleur? M. Enfin, à l'histoire de l'esclavage... pas vraimentàl'échelle de la couleurparce qu'on a des populations noires, mais c'est lié à l'histoire de l'esclavage. Ces gens ont été amenés pour être des esclaves, ils n'ontjamais été acceptés, il y a eu des "ghettos" pour eux, les "Tanamakoas" et voilà ... En fait, il y a eu un génocide des Makoas dans l'Océan Indien, mêmetraitement à laRéunion, mêmetraitement à l'Ile Maurice. Je crois qu'il n'y a qu'aux Seychelles qu'ils ont àpeu près intégré. C. Tu mentionnes la Réunion... Je crois queje te l'ai dit la dernière fois qu'on a parlé: les Français vont beaucoup en vacances à la Réunion, on parle aussi pas mal actuellement de Madagascar. Est-ce que c'est une "nouvelle frontière" sur le plan touristique? Quandje suis arrivée enjuin 1998,j'ai été fort étonnée de regarder à la télévision les deux derniers épisodes d'un feuilleton, "Villa Vanille" d'après un roman de PatrickCauvin, queje ne connaissaispas évidemment. C'estune étrange construction post-coloniale et très politiquement correcte de ce qui pouvait (idéalement) se passer àMadagascaravant la2ème guerre mondiale. Je me demande donc dans quelle mesure cela n'est pas un signe venant du système économique, de la promotion touristique? M. Bon, làc'estencore l'animal politique quivaparler ... C. On arriverapeut-être quandmême bientôt à l'animale poétique [rires] M. Il y a une peur panique de l'Occident sur l'implantation des Etats-Unis dans le monde et Madagascarest à côté de l'Afrique du Sud, c'est l'Océan Indien . Comme par hasard ils se sont beaucoup intéressés à Madagascar à partir du moment où Mandela est sorti de prison. C. Je n'avais pas envisagé un lien ... M. Lapeurde Mandela, lapeur des Etats-Unis a fait qu'ils investissentbeaucoup sur Madagascar et en même temps , commeje disais sur les jeunes qui ont 30-40 ans maintenant, c'est vrai aussi qu'il y a une stabilité politique réelle, qu'il y a un mieux économique dans certains domaines, que touristiquement ça devient une possibilité parce que c'estun pays très beau... C'estun peuple qui est extrêmement calme, malgré sa violence de désespoir, quand il explose ... Tout ça fait que effectivement on parle beaucoup deMadagascaren destination touristique et aussi qu'il yabeaucoup d'apport de lacommunauté malgache qui aimeraitbien que les devises arrivent, donc pourquoi pas avec letourisme? Il y a un certain nombre d'opérations qui ont été faites avec des Malgaches derrière, pour la promotion du pays: opérations d'artisanat au printemps, festivals à droite et à gauche où on parle de Madagascar. C'est donc aussi un travail Makward,?-, de la communauté malgache. Tout ça fait qu'on en parle beaucoup. Etje suis admirative et fière en fait, parce que là-dedans il y a une grande part de travail des femmes chefs d'entreprises: quand on voit ici toutes les nappes brodées malgaches,je sais que derrière il y a des ateliers de femmes avec des femmes qui ont créé de entreprises, despetites usines deprêt àporter, qui font Gimport-export, l'apport de matériel malgache ... C. Où est-ce qu'on trouve ces choses-là dans Paris? Est-ce qu'il y a une enclave? M. Sur lesmarchés. Il n'y apas de quartiermalgache mais il y ades marchés, des petites boutiques spécialisées.. En fait il y a une "technique de Madagascar": ils se fondent dans la nature. Donc de temps en temps quand on est malgache on sait: les petits vêtements en smock, les petites robes d'enfants avec des dessins que tu achètes même dans les grands magasins: c'est des ateliers malgaches qui les font ... Les grands parasols blancs à la mode dans les cafés, ce sont des produits malgaches. C. Je croyais que c'étaitjaponais! M. Aprèsje pense que ça a été réadapté mais les premiers qui sont arrivés étaient malgaches, et c'estune femme chefd'entreprise qui en a fourni quelques-uns ... Il faut aussi savoir qu'il y a des femmes qui ont des ministères décisifs, pas seulement des postes de pacotille, comme la Ministre des Affaires Etrangères qui estjustement la fille de l'écrivain Clarisse Ratsifandriamanana. C'estune femme qui en plus écrittrès bien, Lila Ratsifandriamanana ... Et mieux encore, je crois que 45% des maires sont des femmes: dans les petits villages il y a une grande implication des femmes parce qu'en fait elles grignotent le pouvoir politique. C. Tu as donc des raisons d'être un animal politique, et tu sembles un peu plus positive parrapport auxtableauxquetupeins danstestextes, sur lacapitaleenparticulier qui sont d'un lugubre! M. Oui, mais ça il fautre-situer,j'ai écrit çamais il fautre-situer ces textes dans leur époque. C. Il faut toujours, c'est fondamental. M. C'était le tableau de ces époques-là. Cela ditje reconnais qu'il y a un mieux, saufpeut-être Antananarive ... A Tananarive ça n'est pas évident: de temps en temps ces tableaux-là reviennent. Mais il y a quand même un mieux, et un auteur ne peut parler que de ce qui le hante, moi ce qui me hante c'est Tananarive de ces années -là. Maintenant queje vais revenir plus souventje parlerai peut-être d'autre chose, mais pendant des années c'était ça quimehantait... Maisje crois (je mejustifieun peu) qu'il y a assez souvent un hommage et un clin d'oeil aux femmes... elles sont fabuleuses les femmes malgaches! C. Est-ce qu'il y a des questions qui t'agacent dans une situation d'interview? M. Oui, "Pourquoi écrivez-vous en français"? [rires] C. Pour ça, il y a l'entretien avec Monique Hugon qui commence à répondre à la question. Mais est-ce que tu pourrais nous expliquer les noms malgaches? Sont-ils composés et signifiants un peu comme les noms arabes ou suédois ("fils de ...) J'ai remarqué Rakotomalala, Rakotoarivelo, Rafitoson, etc. M. Oui effectivement les noms malgaches sont composés et signifiants. Si on prend par exemple Rakotomalala, c'est "Ra" , l'article nominal, "ra" , "kot", le fils aîné, et"malal": "chéri": "Monsieur le fils aîné chéri". [Rires] Et quant à Rakotoarivelo, c'est "Monsieur le fils aîné bien né et vivant" ("pas mort") [rires]. Rafitoson c'est "Mon- j o . Women inFrench Studies sieur le septième fils". C. "Le septième fils..." Tout ca c'est très androcentrique! Et "Rakotoson"? M. "Rakotoson" c'est "Monsieur Ie fils du fils aîné" ... mais ça ce n'est pas mon nom en fait, c'est le nom du père de mes enfants, quej'ai gardé parce que le mien est beaucoup plus long! C. Et le tien seraitmatrilinéaire ou quoi? M. Non, c'est le nom de mon père mais ça c'est assez récent. Traditionnellement les familles choisissent les noms, chacun dans une même famille a son nom à soi, tiré des noms du lignage mais pas obligatoirement... C. Alors il n'y a pas de nom de famille? M. Situveux... il n'yapas denom de famille, ilyaunnom, chacun a sonnom donné. C. Comme on dit en Anglais : "given name" (prénom usuel ou désignation ou sobriquet)? M. Voilà., mais pourpouvoirretrouverqui est qui, quandtu as ton premierfils, tu deviens le père ou la mère de - . Moi j'ai un premier fils "Haga", dans la tradition malgacheje serais"Nenin'iHaga", "lamèrede Haga" etc'estcomme çaqu'onretrouve les filiations. A un moment donné tu es Ia mère de - . C'est ainsi qu'on retrouve les généalogies, autrementtu as ton nom mais tu n'as pas vraiment un nom de famille. C. Est-ce que cela ades implications pour ce qui estdupouvoirdu"nom du père", ce concept assez fondamental dans la pensée occidentale, dans la psychanalyse. Il n'y a donc pas de patronyme? M. Il n'y apas depatronymemais il y a laterre des ancêtres. Lepatronyme on n'en a pas mais on appartient à une terre, donc on est"de laterre de - " ... et les femmes n'ont pas droit à laterre, les femmes rejoignent laterre des hommes. Donc c'estun système encore plus violent, parce tu n'as pas le nom ... C. Le droit du sol, donc... Et pour revenir à toi, est-ce qu'il y a eu des études critiques, des comptes rendus sur tes textes que tu peux nous indiquer? MJe ne sais pas trop.,je crois qu'il y a des mémoires... Il y a des étudiants qui viennent, il y a un Suisse qui a fait une étude critique: Heinz Jüg ... Maisje suis très mauvaise surmestextes une fois qu'ils sont sortis ... De temps en temps on me signale des critiques mais ça me fait peur etje ne répertorie pas! C. Est-ce qu'il y a quelqu'un qui travaille sérieusement sur tes textes, qui fait ce travail d'archiviste, de compilation des comptes rendus et critiques.? M. Il y a Liliane Ramarosoa qui aje crois la plupart de mes textes et des critiques aussi, elle est universitaire à Madagascar. C. Et que penser des Vanilliers (1938) de Georges Limbour, retenu par Henri Mitterand pour son dictionnaire des oeuvres du 20e s., situé à la Réunion, réputé ironique, surréaliste etanti-colonial? M. Les Vanilliers, je ne connais pas ce livre donc on passe [rires]. C. D'accord mais j'aimerais que tu t'imagines dans cette situation: si on voulait présenter laculture, l'histoire récente, la littérature malgache aux étudiants français ou nord-américains, comment commencer? Quels sont les textes fiables, fondateurs. Quels sontpourtoi les quatre ou cinq chefs d'oeuvre de la littératuremalgache? Tu as enseigné, n'est-ce pas? M. Il y ades anthologies parLiliane Ramarsoa. Je crois que c'est letravail le plus Makward,og sérieux en littératuremalgache francophone... Pourl'histoire desvingt dernières années, elle n'estpas vraiment faite. C. Vingt outrente, enfin, post-coloniale? M. Post-coloniale... quand même, il y a des ouvrages de M. Spacensky qui a fait l'histoire de Madagascarjusque dans les années 70... (çapeutsetrouverà l'Harmattan) et il y a des essais, mais d'histoire ou de référence historique classiques, pour l'instant je n'en connais pas ... C. Les nouvelles de Dadabe, sont -elles de nouvelles ou des souvenirs reconstruits librement? M. Je crois que ce sont des souvenirs librement reconstruits. C. C'est l'impression que donnent lestextes etc'est laréponse quej'aurais donnée sans être toi [rires]: on sent que ce n'est pas tellement fictionnel. C'est une bonne introduction,je trouve, d'abord au paysage, au pays, à la terre, à la culture, et encore à laculture dans ce caspas laplus ésotérique ou laplus exotique ou laplus étrange, mais relativement à la vie contemporaine. Je trouve que c'est une introduction utile dans certains contextes (enfin, encore une fois c'est le prof, de littérature qui parle!) [rires] M. Oui, pourDadabe lapartpersonnelle est quandmême assez importante ,c'est l'hommage àmongrand-père, mais cethomme,je l'ai créé. C'est lapartie de l'homme, pas vraiment le père de mes enfants, enfin bon, ce sont des souvenirs, mais vraiment librement reconstruits. C. Question de l'évolution de ton écriture: au début, chants etpoèmes enmalgache ou en français sont insérés dans une prose narrative "banale" et d'allure intimiste sinon autobiographique. MaintenantavecHenoy, Fragmentsen écorce, tu incorpores toujours des citations en malgache et des poèmes mais la prose narrative elle-même explore les limites dupoétique, dans lesmodes enparticulierdu surréel etde Gabjection (on peut penser à Lautréamont, à Beckett ou Bataille). Es-tu consciente de ce trajet spectaculaire? M. Ça c'est une grosse question! Oui, l'évolution de l'écriture, j'en suis consciente,je ne sais pas si c'estvraiment "spectaculaire"...je sais que de plus en plus je travaille, comme de ladentelle, monécriture. C'estquasimentphraseparphrase, mot parmot, et ce qui est le plus importantpourmoi au-delà durécit c'estle rythme: Henoy pour moi c'estun chant, c'est un oratorio... etjustement le côté décousu avec plein de silences, ce sont desmoments de silence comme enmusique, c'estfaitexprès. Ily a eu plusieurs versions, sije pouvais, je la retravaillerais encore. C. Tu travailles sur ordinateur? M. Oui, maisje pense queje vais moins travaillerà l'ordinateur ... C. Les versions précédentes sont perdues? M. Non,je garde des traces, maisje ne sais pas où elles sont ... C'est mon fils qui les a. Il doit y avoir des versions précédentes. Il faudrait peut-être queje sois un peu plus structurée quandjetravaille! Mais ce qui m'intéresse c'estplutôtlerécit, l'analyse, et c'est surtout le chant, parce que la musique est un récit. Je travaille vraiment énormément la musique du récit...Il faut voir Henoy ...je le retravaille en ce moment pour pouvoir le dire avec une copine musicienne ... Henoy pour moi c'est quelque chose qui est à la limite d'un texte à dire en public, presque une pièce de théâtre... C. Je comprends tout à fait ce que tu es en train de suggérer, ça se rapproche de ce texte que j'ai entendu l'autre jour et dontje te parlais, "Le cycle des tourbes" de 1 86 Women inFrenchStudies DominiqueRolland,uneFranco-Vietnamienne,quiapusefaire"lire-chanter" parl'actrice martiniquaise Mariann Mathéus 3. M. SituregardesHenoyet Unjourmamémoire, c'estpresque lamême chose... Un jour ma mémoire c'est deux personnages mais ça peut être une espèce de long monologue (j'ai déjà ditce texte seule). Il y a deux ou trois personnages mais ça peut être une même personne, en retravaillant légèrement le texte. Si tu relis Unjour ma mémoire tupeux le voir. Pour ces textes-là, Unjourmamémoire, Lamaison morte, Elle dansasurlácrete desvagues, Henoy...c'estcomme une espèce d'obsession intérieure qui est chantée, queje dis. Alors, je suis un peu étonnée du terme "spectaculaire". C. Mais imagine-moi! En l'espace de quelques semainesjeprends connaissance de ton travail qui s'est étalé sur une dizaine d'années et je procède par ordre chronologique (ça faitpartie de mes principes en tantque critique littéraire) pourtenucompte de l'histoire, de lamaturation, pourpouvoirjugerde l'évolution d'une écriture. Doncje considère qu'entre Dadabe etHenoy.. il y a"un monde", mais il n'y aqu'une dizaine d'années, en fait. M. Je suis contente de te l'entendre dire... Il y a eu comme un grand moment de silence, unsilencedematurationetpuisdetravail: pourmoi l'écriture,c'estpasseulement raconter des histoires, c'est un travail sur la manière de dire les choses, c'est un travail sur l'honnêteté aussi, c'est ce que tu lis, c'est ce que tu entends, c'est ce que tu écoutes, c'est ce que tu retravailles, c'est tout ça.. A la limitej'ai dit (au début) que ça m'intéressait de raconter des histoires mais pas seulement les raconter, les retranscrire, les redire, et commentest-ce qu'on redit une histoire, commenton la transmet? C'est ça qui m'intéresse... quel est le rite? En plus le fait d'avoir deux langues, la langue malgache et la langue française. C'estextrêmement importantparce que ce sont deux sémantiques différentes, cesontdeux rythmes différents, deuxmanières d'appréhender le monde différentes, deux cultures différentes. Je passe mon temps à naviguer entre le français et le malgache (je ne suis pas diglosse, je ne passe pas d'une langue à l'autre,j'aiune langue erune autre) mais letravail dansHenoy... c'estpeut-être le texte dans lequel je suis le plus malgache, un texte qui est du malagache (que je dis en français), mais du malgache extrêmement classique, avec presque des imparfaits du subjonctif, s'il fallait faire des parallèles, et queje dis en français. C. Et c'est aussi un texte de deuil suite à la mort de ton mari, tu me l'avais suggéré précédemment? M. C'est commeun chant grégorien... Je me souviens, quandj'ai écrit Henoy,j'ai beaucoup écouté de chants grégoriens et aussi des "beko", des chants religieux du sud de Madagascar, des chants de gardiens de zébus et des chants d'entrée en transe. Ce sont ces rythmes là, le rythme des chants grégoriens, et le rythme des chants de deuil et puis la mélopée des femmes quand elles entrent en possession, parce quej'ai écouté pas mal de ces femmes [Michèle chantonne: " ye ine zanahary e.."] C'est ça qui est dans Henoy, Fragments en écorce .. C'est un texte queje veux dire publiquement ... C. Tunous expliques le titre? M. "Henoy" veut dire "Ecoute". Dans les traditions de contes, de discours traditionnels en malgache on dit toujours "Henoy ary tonepoko" "Ecoutez, Messieurs -Dames!" Donc ça veut dire "Ecoutez!", et"Fragments en écorce", c'est un jeu de fragments, comme des écorces d'une douleur ... parce qu'en fait le fond du livre, Makward,07 c'est même pas ce qui est dit, c'est le silence en face de cette femme ... Donc on m'enlève toutes les écorces et au fond de ce roman on tombe sur le silence de cette femme, d'où l'écorce... Ce sont les "fragments d'écorce" qui cachent le silence de la femme: toutle longdu livre ily acette femme ... Elle parle detemps entemps mais ily a un grand silence qui est le silence de lamort, le silence de l'amour qui s'est enfui. C'est vrai qu' Henoy, Fragmentsenécorce c'est le livre du deuil, le deuil dupays, le deuil de l'homme aimé, le deuil de l'amour, le deuil de beaucoup de choses ... C. Est-ce qu'on pourrait dire naïvement- dans lamesure où le rapport aux morts, à l'au-delà, le culte des morts, le morbide au fond sont fondamentaux à la culture malgache - que c'est ton texte le plus proche, le plus profond, le plus "malgache" en quelque sorte? M. Oui,je pense... C. Je ne veux pas régurgiter des clichés etje ne connais trois fois rien à ta culture, maisj'aimerais qu'on aborde laquestion d'unparallèle éventuelavec la culture haïtienne. M. Je crois qu'avec Henoy ily aune premièreboucle qui estbouclée. Lepremier texte important était Dadabe , hommage au grand-père qui s'est battu toute la vie contre lamort, etHenoyqui setermine par lamort. Ily aun cycle là, maintenantje vais peut-être passer à autre chose... Je ne connais pas bien le vodoo mais en tant que Malgachej'aibeaucoup vécu dans laproximité de lamort ... C. Et de la communication avec l'Esprit? parce que ce n'estpas lamort comme la guillotine, c'est la mort et la perméabilité de ses frontières (ce qui est fondamental au vodoo). En fait çase retrouve dans toutes les religions, même les grands monothéismes, le catholicisme: quandon s'adresse aux saints, à la Sainte Vierge, qu'est-ce qu'on fait? Quand on "rachète" les âmes des morts, etc. Nous avons en Occident, dans les religions chrétiennes, pris des distances incommensurables avec une autre réalité qui est une tentative, ou un besoin de rester en communication avec le sacré, avec l'audel à, denepasjustementtirerle rideau sur lamortetsur lesmorts. Je pense que celaest fondamental au vodoo et cela semble être un point de comparaison profond avec les traditions malgaches ... M. Oui, parce que la mort, les morts, ils sont là, ils sont à côté, il y a des discussions qui se font ... On parle toujours du retournement des morts, il y a ça, mais ça va plus loin ... Par exemple la findu deuil m'a été signifiée parmon ex-mari, parun rêve que mon fils a fait: il m'a appelée unjour à huit heures du matin, complètement affolé, en disant "je l'ai vu cette nuit..." J'ai dit"Qu'est-ce qu'il a fait?" Il me dit"Etbien, il sortait d'une espèce de tunnel et puis il m'a fait un signe comme ça, de la main , il a signifié trois, il a dit "Bravo!" et il estreparti ...Il nous a dit au revoir." Alorsj'ai dit: "Etbien ça va, il t'a signifié qu'il a terminé son travail avec toi et que tu peux rentrer et que c'est bien..." C. Et le trois? M. Trois fils... Le père est content .. Ils n'ont plus besoin de lui, donc il a terminé son deuil, il nous donne sa bénédiction, tu vois? Une fois aussi, pour la fin du deuil de magrand-mère,je l'aivuerentrer, poser savalise ets'en aller ..J'aiditOK! Çaveutdire qu'elle nous laisse son héritage et elle s'en va. .11 y atoujours des choses comme ca ... Je me surprends encore assez souvent disant à mon ex-mari (enfin, l'entendant à côté de moi) : "Ecoute, maintenant, fiche-moi lapaix!" C. Celui que tu as perdu, ou celui dont tu as divorcé? I «Q Women inFrench Studies M. Enfin ... pour lemari dontje suis divorcée mais qui estdéfunt,jecontinue àdire "mon mari" .. Iln'ajamaispu supporter le divorce, etje l'appelletoujours"monmari"... J'ai divorcé de deuxmaris: le premierc'était le père demes enfants, et ilesttoujours là, et le deuxième donc c'est celui avec quij'ai vécu une quinzaine d'années. Il est mort deux ans après le divorce, c'est celui queje désigne toujours comme "mon mari". Et c'est lui queje vois souvent... là il y a eu un deuil dans tous les sens du terme, un divorce qui a été un peu trop hâtif. Enfin... je n'ai pas tellement envie d'en parler ... Sur cette culture-là, sur le syncrétisme entre Catholicisme etculte des esprits,j'ai presque envie de dire que pour moi un des fondements de l'écriture est aussi ce syncrétisme dans la création: si écrire n'estpas essayer d'arriver aux racines du sacré, alors ça sert à quoi? J'en suis arrivée à ce point-là: si mon écriture va être de plus de plus chaotique, décousue [rires] (je cale en disant ça) c'est que ... je me surprends souvent à relire les textes sacrés, à relire le Coran, à relire la Bible, les grands mythes pour essayerun peu dem'imprégnerde leurs rythmes, de leur mode de dire, ou encore à écouter les chants sacrés ... Je crois qu'il y a là toutes les explications que l'on donne sur lavie, lamort, l'amour, lepouvoir ... Mais il y atoute cette part impondérable... on ne saitpas comment le dire! Sij'avais été musicienne ... enfin,je suis un peu pianiste etjustement, ça se rejoint là-dessus: quand je n'arrive pas dire les textes, je joue du piano, camecalme. Etjedis qu'ilyale quotidien, ilyacequ'onvit ... Mais la littérature, la culture, la création ce n'estpas ça... c'est du domaine de la recherche... d'un ... enfin "du" sacré?, je ne sais même pas ... C. C'est du domaine d'un cheminement, d'une quête spirituelle? M. Exactement, et si ce n'est pas une quête spirituelle, ça n'a pas de sens ni d'intérêt! Enfin si, ça pourrait être une bagarre politique. Quand tu regardes bien l'histoire des nations, on est dans "/a nation" actuellement, mais quandtu regardes le continentafricain dans ces vingt, trente dernières années, ily aeu de grandestragédies. On voit le bout de notre nez, et on n'a pas vu le flux des nations, les flux et reflux, les invasions, les désespoirs, les grandes guerres. On retombe dans les grandes tragédies grecques! Il y a des personnages qui sont Antigone, qui sont Oedipe, qui sont Cassandre ... ils sont là! C. Malheureusement aujourd'hui ça se passe à une autre échelle, en Afrique ou ailleurs. M. Oui, malheureusement. Ce qui sepasse actuellementsur les Grands Lacs, c'est terrifiant etj'ai lu récemmentun livre sur Chernobyl, c'est monstrueux, affolant... Ce sont des tragédies mais tellement que ... on a peur, on a peur de voir ce que ces tragédies sont, àlalimite iln'y apasdemots humainspourdireça! mêmeune symphonie ne peut pas dire ça. Il faudrait trouver une symphonie avec des centaines et des milliers de personnes quihurlenten mêmetemps pourdire: voilà, c'estça, maintenant! Et actuellement cette dimension du sacré elle esttellement immense] Maintenant dans les gares, c'estpas une personne quimeurt, c'estmille personnes quimeurent enmême temps, c'est une autre dimension, c'est ce que tu viens de dire, et comment dire cela? Comment? J'aiparlé de désarroi ... Alorsje distoutsimplement: moije suis une femme, etj'ai mis des enfants au monde etje suis désorientée ... etj'écris parce queje suis en plein désarroi, je n'ai plus de réponses, je n'ai que des peurs, et les peurs elles sont tellementterribles! Jen'ai que des mots... On me ditqueje suis "écrivain" etj'éclate de rire... Ça veut dire quoi face à ce quej'ai envie de dire, de crier? C'est quoi ces petits Makwardj gg bouquins? C'est une goutte d'eau et après? C'est rien devant ce qui se passe en face, ce que j'ai envie de raconter, de dire: "Maintenant Stop! Arrêtons!" C'est pas un bouquin comme Henoyqui val'arrêtermaisje l'ai ditparce queje n'enpouvais plus, et c'est peut-être ça aussi mon chemin de femme, cette espèce de "petit à petit" en mûrissant ou en vieillissant, je ne sais pas quel est le terme [rires., "en mûrissant" décide C] Oui, "mûrissant", c'est l'humilité qui arrive ... C. Une question qui me préoccupe (tu as mentionné Mariama Bâ plus tôt): où en est lajeune femme malgache d'aujourd'hui par rapport à ce grand idéal qui semble viscéral, intrinsèque, qu'on trouve dans toutes les mythologies, celui du couple monogame, dujeune couple amoureux: Adam et Eve au Paradis? Est-ce que ce mythe est encore très présent dans la société malgache aujourd'hui, chez les jeunes femmes que tu connais? M. Le mythe est toujours là ... sauf dans le sud de Madagascar où il y a une tradition de polygamie. En principe il y aune tradition de monogamie àMadagascar. C. A cause du Christianisme? M. Oui, en réalité il y a de plus en plus de divorces, de plus en plus d'adultères. En tout cas dans les villes il y a une plus grande liberté de part et d'autre, avec quand même un pouvoirplus grand des hommes. Je traduirais la situation malgache comme quasiment similaire à celle des pays européens. C. Si on pouvaitrevenirà laquestion quit'agace [rires] (parce que l'entretien avec Monique Hugon remonte quandmême à7-8 ans): commentest-ce quetuvis actuellement ton bilinguisme? On a déjàtouché à cela... Est-ce que la langue maternelle travaille ton écriture ? Qu'est-ce qu'il y a en-dessous? Tu ne t'angoisses pas de perdre ta langue? M. Ma langue maternelle travaille mon écriture de plus en plus. Non seulementje ne laperds pas, mais elle débarque de plus enplus fort: maintenantje définis l'écriture comme des strates et le français c'est la langue du masque. Quandj'écris en français, je suisun mec qui écritde Paris, doncje prends le pouvoir, mais la langue affective elle est malgache et maintenant les strates superficielles ont sauté. A partir de Henoyj'ai l'impression queje tombe sur la strate profonde, celle en malgache. C'est clair. Il y a des passages, notamment dans le roman queje suis en train d'écrire - et qui sera un roman, parce que ce n'est pas quelque chose quej'ai vu mais quej'imagine (et mon imaginaire est en malgache) - il y a des moments oùje cale en français et il faut queje le dise en malgache pour que ça se débloque... Une fois que c'est dit en malgache, je m'aperçois que ça va très loin... donc en fait non seulementje ne perds pas la langue malgache mais elle remonte de plus en plus fort.. C. Quandtudis "il fautqueje le dise en malgache", çaveutdire aussi qu'il faut que tu l'écrives en malgache? Et ensuite tu pars de là pour le transposer en quelque sorte ou le traduire? M. Queje l'entende aussi parce queje m'entends l'écrire et puis le dire, pour entendre le son de la voix des gens ... C. Et ce sont surtout des images? des formules rhétoriques? M. Des phrases, des formules rhétoriques, parce que notre plus grande culture c'est la langue. On est un peuple fondamentalement amoureux de sa langue, il y a eu un énormetravail sur la langue, notamment au 19e s. quand le malgache a été codifié: tout a été recueilli, les contes, les légendes, les proverbes. A partir de là un travail de quête et de re-travail de la langue malgache a été fait et ce travail est retransmis aux . O0Women in French Studies enfants. C. Et cette langue qui a donc été codifiée, elle est enseignée à partir de quelle époque? M. 1823, laBible aététraduite en malgache. Donc àpartirde là, elle est enseignée. C. Et on considère qu'il y a une langue malgache? Bien que l'on ait classifié la population en douze outreize ethnies plus ou moins différentes, cependantces ethnies ont un même patrimoine linguistique? Enfin, tout le monde se parle et se comprend à peu près? M. A peu près. Il y a une même base de langue malgache, mais des variantes dialectales. C. Et en gros, en faisant le tour du pays, un paysan peut arriver à communiquer? M. Moije l'ai fait: en général, après deuxjours d'immersion dans l'autre dialecte, on comprend. C. Donc c'est une situation qui est difficilement comparable au passage d'un créole antillais à un autre? Je ne pense pas (il faudrait vérifier avec des spécialistes) qu'un Haïtien puisse communiquer instantanément en créole avec un Martiniquais.et bien entendu, encore moins avec une Jamaïcaine ou un Réunionnais... Donc il y a quand même un substrat linguistique unifié? M. Ça pouvait être la situation de la langue française au 19e s. entre les langues des diverses régions? C. Je ne pense pas, il y avait les langues ou dialectes régionaux, qui n'avaient pas toujours grand-chose à faire avec la langue de Paris et des écoles, une situation tout à fait différente... En tout cas, est-ce qu'il a des auteurs, de langue française ou autre, qui ont beaucoup compté pour toi? M. Ceux qui ont le plus compté sont les auteurs malgaches, Clarisse Ratsifandriamanana et un autre, Andriamalala. Ce sont des auteurs du milieu du 20e s. C. Est-ce qu'ils ont débordé un peu les frontières, ils ont été traduits en français, on parle d'eux? M. Nonjamais, pas du tout ... Là vraiment, il faudrait arriver à trouver de l'argent pour faire traduire des textes et romans malgaches, parce qu'il y a quelques très grands romans et c'est dommage qu'ils ne soient pas connus en dehors de Madagascar. C. Et tu disais le grand romancier malgache c'est une romancière. C'est un de ces deux-là? M. C'est la première, Ratsifandriamanana. Enfin Andriamalala lui aussi est très important et d'ailleurs c'est un écrivain "post-moderne", il a beaucoup travaillé sur la déconstruction des textes . Oui, ces deux auteurs-là sont vraiment pour moi les père et mère fondateurs en écriture. C Et comment se fait-il que tu aies eu accès à ces textes? M. Maisj'ai eu une chance extraordinaire, c'est que mamère étaitbibliothécaire! J'ai toujours vécu dans des livres etje suis quasiment née dans une bibliothèque ... Il y a cette permanence du livre et de l'écrit dans ma vie, c'estparce queje suis vraiment née dedans, j'ai vécu et je continue à vivre dedans. Ma mère avait travaillé à la BibliothèqueNationale ensuite elle aeu ladirection de laBibliothèque Municipale; elle est arrivée à en faire un petit centre culturel: à une époque où on nous interdisait quasimentde lire lestextes malgaches, elle avaitcréé des forums littéraires dans lesquels elle faisait venir les auteurs malgaches. Les premiers écrivains quej'ai vus c'étaient Makward. o , Andriamalala et Ratsifandriamanana qui venaient à la Bibliothèque et nous parlaient d'écriture, de romans, de création littéraire ... C. Et là nous parlons des années ... ? M. Soixante, soixante-dix. Ilyaun autre auteurqui m'apas malmarquée, c'est Le Clézio ... C Une question très ouverte, très philosophique: qu'est-ce que tu aimerais dire sur le rapport entre le corps (donc la différence sexuelle), l'histoire individuelle et politique, et la relativité des cultures? M. Le rapport entre le corps, la différence sexuelle? Bon,je préfère y penser un peu! [rires] C. Et lethéâtre? N'est-il pas impossible àconcilier avec uneprofession comme la tienne? Est-ce que les textes dramatiques publiés dans ThéâtreSudno 3, 1991 ont été très retravaillés? Ils ne passent pas comme textes radiophoniques, ce qu'ils étaient à l'origine. M. Oui, ta question sur le théâtre me touche ... Je peux dire que c'est ma plus grande frustration (j'ai été metteur en scène, et comédienne un peu) c'est de ne plus pouvoir faire du théâtre... Parfoisje suis un peujalouse de ma soeur qui est metteur en scene et s'éclate dedans... Bon,je vais peut-être essayer de gérer lafrustration en lisant des textes, en faisant des cafés littéraires, ce qui me permettra d'assurer un minimum côté théâtre... Ce qui est fou, c'est le temps qu'on perd à essayerde défendre son texte, à l'imposer, à le fairejouer... Ça, c'est frustrant! C. Est-ce qu'on ne peut pas imaginer que tu retournes assez régulièrement , disons deux mois par an, pour créerun spectacle, pour travailler de ce côté-là? M. Je pense queje m'achemine vers ça,je vais le faire. Maintenant mes textes de théâtre commencent à êtrejoués et souventje viens assister aux mises en scène. Estce queje vais remettre en scène? Je ne sais pas, parce qu'en fait je suis entrée en écriture etc'estpas le mêmetravail, mais travailleravec unmetteur en scène pourfaire une direction d'acteurs, pourquoi pas? La possibilité de revenir à Madagascar,j'y ai déjà pensé et ce n'est pas impossible queje le fasse unjour. C. Parce que tu y retournes quand même déjà au moins une ou deux fois par an? M. Oui etj'espère bientôt queje vais pouvoir y retourner beaucoup plus. C. La question de l'exil, on y atouché ... Je pense que c'est un concept qui est en train de s'effriter, non? Vu lamobilité extrême, le rétrécissementdumonde, enfin, pour des gens comme toi ou moi, qui sommes transculturelles, interculturelles? M. Oui, absolument... On peut leregretter... Etquandje suis optimisteje me dis que déjàj'ai de la chance d'avoir été éditée... parce qu'en fait, ça a été relativement facile pourmoi,je dis bienrelativementpuisque que Dadabe c'estPatrick Mérand qui en est tombé amoureux et il était à Karthalaà ce moment-là... Dadabe, LeBain des reliques, Elle auprintemps ... à chaque fois il y a eu Mérand ... Maintenant, pour Henoyyú eu beaucoup de difficultés... Je le dis avec un peu d'amertume et aussi une grande tranquillité, très calmement: sij'avais été un homme,j'aurais déjà été dans une grande maison d'édition ... J'en suis certaine mais le fait que ça a été un peu plus difficile pour moi, çam'a sauvée ... Maintenantj'ai une oeuvre, on m'a laissée enpaix, çaapermis à l'écriture de mûrir... J'en vois qui ont étépris troptôtdans des grandesmaisons, et leur oeuvre se délite, avec les obligations ... C. Oui, les contrats sur les textes à venir ça mène à des facilités... tandis que toi tu . g- Women inFrench Studies as gardé les coudées franches pour écrire ce qui voulait s'écrire et pas parce que tu devais remplir un contrat. M. Absolument, et de toutes façons les livres existent... C'est tout... et c'est le plus important ... Et queje n'aie pas le Goncourt, queje ne sois pas chez Gallimard, j'espère que ça viendraunjour [rires] mais l'oeuvre, ce sera l'héritage queje laisserai à mes enfants C. Mais pour l'instant, tu vois, on est arrivées au bout du travail! [rires] Pennsylvania State University NOTES¦Monique Hugon: "Entre deux langues, Michèle Rakotoson", entretien. Notre Librairie 1 10 (2) Juillet-Sept. 1992: 76-78 2 "J'ai commencé à écrire en malgache. Mapremière pièce a été "Sambany" etpuis "Ny Tantarán'i koto" (l'histoire de Koto), puis "Raha ho very aho ry lery" et "Honahona", une adaptation des Gens des marais de WoIe Soyinka, ainsi que des poèmes en malgache. Et en fait c'étaitpresque un choix militant d'écrire en malgache dans les années 70." (Entretien cité avec Monique Hugon) 3 OrganiséparJudith G. Miller,MaisondeNew YorkUniversityàParis, 17 novembre 1998. Textes en français de Michèle (Raveloarison) Rakotoson "Sambany", GrandPrix de Théâtre de Radio France International 1981 (inédit). Dadabe, et autres nouvelles. Paris: Karthala, 1984. LeBain des reliques. Paris, Karthala, 1988. "La Maison morte" et "Un Jour, ma mémoire", théâtre (Théâtre Sud 3, L'Harmattan, 1991)37-93. "Le Hira gasy, discours paysan ou rituel des rois?", "Acteurs et paysans: Les Landyvolafotsy" et : "Un autrethéâtre paysan: le Tchiloli de Sao Tomé", trois articles (Théâtre Sud 3, L'Harmattan, 1991): 9-25 et 94-96. Elle auprintemps . Paris: Sépia, 1995. Henoy, Fragments en écorce . Avin/Hannut, Belgique: Editions Luce Wilquin, 1998. ...

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