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  • Qui perd gagne. Imaginaire du don et Révolution française
  • Roland Le Huenen (bio)
Geneviève Lafrance, Qui perd gagne. Imaginaire du don et Révolution française, Montréal, Les Presses de l’Université de Montréal, coll. Socius, 2008, 360 p., 34,95$

Cet ouvrage pose la question du don tel qu’il est issu de la conception que s’en faisaient d’abord l’Ancien Régime puis la Révolution française, [End Page 415] et plus particulièrement de la représentation qu’en proposent cinq romans de la période postrévolutionnaire. La pensée des Lumières avait encouragé une bienfaisance active et militante, marquée par le développement de nombreuses initiatives philanthropiques visant la prévention de la mendicité, la prise en charge des enfants trouvés et particulièrement la gestion efficace des hôpitaux. La Révolution ne fut pas en reste qui inscrivit les secours publics au budget de l’État et la bienfaisance au principe même la nouvelle société. Présidé par le duc François-Alexandre de La Rochefoucauld-Liancourt, le Comité pour l’extinction de la mendicité, créé par l’Assemblée Constituante, produisit de volumineux rapports qui servirent de base aux actions gouvernementales pour tenter d’enrayer le problème de l’indigence et de mettre en place des mesures destinées à venir en aide aux nécessiteux. Quelle que fût l’ampleur de ces mesures, celles-ci ne furent malheureusement pas suivies d’effet et se soldèrent par un déplorable échec. Afin d’établir le contexte de ces entreprises philanthropiques, Geneviève Lafrance s’appuie sur les rapports du Comité de mendicité, sur les traités juridiques de l’époque, ainsi que sur les travaux des historiens des idées, tels Robert Mauzi, Patricia Oppici, Alan Forrest, Giovanna Procacci, Jacques Carré, et plus particulièrement sur l’ouvrage de Catherine Duprat, Le temps des philanthropes (1993).

La question essentielle que pose son enquête est celle de l’imaginaire du don, ou plus exactement la représentation de l’acte de bienfaisance dans des romans immédiatement postérieurs à l’événement révolutionnaire, et dont l’idéologie véhiculait à la fois le souvenir de la philanthropie telle qu’elle était pratiquée sous l’Ancien régime et la forme qu’elle fut amenée à prendre sous la Révolution. Ainsi l’une des principales thématiques de L’Émigré (1797) de Sénac de Meilhan concerne-t-elle la situation dans laquelle se trouvaient les aristocrates ruinés par la Révolution, réduits à la misère, condamnés à l’émigration, et contraints pour survivre d’accepter des dons de leurs hôtes étrangers. Comment conserver sa dignité tout enétant débiteur, comment de donateur que l’on était encore hier pouvait-on accepter aujourd’hui d’être bénéficiaire sans renoncer à son honneur, tel est le problème que devait résoudre non seulement celui qui recevait mais aussi celui qui, en position de donner, restait soucieux de ménager la fierté de son obligé. L’un des enjeux du roman est donc d’inventer desépisodes emblématiques qui constituent autant de solutions romanesques au problème posé. Il s’agira ainsi de jouer sur la réciprocité du geste (si vousétiez à ma place, vous auriez fait de même), de présenter le don comme une restitution, de taire le nom du bienfaiteur, de donner à charge de retransmettre, ou encore de procurer au débiteur l’occasion de racheter sa dette en faisant de lui l’exécutant d’une action héroïque (en l’occurrence un sauvetage durant un incendie) qui retourne en sa faveur l’acte initial de libéralité. Le [End Page 416] dénouement tragique du roman, la mort du héros et la désagrégation de la société qui l’avait secouru, dénonce cependant l’impuissance des dons et l’incapacité de soustraire l’émigré qui en bénéficie aux violences de l’Histoire. Conçu dans l’espoir de venir en aide, grâce à une...

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