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  • Amérique du Nord:Ontario et Ouest canadien
  • Juan Jiménez-Salcedo

Ouvrages de fiction

Leroux, Louis Patrick. Se taire. Sudbury: Prse de parole, 2010. ISBN 978-2-89423-251-4. 79 p.

Le dramaturge ontarien Louis Patrick Leroux enseigne l'écriture dramatique et la littérature aux départements d'anglais et d'études françaises de l'Université Concordia (Montréal). Fondateur du Théâtre de la Catapulte (Ottawa), qu'il a dirigé au cours des années 1990, il a été auteur en résidence au Théâtre du Nouvel-Ontario (Sudbury). Parmi ces pièces théâtrales et radiophoniques les plus remarquables, nous pouvons citer Le Beau Prince d'Orange (1993), La Litière (1994), Rappel (1995), Ressusciter (1996-97), Tom Pouce, version fin de siècle (1996), Le Rêve totalitaire de Dieu l'amibe (1995-96), La "Band" à tout casser (1998), Antoinette et les Humains (2002) et Dialogues fantastiques pour causeurs éperdus (2008).

La dernière pièce de Leroux, Se taire, est traversée par la tension entre la loquacité et le silence. Après seize ans d'exil, Alexandra revient dans son village natal, où elle est accueillie par une sororité de femmes qui pratiquent un culte du silence à sa mémoire, elle qui avait justement le don de la prophétie et qui était donc incapable de se taire. Comme la mythique Cassandre, ces prédictions étaient ignorées, ce qui avait fini par la vouer au silence. "Faudrait-il se taire, alors?": voilà ses derniers mots avant de quitter un village où elle n'était plus la bienvenue. Son retour est marqué par la présence de sa tante Marguerite, la fondatrice de cette secte composée exclusivement de femmes ayant renoncé à la parole, et de Christine, une jeune adolescente née le jour même du départ d'Alexandra. Cependant, celle qui jadis troublait les villageois avec ses prophéties est devenue aphone: la "statue géante dorée," mythifiée par les Silencieuses et par Christine n'est aujourd'hui qu'une femme épuisée et muette qui rentre au bercail.

Structurée en une dizaine de monologues, Se taire réussit à placer le thème du silence au centre d'une pièce de théâtre dans laquelle les personnages muets en côtoient d'autres de très loquaces qui semblent néanmoins tenir des discours vides. La vérité se cache dans les silences de celles qui ne parlent pas. Pièce qui frappe par l'absence de personnages masculins, comme le fait remarquer Michel Ouellette dans la préface qui accompagne l'édition de la pièce, ceux-ci sont toutefois présents dans les discours des femmes, quoique de manière silencieuse. C'est de cette tension entre l'excès de parole et le silence que naît la fascination que la [End Page 232] pièce exerce sur le lecteur: la vérité se trouve au-delà du texte, dans des mots et des discours inaccessibles à la parole. Michel Ouellette y voit aussi une réflexion sur la place de l'intellectuel et de l'art dans la communauté et sur la tension entre l'exil et le retour au bercail. L'écriture de Leroux s'inscrit dans la lignée de dramaturges franco-ontariens tels que Jean Marc Dalpé (Chien) et Michel Ouellette (French Town): Se taire constitue pour Leroux le retour à une scène franco-ontarienne qu'il avait quelque peu laissée de côté pour se consacrer à sa carrière universitaire et pour chercher d'autres publics. Ce retour ne s'est malheureusement pas concrétisé puisque le texte a été mis en lecture au Théâtre du Nouvel-Ontario de Sudbury (2006 et 2007), à Cambridge (Etats-Unis, 2006) et au Centre des auteurs dramatiques à Montréal (2006 et 2008), mais il n'a jamais été produit en tant que pièce de théâtre. Comme le souligne Ouellette, la "non-production de Se taire est une production en soi, la représentation de l'incapacité des structures théâtrales à intégrer la voix autonome d'un de ses dramaturges et l'expression du désenchantement...

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