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  • Ce que je crois savoir sur Marcel David (1920–2011)
  • Jacques Girault*

Quand un universitaire disparaît, il y a deux façons de lui rendre hommage.

Soit on analyse son œuvre et son action. Bernard Pudal vient d’écrire une longue notice parue dans le Dictionnaire biographique mouvement ouvrier mouvement social de 1940 à 1968, le Maitron, tome 4, pages 163–165. Je me contente d’y renvoyer. Ce professeur d’histoire du droit, aux racines juives et chrétiennes, devenu agnostique, résistant, croyait au rôle de la culture et de la formation pour mieux armer dans leurs actions les militants syndicalistes, et plus largement l’ensemble des salariés modestes 1. Après la fondation à Paris par d’autres de l’Institut des sciences sociales du travail en 1951, Marcel David créa en 1955 l’Institut du travail de l’Université de Strasbourg, qui devint le modèle pour les autres instituts en région. Ayant eu le rare mérite, dans un contexte de désunion, d’avoir la confiance des principales centrales syndicales, il pouvait poursuivre ses réflexions sur la formation du social et sur sa conception, tour à tour optimiste et angoissée, de la nature humaine.

Soit on essaye de définir les raisons du respect qu’on lui doit. Pour moi, ce fut simple. En novembre 1968, Marcel David me rencontra sur le conseil de Marc Piolot, responsable du Centre confédéral d’éducation ouvrière de la CGT. Il était à la recherche d’un assistant pour l’Institut des sciences sociales du travail rattaché à la Sorbonne. Soucieux d’un équilibre idéologique, il ne me choisit pas, pour des raisons qu’il m’expliqua. Il m’inspira, d’emblée, une grande confiance qui ne se démentit pas par la suite. Il m’avait notamment indiqué comment, avec l’aide d’Ernest Labrousse, il avait contribué à créer le Centre d’histoire du syndicalisme à la Sorbonne. Il s’agissait d’apporter une solution positive à la crise que traversait l’Institut français d’Histoire sociale dont il allait devenir le président. Il fallait permettre à son animateur, Jean Maitron, de continuer son action dans un autre cadre et de faire entrer les confédérations ouvrières dans l’Université comme elles étaient présentes dans les Instituts du Travail, bien avant 1968.

Jean Maitron, fondateur et directeur du Mouvement Social, envisagea d’élargir son comité de rédaction. À partir du numéro 68, en juillet-septembre 1969, six nouveaux membres furent admis dans cette équipe, quatre jeunes chercheurs (Guy Bourdé, Patrick Fridenson, Jacques Girault, Marie-Noëlle Thibault) et deux professeurs d’université, Marcel David, alors président de l’Institut d’Histoire sociale, et Jacques Droz, qui, après un détour par le centre expérimental de Vincennes, revenait à la Sorbonne et était désigné comme directeur du Centre d’histoire du syndicalisme [End Page 95] dont le secrétaire était Jean Maitron. Jacques Droz prenait en charge la partie d’histoire sociale que lui concédait Pierre Vilar, le successeur d’Ernest Labrousse, comme professeur d’histoire économique et sociale.

L’une des premières réunions du comité de rédaction donna lieu à un échange tendu. Des membres du comité avaient présenté un article de Jean-Paul Brunet sur la scission de Jacques Doriot en 1934–1935. Marcel David s’y opposa en invoquant un devoir de respect envers les victimes de l’idéologie fasciste. Finalement, l’article parut dans le numéro 70, mais suivi d’un texte de Marcel David. Il estimait notamment que cet article relevait de la « controverse politique » qui n’avait rien à voir avec la réputation scientifique de la revue et qu’il avait sa place « dans des revues qui situent leurs objectifs en marge de la science historique ». Il me consulta, comme sans doute d’autres collègues, pour connaître ma réaction s’il démissionnait du comité. Je lui indiquai mon désaccord sur une telle éventualité. Tout en gardant une certaine amertume doublée d’une gêne, il resta membre du comité de rédaction jusqu’au numéro...

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