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  • La France des larmes. Deuils politiques à l’âge romantique, 1814–1840
  • Danielle Tartakowsky
Emmanuel Fureix.- La France des larmes. Deuils politiques à l’âge romantique, 1814–1840. Paris, Champ Vallon, 2009, 502 p. « Époques ». Préface d’Alain CORBIN.

Le décret impérial du 23 prairial an XII (juin 1804), appliqué presque immédiatement aux grandes nécropoles parisiennes, a valu à Paris de s’imposer comme le laboratoire précoce d’une révolution funéraire qui a essaimé dans l’Europe entière et même au delà. Les pages qu’Emmanuel Fureix consacre aux effets, désormais bien connus, de cette révolution sur les cimetières de la capitale (p. 74–93) ne constituent toutefois qu’une facette mineure d’un projet d’une plus vaste envergure dont il convient de saluer d’entrée de jeu la réussite.

La France de la Restauration et de la Monarchie de Juillet doit à la césure traumatique née de la Révolution et du régicide, à plus fort titre, d’être affectée par une crise de l’incarnation du pouvoir. Le déficit de sacralité et la crise de la représentation politique obligent l’un et l’autre régime à recourir massivement à des rites politiques de toutes natures au moment même où une révolution funéraire vient affecter puissamment le rapport des vivants et des morts. Cette rencontre, exceptionnelle, entre une rupture de sensibilité et des besoins politiques affirmés, avant l’avènement du suffrage universel masculin, est à l’origine d’un « moment nécrophile » qui se confond avec le moment romantique. Du fait de la conjonction qu’il autorise, le culte des morts s’affirme pour l’un des modes d’expression majeurs d’une autre expérience politique. Déployée hors de l’enceinte parlementaire, celle-ci cristallise à la fois les conflits de représentation et d’imaginaires et les combats politiques dans leur acception plus convenue. L’étude circonstanciée des deuils de la Révolution, des deuils de souveraineté et des deuils protestataires qui constituent le cœur de l’ouvrage permet de montrer comment et pourquoi la commémoration des victimes de la Révolution et des funérailles politiques de toute espèce vont constituer, durant plus de trente ans une modalité privilégiée d’émergence et d’affirmation de nouveaux gestes ou rites publics et politiques, fabriqués par empilement de références anciennes. Les « inventions » de tradition successives qui les sous-tendent diffèrent assurément de celles qu’Eric Hobsbawm a analysées dans un autre contexte, mais répondent du moins à un objectif similaire : renouer la chaîne interrompue des temps en reconstruisant, par là même, du consensus ou du moins en le tentant.

On savait que les enterrements libéraux, et certains plus que d’autres, ont constitué une forme abri pour une opposition muselée par la soudaine contraction de l’espace public. Leur inscription dans le répertoire d’action collective « moderne », tel que l’a défini Charles Tilly, a suscité un débat entre ceux qui les tiennent pour une – sinon pour la – matrice de ce cortège ordonné qu’est la manifestation de rue et souscrivent, de ce fait, à sa chronologie situant le basculement d’un répertoire à l’autre aux alentours de 1848, et ceux qui récusent cette filiation en considérant que l’affermissement du suffrage universel, effectif après 1875, constitue la condition [End Page 173] de ce basculement 1, et créditent ainsi ces enterrements de traits caractéristiques du répertoire d’Ancien Régime.

Les riches développements qu’Emmanuel Fureix consacre à ces deuils protestataires, capables d’intégrer à la politique en acte ceux que ses modalités institutionnelles excluaient, viennent apporter de l’eau au moulin des tenants de la première thèse en soulignant qu’il s’est agi là de cortèges organisés et ordonnés, propres à inventer, à leur tour, des rites, des symboliques et des espaces-récits, parfois durables. En voulant voir en eux des équivalents des meetings à l’anglaise et à l’irlandaise, Emmanuel Fureix sugg...

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