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  • Changer le travail pour changer la vie ? Genèse des lois Auroux, 1981-1982
  • Jacques Le Goff
Matthieu Tracol . - Changer le travail pour changer la vie ? Genèse des lois Auroux, 1981-1982. Paris, L'Harmattan, 2009, 238 pages. Préface d'Olivier Wieviorka. « Des poings et des roses ».

Près de trente ans après son adoption, la grande réforme Auroux de 1982 n'en finit pas d'intriguer. Les dimensions exceptionnelles du projet ; son ambition : l'intégration de l'entreprise dans l'État de droit ; ses innovations, tout justifie de s'interroger sur sa contribution à la reconfiguration du paysage social français. Présent dans le remarquable travail de Matthieu Tracol2, le souci du bilan n'y est pourtant pas [End Page 125] central. Le propos vise plutôt à reconstituer la genèse de ces textes dans une double perspective de génétique intellectuelle (identification des influences déterminantes) et de généalogie décisionnelle (mode et degré d'intervention des acteurs politiques et sociaux dans le processus d'élaboration). Bref, quelle était l'inspiration de ce dispositif et par quels méandres est-on passé du projet à l'écriture législative ? Pour y répondre, l'auteur tient d'une main ferme les deux brins de l'histoire des idées et de leurs supports institutionnels dans une analyse patiente et méticuleuse qui ne néglige ni l'officieux ni les jeux de coulisses reconstitués sur la base d'archives de première main et de nombreux témoignages. Il s'agit de comprendre la logique d'action plurielle qui va incurver le projet social de rupture des 110 propositions du candidat Mitterrand vers un programme de réforme en mineur. Mais comment rendre compte d'un tel hiatus ?

L'auteur avance trois explications où se mêlent options politiques du ministre du Travail et de Matignon, poids propre des cabinets Auroux et Mauroy, net différentiel d'influence des grands acteurs sociaux et effet tétanisant d'une conjoncture en cours de détérioration dès 1981.

La première, la plus déterminante, tient à l'option résolument réformiste du processus de transformation. Dès le rapport Auroux sur les nouveaux droits des travailleurs de septembre 1981, le ton est donné. Malgré l'évidente nouveauté de certaines des propositions, la ligne choisie est de franche transformation, mais sans remise en cause de l'économie générale du système de pouvoir au sein de l'entreprise. Le postulat d'« unité de direction » conduit très vite à écarter deux des 110 propositions qui avaient valeur de test d'un changement en forme de rupture : le droit de veto du comité d'entreprise en matière de licenciement économique et le droit reconnu aux représentants du personnel d'arrêt des machines en situation dangereuse. Mitterrand ironisera sur la reculade, mais laissera faire, son regret n'ayant au fond d'égal qu'une satisfaction inavouée. La présence à ses côtés de Jeannette Laot, sa conseillère sociale, ancienne secrétaire nationale de la CFDT, n'est probablement pas indifférente à un accommodement tactique en phase avec la ligne inspirée par ce syndicat et un courant « technocratique » peu disposé à l'aventurisme. Matthieu Tracol met très bien en évidence le couple d'influences formé par ces deux sensibilités puissamment à l'oeuvre dans les cabinets Auroux et Mauroy dont l'osmose est constante et pratiquement sans ombre. Ce sont d'ailleurs souvent les mêmes qui baignent dans ces deux cultures : Martine Aubry dont on sait le rôle décisif dans l'écriture du Rapport, Michel Praderie, Pierre-Louis Rémy, Bernard Brunhes l'économiste « poids lourd du cabinet Mauroy », René Cessieux venu du Commissariat du Plan... Par eux se produit un phénomène de catalyse d'idées et de projet assez largement dans « l'air du temps » et pour certaines d'entre elles déjà anciennes. Plus que d'influence cédétiste directe, il vaut mieux parler de partage de culture, de percolation dans le rapport Auroux d'une sensibilité, d'une vision des relations sociales...

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