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  • De Gaulle, mythe national
  • Sudhir Hazareesingh (bio)

L'annonce du retour de la France au sein du commandement militaire intégré de l'OTAN en mars 2009 fut largement commentée en France. Et bien que les opinions furent partagées sur le sens, la portée et le bien-fondé du geste lui-même, l'unanimité se fit sur un point : cette mesure sarkozienne mettait fin à une tradition, celle d'une certaine posture française sur l'échiquier international, incarnée d'abord par le Général de Gaulle, puis maintenue (dans ses grandes lignes) par ses successeurs jusqu'à la fin du mandat du président Jacques Chirac en 2007. En fait, depuis le nouveau millénaire, la France semblait s'éloigner en douceur de l'héritage politique gaullien : la disparition de la plupart des grandes figures historiques du gaullisme, les cohabitations successives, le sabordage officiel du parti gaulliste, l'absence de plus en plus prononcée du Général du discours politique (De Gaulle fut assez peu évoqué pendant la campagne électorale de 2007), et enfin l'inauguration de nouveaux musées gaulliens - aux Invalides, puis à Colombey - tout cela ne semblait-il pas indiquer que l'homme du 18 juin glissait tranquillement dans la longue nuit du souvenir ?

Mais les apparences sont trompeuses. François Mauriac l'avait bien dit : « Quand De Gaulle ne sera plus là, il sera là encore1 ». Il y a d'abord - nul besoin de trop s'y attarder tellement le fait est évident - l'empreinte gaullienne sur les institutions politiques de la Ve République, et en particulier sur la présidence. Le Général avait une conception particulière de sa légitimité, qui était intrinsèque et « au-dessus du suffrage universel », comme on disait de la République au [End Page 99] bon vieux temps ; son élection était moins une source de légitimation qu'une marque de reconnaissance2. Mais si cette conception - authentiquement démocratique, mais néo-bonapartiste dans son essence - n'a pas été reprise par les successeurs du Général à la présidence, ces derniers ont hérité d'une institution dont l'identité était fondamentalement ambiguë. Elu du suffrage universel, mais condamné par la force des choses à être le chef d'une majorité politique, le président de la République incarne deux figures contradictoires, l'une d'essence unanimiste, et l'autre partisane - ou pour le dire de manière métaphysique, suivant la thèse de Kantorowicz, l'une intemporelle, et l'autre transitoire3. De Georges Pompidou à Nicolas Sarkozy, tous les successeurs du Général se sont confrontés à cette schizophrénie régalienne, qui est devenue en quelque sorte inhérente à la fonction présidentielle en France.

Le Général n'est donc sorti du monde empirique que pour rentrer dans l'ordre du symbolique. De figure publique dominante de sa génération, il est ainsi passé à une incarnation idéale, transcendante du politique : une référence, un modèle à suivre - bref, un mythe politique. On pourrait même dire le mythe national, car depuis au moins deux décennies, De Gaulle repose au sommet de l'Olympe, surplombant magnifiquement toutes les autres figures historiques nationales dans le palmarès des Français. Il cumule en sa personne les grandes formes d'exemplarité : libérateur de la patrie, père fondateur de la République, éducateur civique, et protecteur de la nation - avec, en prime, de par son éviction peu cérémonieuse du pouvoir en avril 1969, une touche de martyr, composante obligatoire de la légende dans une France toujours profondément imprégnée par l'imaginaire catholique. Grâce à la baguette magique gaullienne, le 18 juin est passé de symbole d'une défaite humiliante à Waterloo à celui d'une renaissance, d'une vitalité, d'une opiniâtreté bien française. En fait, l'ombre du Général de Gaulle plane à travers l'Hexagone, de manière littérale : son nom est affiché partout en France, sur des stèles commémoratives, des places et des voies publiques4. Ses représentations du monde, ses...

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