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Reviewed by:
  • L'exil palestinien au Liban. Le temps des origines (1947-1952)
  • Philippe Bourmaud
Jihane Sfeir . - L'exil palestinien au Liban. Le temps des origines (1947-1952). Paris, Karthala, Damas, Institut Français du Proche-Orient, 2008, 287 pages.

Dans le poème L'éternité du figuier de Barbarie de Mahmoud Darwich, un père et son fils dialoguent en quittant leur village, aux environs de Saint-Jean-d'Acre, en direction du Liban au cours de la guerre de 1948. Et l'enfant de demander : « Pourquoi as-tu laissé le cheval à sa solitude ? » Le poète a ainsi converti en littérature un des lieux communs consacrés par le discours mémoriel des réfugiés palestiniens : celui du cheval qu'on a oublié de détacher en quittant la maison au moment précipité de la fuite. Rappelant cette histoire (p. 26), Jihane Sfeir se propose de mettre à l'épreuve de la documentation historique, écrite et orale, non seulement ces « légendes de la nakba » (p. 26), mais d'une manière générale les idées reçues sur les Palestiniens du Liban. Autant la guerre de 1948 en Palestine a été l'objet d'une littérature abondante et renouvelée, autant l'expérience des réfugiés palestiniens juste après leur expulsion – ici, des premiers départs à l'été 1947 jusqu'au début du mandat du président libanais Camille Chamoun qui initia une politique sélective de « restitution de la nationalité libanaise » – est mal connue.

La partie proprement palestinienne de l'histoire – le départ du village natal et les étapes successives jusqu'au Liban (chapitre 1) – constitue moins un nouveau récit de l'exode palestinien de 1948 que des histoires alternatives, reconstituées à travers des mémoires individuelles, au cours d'entretiens avec des survivants de cette époque. Le choix des témoignages retenus est avisé, car Jihane Sfeir ne s'est pas fondée sur des prénotions relatives à la composition de la population palestinienne, ce qui n'aurait fait qu'entériner un discours construit et trompeur sur la Palestine mandataire. À la place, elle propose une sorte de forme saturée de la population palestinienne, un survol casuistique des catégories significatives de celle-ci ; on y voit les réfugiés d'origine libanaise ou arménienne, très minoritaires, jouer un rôle d'importance, car le chapitre 2 montre combien ils ont compté dans la définition différenciée des statuts des Palestiniens au Liban et dans la pensée institutionnelle des modes d'accueil et de secours. [End Page 146]

Le bât blesse lorsque l'on entre dans l'interprétation des témoignages. L'auteure oppose deux types de récits de l'exode des Palestiniens : un récit fortement structuré, la nakba, officialisé au point d'être aujourd'hui l'objet de commémorations (p. 23-25) ; et des témoignages individuels sur l'avant, le pendant et l'après de l'exode, pour lesquels Jihane Sfeir emprunte à Rosemary Sayigh le terme de hijra (p. 31). C'est à ce dernier type de récits qu'elle donne la priorité, en s'appuyant sur le travail de Maurice Halbwachs sur la mémoire collective et en reprenant notamment l'idée de stations que cet auteur emprunte au vocabulaire du Chemin de croix pour décrire la constitution des pratiques de ressouvenir collectif aux lieux saints (p. 31). Je regrette que ce choix ne l'ait pas amenée à interroger davantage l'opposition qu'elle fait entre nakba comme « construction symbolique » et hijra comme « réalité historique » (p. 57). À mon sens, on a dans les deux cas affaire à une mémoire fortement socialisée et partiellement reconstruite.

La référence à Halbwachs, en effet, inscrit le livre dans une tradition d'études des cadres sociaux de la mémoire, ancrés dans des lieux à travers des représentations collectives. Analyser la hijra individuelle en ces termes serait pertinent, mais conduirait à montrer non seulement combien celle-ci est affectée par l'appartenance sociale d'origine, ce que fait l'auteure, mais aussi combien elle est reconstruite...

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