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  • Histoire Populaire du Québec 1960 à 1970
Histoire Populaire du Québec 1960 à 1970. Jacques Lacoursière. Sillery: Septentrion, 2008. 488 p. (illustré, index), 29.00$ papier

Dans le même paragraphe de la préface au dernier chapitre de ce monument qu'est l'Histoire populaire du Québec, Paul-André Linteau affirme que Jacques Lacoursière est « peut-être le plus épicurien » et [End Page 379] « peut-être le plus méticuleux de nos historiens » (p. 7). De la part de l'un des auteurs de l'Histoire du Québec contemporain, il s'agit là d'une reconnaissance importante. C'est que le personnage est indissociable de son œuvre. Bien qu'il se défende d'avoir des « atonies crochus avec quelque idéologic que ce soit » (p. 438), Jacques Lacoursière n'est pas de ceux qui ont la prétention d'aseptiser l'histoire.

Dans son dernier livre, l'auteur retrace une période dont il a été le contemporain, et la tâche de résumer les événements qu'il a vécus en était d'autant plus ardue. Le pari a réussi en grande partie. Ce cinquième volume (mais non le dernier, comme la conclusion nous en fait la promesse!) porte donc sur la décennie 1960-1970 au Québec. Précisons tout d'abord qu'il existe peu d'ouvrages de vulgarisation portant exclusivement sur la Révolution tranquille et que, à ce titre, le dernier Lacoursière permet à nombre de passionnés d'histoire de se familiariser avec cette époque.

L'ouvrage comprend quatorze chapitres qui rassemblent des thèmes que l'auteur juge représentatifs d'un moment. Un découpage tant chronologique que thématique nous offre des allers-retours et quelques (rares) répétitions, et permet d'aborder certaines questions souvent réservées à des ouvrages plus spécialisés (la question amérindienne ou l'immigration) au détriment parfois de la contextualisation nécessaire à une compréhension de l'interaction entre les différentes sphères de la vie sociétale. L'auteur conclut son livre par la question des réformes municipales, de l'Île Jésus aux expatriés du Parc Forillon pendant la décennie suivante, sujet qui semble parachuté en fin d'ouvrage faute d'avoir trouvé une place adéquate ailleurs. Un chapitre consacré à la crise d'octobre retrace la progression du FLQ depuis 1966. Mais très peu de mots évoquent les tout débuts du FLQ, au moment où se déclencha un véritable électrochoc au cours des années 1963-1966.

Jacques Lacoursière prend le parti de miser sur les événements politiques et sur ce qui se passait en coulisse, événements très nom-breux au cours de la décennie (notamment un très bon chapitre sur les relations fédérales-provinciales), et insiste sur le fait que, si les Libéraux ont pu engager le train de réformes qui a tant marqué l'époque, c'est que les années précédentes avaient permis politiquement, culturellement, économiquement et socialement, ce rattrapage. « La table etait mise » pour que l'équipe du tonnerre parvienne ainsi à initier les grandes manœuvres qui allaient radicalement transformer l'État québécois. Et au-delà de cet État, c'est toute la société qui, de canadienne-française, devient québécoise, avec son lot de mutations sociales et culturelles (qui inaugurent le livre), dont les nombreuses [End Page 380] manifestations et protestations ponctuent la décennie. Si l'éducation connaît de grands bouleversements – qui ont parfois abouti selon l'auteur à « un beau gâchis » (p. 89) – c'est également que l'Église dans son ensemble perd son statut de balise incontournable. Sur ce point, il faut signaler que l'auteur parvient à bien décrire le découragement des catholiques réformistes après la parution de l'encyclique Humanœ Vitœ de Paul VI en 1968.

L'auteur, on l'a dit, est un vulgarisateur. Son livre présente donc les qualités et les défauts inhérents au genre, défauts qui ne manqueront pas d'agacer certains lecteurs. Jacques Lacoursière a toujours eu pour habitude de laisser longuement parler ses témoins. On salue donc ce travail de recherche, qui mène à des perles comme la lettre inédite de René Lévesque à Jean Lesage (p. 242). Par contre, l'analyse est parfois sacrifiée au profit de l'énonciation brute, noyée dans des anecdotes plus ou moins pertinentes. On a ainsi parfois l'impression de lire des capsules historiques décousues, sans cohérence dans le récit. On reproche depuis des décennies à l'auteur de ne pas citer ses sources, critique qu'il balaie du revers de la main en affirmant qu' « un chef ne donne pas ses recettes » (La Presse, 19 nov. 2008)! Certes, mais lorsqu'on prétend être un « journaliste du passé » (Le Soleil, 10 nov. 2008), on se doit de respecter certaines règles de vérification parmi les plus élémentaires. Le lecteur doit-il sans sourciller se fier aux innombrables « d'aucuns », « selon certains », qui émaillent le texte? On peut faire de l'histoire populaire tout en permettant aux lecteurs intéressés d'approfondir un sujet, d'accéder à une citation, à un auteur. Fournir ces outils n'aurait rien changé à la qualité de l'écriture ou à l'intérêt du grand public pour le livre. Ici, le récit est clos et ne permet pas ce dialogue avec le lecteur. Ce qui est d'autant plus dommage que le sommaire, qui se résume aux titres des principaux chapitres, ne fournit pas les indications qui pourraient être utiles à une recherche précise. Par contre, il reste l'index qui est quant à lui très complet.

Jacques Lacoursière est habitué à cette critique lancinante et prévient déjà que « le spécialiste restera sur son appétit » (p. 437). Il a écrit, malgré ces quelques critiques que pourront lui adresser les chercheurs universitaires, un incontournable de la vulgarisation historique, dans la meilleure tradition du genre. Il est incontestablement passé maître en ce type de récit. Le texte est alerte, ne manque pas d'humour, et relève le défi d'une narration qui ne cède rien à la rigueur. Les chercheurs déclarés peuvent apprendre beaucoup d'un tel historien. [End Page 381]

Ivan Carel
Université Concordia

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