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  • Comment écrire une histoire qui tient?À propos de l'opinion publique
  • Brigitte Gaïti (bio)

Je ne peux que remercier Gabriel Galvez-Behar pour sa lecture critique, aussi attentive que stimulante, de mon article « L'opinion publique dans l'histoire politique : impasses et bifurcations »1. Ma réponse sera d'autant plus brève que j'ai de nombreux points d'accord avec lui et qu'effectivement je pense qu'il faut se garder d'un constructivisme relativiste qui ferait de la réalité le produit fragile des seules interactions sociales ou, pire, un jeu de langage ne tenant que par des opérations de catégorisation linguistique. Il me semble qu'en effet, les sciences sociales peuvent et doivent travailler sur les processus par lesquels se construit une réalité sociale qui en vient à acquérir une consistance et une solidité indépendantes des interactions sociales qui lui ont donné naissance et qui s'impose à eux avec « la force des choses ». Le lexique durkheimien est toujours d'actualité : il faut traiter les faits sociaux comme des choses, à condition d'interroger la manière dont les faits sociaux deviennent ces choses2 qui acquièrent un degré de réalité supérieur, une sorte de « naturalité » et pour finir un pouvoir de contrainte sur les individus.

Je partirai des quelques éléments qui me posent problème dans les formulations qu'utilise Gabriel Galvez-Behar et qui pourraient indiquer, même à la marge, des écarts de points de vue.

Faire exister ce qui n'existe pas : les conditions d'un réalisme de l'enquête

« Cesser de faire l'histoire de ce qui a existé pour faire celle de ce qui fait exister, n'est-ce pas perdre toute notion de réalité historique ? » : le dilemme énoncé par Gabriel Galvez-Behar est-il vraiment aussi tranché et surtout se pose-t-il en ces termes ?

Une première réponse, hélas nécessaire au vu de certains travaux d'histoire ou de science politique abordant l'histoire politique contemporaine, [End Page 145] consisterait à dire que bien souvent les précautions méthodologiques ordinaires concernant l'analyse de collectifs comme « l'opinion publique » ne sont tout simplement pas respectées3 : la notion a sans doute pris aujourd'hui un tel caractère d'évidence qu'il semble parfois autorisé de la présumer à partir d'un simple éditorial de journal, d'un témoignage d'un écrivain évoquant l'esprit du temps ou d'un sondage dont les conditions de production ne sont jamais explicitées. Il faudrait relever systématiquement les modalités selon lesquelles l'opinion publique est convoquée dans l'explication de certains objets de l'histoire politique (alternance, transitions démocratiques, crises, etc.). On verrait alors combien les opérations de montée en généralité sont fragiles. En ce sens, l'interrogation que je portais sur l'opinion publique n'est pas motivée d'abord par des préoccupations épistémologiques plus larges ; elle vise à rappeler que ces collectifs créés dans et par la lutte politique, parfois repris tels quels dans la littérature scientifique au titre de concepts ou de variables explicatives, doivent être contextualisés, sociologisés et articulés à des sources précises, si on entend ensuite les mobiliser pour en faire les acteurs clés des phénomènes politiques étudiés. Au-delà du caractère impuissant de la critique du positivisme, si les controverses autour de l'opinion publique pouvaient élever le degré d'exigence de preuve nécessaire à ses usages dans l'analyse, elles contribueraient à une amélioration notable de nombre de recherches d'histoire politique.

Ainsi, et au-delà d'un positionnement épistémologique constructiviste, faire de « la lassitude de l'opinion » « un des moteurs de la chute de la IVe République », comme on le lit aux détours des pages des ouvrages et manuels scolaires sur ce thème, est tout simplement une erreur empirique dont le caractère général et durable est sans doute lié à « la suite de l'histoire », aux succès référendaires et électoraux du général de Gaulle et à la...

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