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Paul Claudel: poétique et mystique des pierres précieuses Michel Lioure LE 13 SEPTEMBRE 1937, CLAUDEL NOTAIT dans son Journal qu'il avait effectué, lors d'un voyage à Paris, une visite «chez Cartier», le joaillier dans la famille duquel son fils Pierre était entré par son mariage, et qu'il avait passé «une matinée ensoleillée à l'étude des pierres précieuses»1. Quelques jours auparavant, il avait consigné dans son Journal d'abondantes notes et citations empruntées aux Commentaria in Scripturam Sacram et notamment aux Commentaria in Apocalypsim de Cornelius a Lapide, jésuite et théologien liégeois (1566-1637) qui analysait le symbolisme des pierres précieuses qui constituent, selon l'Apocalypse (21:17-21) «les XII fondements de la Jérusalem céleste»2. Le 27 octobre, il retournait «chez Cartier pour étudier les perles et les pfierres] semi-précieuses »: «les perles, s'exclamait-il, quelle merveille!»3. De cette expérience et de cette réflexion est issu un texte admirable et rarement cité, publié par les soins de la maison Cartier à 1600 exemplaires en 1938 et repris en 1946 dans le recueil de L'Œil écoute: «La Mystique des pierres précieuses»4. Si Claudel emprunte à son modèle et retranscrit fidèlement les données de l'interprétation symbolique avancée par le savant jésuite, il s'en distingue et se laisse aller, selon sa méthode exégétique et son inspiration poétique, à une méditation personnelle inspirée par son propre imaginaire. Claudel, qui n'a pas manqué de se documenter, n'ignore pas que l'évêque Marbode, au XIF siècle, a «consacré aux gemmes un poème en hexamètres rugueux», Le Lapidaire, et que Boèce et Albert le Grand en ont aussi vanté, non sans quelque «fantaisie», les vertus magiques: «Telle pierre guérit de la gravelle et telle autre de la colère, telle est un spécifique contre le mal de dents et telle autre contre la luxure» (342). Son informateur principal est Cornelius a Lapide, dont il a consulté et utilisé les commentaires sur l'Apocalypse en vue de ses propres exégèses. Mais s'il reprend consciencieusement les interpr étations proposées par le théologien, qui s'aventurait, «assez arbitrairement», avouait Claudel, à voir dans les «célestes minéraux» de l'Apocalypse une allusion aux «XII apôtres» ou «une figure des XII articles» du Credo (344), et tout en prétendant suivre «modestement pas à pas et le chapeau à la main» son «guide Cornelius», il ne laissait pas de prendre ses distances envers «l'ingénieux exégète» en assortissant ses citations de formules restrictives ou Vol. XLV, No. 2 31 L'Esprit Créateur poliment dubitatives: «paraît-il», «serait», «nous dit-on», «ajoute le commentateur » (346). «Notre bon Corneille», écrit-il même assez familièrement, «n'est pas quelquefois sans abattre des noix» (344). Aussi Claudel ne s'abstient -il pas non seulement d'orner, de prolonger et d'enrichir le commentaire en lui adjoignant des références et des réflexions issues de son immense culture biblique, mais aussi de l'entourer de variations inspirées, à propos des pierres précieuses, par sa sensibilité et son imagination personnelles. L'essai de Claudel s'ouvre en effet par un feu d'artifice de métaphores implicites évoquant les brillants par référence à tout ce qui dans le monde émet une lumière ou une lueur, de la plus modeste à la plus éclatante: «ver luisant», «mouches à feu», «insectes», «goutte de rosée qui flamboie dans le matin de mai», «arbre habillé de verglas», «étoile» enfin, de la «toute petite» à celle qui «triomphe au bandeau de l'aurore». Chacun de ces objets brillants est à son tour orné d'une ramification d'images et de métaphores à valeur pittoresque ou symbolique: le ver luisant «allume tous les soirs sa petite lanterne pour lire dans son bréviaire», les mouches à feu «entrecroisent leurs paraphes vertigineux», le poisson des profondeurs, «le phare au front, rôde dans la ténèbre liquide», les insectes sont «des bijoux rutilants et mordorés», l...

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