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MLN 117.4 (2002) 754-767



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« Scènes d'enfants »,
au dix-neuvième siècle

Jacques Neefs


Le dix-neuvième siècle a recueilli les enfants. Il les multiplie, il les fait parler, il s'en soucie de manière nouvelle, attendrie ou inquiète, sévère ou joyeuse; il en fait un foyer de subjectivité, une sorte de miroir de sorcière qui concentrerait en lui toutes les virtualités. Un inventaire est à faire des apparitions d'enfants dans la littérature du dix-neuvième siècle, dans les romans, dans la poésie également, et très vite c'est un peuple entier qui joue dans les pages, latéralement la plupart du temps, par intervalles, courant au détour d'une fiction ou d'un poème.

Et sans doute l'une des formules les plus fortes de ce qui peut être offert à penser à partir de l'enfant se trouve-t-il dans Baudelaire, à la fin du Joujou du pauvre : « Et les deux enfants se riaient l'un à l'autre fraternellement, avec les dents d'une égale blancheur. » 1 La virtualité, l'égalité, et la fraternité, l'en deçà du partage des humains mais également l'extrême violence de la division sociale, sont rendus visibles dans cet instant d'échange, où le poème se penche sur le geste d'une reconnaissance.

Des enfants dans le temps

Il est certain que le grand développement de l'enfant comme sujet des œuvres, et comme destinataire également, date principalement [End Page 754] de la seconde moitié du dix-neuvième siècle, et tout particulièrement après 1870, dans le temps de la Troisième République. Ce développement va de pair avec celui de l'éducation, avec la prise en charge par l'État de la formation des enfants. À partir de 1881 (loi du 16 juin sur la gratuité de l'enseignement primaire) et avec la loi du 29 mars 1882 rendant l'enseignement primaire obligatoire et laïque, l'enfant est placé au centre d'un grand débat national portant sur la question scolaire, sur la laïcité, sur la morale 2 . L'enfant devient, si l'on peut dire, l'objet de tous les soins.

C'est ce que Hugo réclamait dès 1850, dans le discours sur la liberté de l'enseignement qu'il prononça à l'Assemblée législative (15 janvier 1850) contre la loi Falloux :

Messieurs, toute question a son idéal. Pour moi, l'idéal de cette question de l'enseignement, le voici : l'instruction gratuite et obligatoire. Obligatoire au premier degré seulement, gratuite à tous les degrés (Murmures à droite. - Applaudissements à gauche.) L'instruction primaire obligatoire, c'est le droit de l'enfant (Mouvement) qui, ne vous y trompez pas, est plus sacré encore que le droit du père et qui se confond avec le droit de l'État 3.

Ce « droit de l'enfant » identifié au « droit de l'état » est certainement la marque la plus forte d'une pensée qui lie à l'enfant l'idée même du devenir politique, de l'avenir d'une nation, de la construction sociale du futur.

L'alphabétisation est généralisée et atteint 95 % d'une génération à la fin du siècle. La lecture d'enfance et de jeunesse connaît un immense développement (le rôle d'éditeurs comme Hetzel est décisif), l'enfant reçoit une place centrale dans le souci et dans les représentations de la société politique.

Dans la fin du siècle, comme l'a montré Guillemette Tison 4, le relatif déclin démographique semble être compensé par l'attention nouvelle portée à l'éducation, à la santé, à la protection de l'enfant. Mais tout au long du siècle, la dénonciation de l'exploitation de la main d'œuvre enfantine montre le souci de cet avenir que représentent les enfants : la loi du 22 mars 1841 interdit le travail des enfants de moins de huit ans, et le travail...

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