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  • Scénographie du dialogue balzacien
  • Éric Bordas (bio)

En travaillant sur le texte balzacien, on se propose d’étudier deux types d’interaction énonciative qui confrontent le discours du récit (ou narration) au discours des personnages s’affrontant dans le récit (ou dialogue au sens strict). Ces deux modes d’interaction énonciative qui participent de la dynamique du récit, on les désignera d’une part comme énonciation dialoguée dramatique, et d’autre part comme énonciation dialogale métadiscursive. Il se trouve, comme le souligne Michel Murat, que dans un récit “tout dialogue obéit par principe à une double logique, étant à la fois conversation et fragment narratif,” 1 objet constitué et structure constituante, discours des autres rapportés par l’un. C’est cette double nature que l’on entend souligner en envisageant donc deux modes privilégiés de réalisation d’une énonciation interactive que Balzac semble avoir particulièrement bien illustrée. L’objectif serait de répondre à la question suivante: dans quelle mesure, et comment, l’énonciation narrative romanesque est-elle susceptible de gérer la valeur interactionnelle, pragmatique, de toute énonciation et ses articulations linguistiques, en prenant en compte aussi bien la cohérence interne des répliques individuelles que la logique extra-dialogale, responsable des emboîtements linéaires des unités discursives successives? 2

On parle beaucoup dans les romans de Balzac. “Scènes de la vie de parole, tel aurait pu être, en fait, le sous-titre de toute une série de romans [End Page 722] rangés dans différents casiers de La Comédie humaine.” 3 Les personnages actants de la fiction agissent, s’affrontent, s’aiment ou se détruisent d’abord en paroles. Représentation d’un monde moderne en cela, l’action s’y dit désormais, et ce dire correspond à un faire. La perspective pragmatique des échanges verbaux n’est pas niable dans un univers de rapports de force presque toujours conflictuels. On parle donc beaucoup et ces discours énoncent une action qu’il appartient au narrateur de régler dans l’énonciation qui la fait surgir, un peu à la façon d’un metteur en scène. Aux héros de dire et de faire l’action, mais au narrateur de rendre ce discours, et cette action, intelligibles. Porteurs d’action, et donc éminemment dramatiques, les dialogues romanesques reposent du point de vue de leur fonctionnement sur la règle de l’échange qui confronte, au minimum, le discours d’un personnage A au discours d’un personnage B. Cet échange sera dit “interactif” quand, de cette confrontation, on obtiendra un discours organisé à plusieurs. Ce pourra être une conversation, plus ou moins essentielle dans le déroulement de l’intrigue. Le discours mondain par exemple, savamment codé, s’illustre en des dialogues habilement frivoles et superficiels dont le narrateur rapporte les propos tout en laissant l’implicite qui les sous-tend travailler la signifiance exemplaire. Il s’agit d’abord de faire entendre l’élégant babillage pour mieux suggérer les règles qui gouvernent le groupe social aristocratique. Ainsi, une des caractéristiques représentatives des propos des grandes dames du faubourg Saint-Germain est l’usage récurrent des apostrophes affectueuses. Michel Grimaud insiste sur le fait que chez Balzac, “la sociolinguistique des termes d’adresse est toujours importante.” 4 “Ma chère” vient en tête: onze occurrences au total dans le seul Père Goriot. 5 Le contexte est fondamental pour saisir tout le travail de la perfidie implicite de ces ironiques protestations de tendresse qui n’ont, dans certains cas, que fonction de laissez-passer pour permettre à l’énonciatrice de décocher ses traits les plus acérés : “Mais, ma chère, Mlle de Rochefide est charmante,” (III:110) déclare la duchesse de Langeais à sa meilleure amie en lui parlant de sa rivale heureuse. “Vous êtes bien belle en ce moment, ma chère. Vous avez les plus jolies couleurs que j’aie vues jamais,” (Ibid.,115) conclut-elle en observant [End Page 723] la pâleur qu’elle a provoquée. Le narrateur, non sans délectation, reproduit ces joutes...

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