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L'Esprit Créateur 47.2 (2007) 127-137

La Musique dans l'œuvre romanesque d'Émile Ollivier:
entre chant funèbre et hymne à la vie
Joubert Satyre
University of Guelph

Par sa présence sur le plan compositionnel et sur le plan thématique, la musique joue un rôle central dans l'œuvre romanesque d'Émile Ollivier. Certes, Ollivier n'est pas le premier romancier haïtien ou antillais à faire entrer cet art dans l'espace romanesque. Beaucoup de romans antillais intègrent dans leur trame narrative une chanson, un air classique ou populaire ; mais la musique y traverse rarement le temps et l'espace du récit et ne se relie guère au destin des personnages. Elle s'évanouit sitôt exécutée ou entendue. Comme dirait Roland Barthes, elle fonctionne comme informant et non comme indice. Ollivier va plus loin, jusqu'à faire servir parfois la musique de modèle structurant à ses romans. Qu'est-ce qui explique l'omniprésence de la musique chez Ollivier ? Quelles en sont les manifestations sur le plan structurel et thématique ? Quelles sont les fonctions symboliques de la musique chez ce romancier ? Telles sont les principales questions auxquelles notre essai tentera de répondre.

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L'omniprésence de la musique dans l'œuvre romanesque d'Ollivier renvoie sans doute en partie à l'esthétique baroque dont il s'est lui-même réclamé. Nous avons démontré ailleurs comment le baroque informe cette œuvre à laquelle il donne cohérence et lisibilité1 . Citons par exemple la présence importante d'une thématique de la mort, motif privilégié du baroque. Ainsi que le montre Philippe Vendrix, c'est pendant l'époque baroque que la musique a d'abord tenté d'exprimer la mort :

[I]l devint en effet possible à la musique d'exprimer pour la première fois de son histoire certaines émotions tellement fortes que les cultures précédentes, celles de la Renaissance et du Maniérisme, les avaient exclues du vocabulaire de l'art. La musique est non seulement capable d'embrasser les sentiments amoureux ou pieux, mais aussi l'horreur, l'angoisse, la menace. Dans l'art angélique, il y a enfin place pour les hurlements infernaux. La mort—la mort charnelle, irrévocable et damnée, la mort baroque—entre par la porte entrebâillée.

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D'autres motifs clés du baroque, chez Ollivier, procèdent de son expérience d'exil au Canada : le voyage, le passage, la dissolution, la fluidité. Thèmes depuis longtemps associés à la musique également, comme chez Baudelaire [End Page 127] où celle-ci se fait évasion, rêve d'un ailleurs—ou comme nous le dirait tout simplement l'expression banale 'sur les ailes de la musique'. Il est devenu commun, surtout depuis le romantisme, de penser la musique à la manière dont Montaigne, philosophe de l'époque baroque, se représente lui-même : « Je ne peins pas l'être, je peins le passage »—phrase citée par Ollivier en exergue de son roman Passages3 . Dans ce roman de franchissement des seuils, la musique est présente tant sur le plan formel que thématique.

Sous toutes les réserves qu'exige la comparaison de deux systèmes sémio-tiques différents, on peut donc relever dans l'œuvre romanesque d'Ollivier des traits qui, par métaphore, rappellent certaines formes ou pratiques musicales4 . La structure en diptyque de Passages, par exemple, fait penser par certains côtés à une fugue. Ce roman fait dialoguer deux groupes de Haïtiens : l'un à Port-à-l'Écu, village de pêcheurs dans l'île natale, l'autre en exil à Montréal. Ceux de Port-à-l'Écu veulent émigrer à Miami, qui dans leur ima-ginaire est l'eldorado. Ceux de Montréal se plaignent de leur condition d'exil. Le personnage de Normand Malavy, en particulier, quitte Montréal pour Miami afin de se...

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