Reviewed by:
  • Linguistic Variation as Social Practice : The Linguistic Construction of Identity in Belten High
Penelope Eckert . Linguistic Variation as Social Practice : The Linguistic Construction of Identity in Belten High. OxfordBlackwell. 2000. xvi + 240 pages. 32.95 $US (broché).

Linguistic Variation as Social Practice exploite à nouveau les données tirées de la très riche recherche ethnographique effectuée par Eckert il y a une vingtaine d'années (Eckert 1989). Elle entend montrer comment la variation linguistique est manipulée à des fins d'identification socio-symbolique par les sous-groupes d'adolescents stylistiquement polarisés autour des « jocks » (les sportifs) et des « burnouts » (les drogués) dans une école secondaire de la banlieue de Détroit.

Le cadre général de ce travail est l'étude du changement linguistique. Bien que le rôle des adolescents (ou des enfants) dans la diffusion du changement linguistique demeure peu connu, l'observation du parler des jeunes en général et de celui de la génération de leurs parents sert à étayer, en temps « apparent », c'est-à-dire en synchronie, des hypothèses sur le changement linguistique, par opposition au temps « réel », tel qu'il se révèle en diachronie. Même si l'auteure dit se concentrer sur des communautés de pratique qui réunissent des jeunes aux parcours divers, ses analyses ne portent que sur un sous-échantillon de 69 adolescents sur les 200 interviewés. Il s'agit de ceux qui sont nés ou arrivés dans la banlieue avant l'âge de 8 ans, soit l'âge limite présumé pour l'acquisition d'un dialecte local. En procédant ainsi, elle s'assure de retrouver des schèmes communs dans l'usage des variables, condition préalable à l'analyse du changement. De plus, la grande majorité des variables dont la distribution est analysée correspond aux voyelles impliquées dans le mouvement en chaîne caractéristique des villes du nord des USA, à savoir : la montée de (aeh), suivie de l'avancement de (o) et de l'abaissement en avançant de (oh) et ultérieurement, le déplacement vers l'arrière de (Λ) et (e) et l'abaissement de (i).

Selon Eckert, il y a une véritable base sociologique à l'opposition entre les « jocks » et les « burnouts », les premiers provenant de familles de classe moyenne et les derniers étant plutôt d'origine ouvrière. Il s'agit toutefois principalement de styles qui se confrontent, autant au niveau de l'habillement et des habitudes de vie (cigarette, choix d'amis, sociabilité) que des activités scolaires et extérieures. D'ailleurs, aucune corrélation ne ressort entre l'emploi des différentes variantes et le milieu socio-économique d'origine des jeunes.

En bonne labovienne admirative du travail ethnographique du maître à Martha's Vineyard (Labov 1972), Eckert cherche dans la pratique sociale quotidienne des clés d'interprétation pour l'emploi différencié des variantes considérées chez les « jocks » et les « burnouts ». Après avoir soigneusement décrit les conditionnements phonétique, prosodique et lexical de chacune des variables, elle ne conserve qu'un des groupes de facteurs linguistiques dont l'influence s'avère importante (le segment de droite, dans la plupart des cas) lors des analyses qui prendront en compte des facteurs sociaux.

Dans un premier temps, elle évalue l'influence du sexe et de la catégorie sociale (« jock » ou « burnout ») sur l'emploi des variables. L'examen des résultats lui permet de distinguer trois modèles d'usage : le modèle 1, où s'observe une propension des filles des deux sous-groupes à utiliser les variantes les plus avancées de (aeh), (o) et (oh), soit celles qui correspondent au changement en chaîne le plus ancien; le modèle 2, qui corresponda la postériorisation de (Λ) et de (e), de même qu'à la montée extrême de la diphtongue (parfois jusqu'à (u)), une variable ne faisant pas partie des changements en chaîne. Ici, ce sont les « burnouts » qui dominent et le sexe ne s'avère pas influent ; le modèle 3, où ce sont [End Page 106] les garçons des deux catégories qui poussent le plus loin la tendance. C'est le cas de la monophtongaison de (ay) et de la double négation. Une dernière tendance, le renversement de la postériorisation de (Λ) et de (e), est associée au modèle 1.

Voilà des distributions sans surprise qui confirment d'autres études où les femmes mènent pour certains changements, où les hommes mènent pour d'autres (en particulier, ceux qui s'éloignent de la norme standard) et où le changement se diffuse à partir du bas de l'échelle sociale (ici représenté par les « burnouts ») !

C'est dans la poursuite d'autres vecteurs de la différenciation inter-individuelle que l'originalité de la démarche de Eckert, sa maîtrise des outils statistiques et la finesse de ses analyses ressortent et impressionnent.

La direction principale qu'elle explore se situe autour de l'opposition entre la grande ville,Détroit, et les banlieues. Dans un premier temps, elle oppose les jeunes qui fréquentent les parcs locaux à ceux qui sillonnent les rues de Détroit ou qui vont même jusqu'à s'aventurer jusque dans les bars de Windsor, de l'autre côté de la frontière. Ce facteur influence de façon significative la distribution de toutes les variables, mais les tendances observées chez les filles sont moins systématiques que celles qui se perçoivent chez les garçons. Les excursions en ville qualifiées de « cruising » sont d'ailleurs davantage soumises au contrôle parental chez les filles que chez les garçons. Lorsqu'on isole les garçons, on découvre que pour les variables impliquant la postériorisation de (Λ) et de (e) de même que la double négation, l'influence du « cruising » se substitue à celle du groupe social, les aventuriers débordant du groupe des « burnouts ».

Ainsi émerge une opposition entre les variables urbaines (celles du modèle 2, correspondant aux changements les plus récents) et les variables des banlieues, soit les changements en chaîne les plus anciens et le renversement du mouvement arrière de (Λ) et de (e).

Cette opposition sera confirmée par la prise en compte de données recueillies dans trois autres écoles qui sont situées plus ou moins près de Détroit. Ainsi se dévoile une intégration subtile de la variation géographique dans le processus d'identification socio-symbolique des « jocks » et des « burnouts ».

Eckert développe des échelles d'activités para-scolaires et académiques (choix de cours préparatoires à l'université, mentions au bulletin, etc.) dans le but de vérifier la pertinence de telles activités pour comprendre la distribution des variantes. L'influence des activités extra-académiques semble plus systématique que celle des honneurs scolaires, ce qui fait dire à Eckert : « adolescent variation serves the present adolescent social order. In other words, speakers are not developing patterns of variation in anticipation of adulthood, but for participation in the here and now » (p. 170).

Le chapitre 7 est consacré à l'examen des réseaux individuels et à la place plus ou moins centrale de certains individus dans ces réseaux. Les réseaux émergent d'un sociogramme constitué des amis identifiés lors de l'enquête et catégorisés selon qu'ils sont dans la même classe, dans une autre classe, d'une autre école, de Détroit ou qu'ils ont quitté l'école. On tient également compte d'amitiés avec des gens plus vieux. Au sein du réseau des filles comme de celui des garçons, cinq grappes se dégagent. À nouveau, Eckert isole les « jocks » et les « burnouts » parmi ces grappes d'amis, mais elle tient également compte des individus qui sont non polarisés (les « in-between »), majoritaires à l'école quoique plus faiblement représentés dans son échantillon. Elle procède alors à tout un ensemble d'analyses sur le même modèle. En abscisse, on retrouve les variables, et en ordonnée les écarts-types de la moyenne des sous-groupes ou grappes d'amis retenus. On peut ainsi opposer les filles [End Page 107] « jocks » aux garçons « burnouts » et constater l'ampleur des écarts-types enregistrés dans chaque groupe pour chaque variable, ce qui permet de voir le degré d'homogénéité interne des sous-groupes, tout en suivant le parallélisme ou l'éloignement des courbes.

Puis, elle identifie les huit individus qui ont obtenu les résultats les plus élevés pour chaque sous-groupe de variables (les modèles 1, 2 et 3). Il s'avère que les quatre individus les plus haut placés dans l'échelle de huit sont des filles « burnouts ".

C'est dans ce chapitre qu'Eckert atteint des sommets de finesse d'observation et d'analyse. Selon elle, le résultat le plus frappant de cet examen des réseaux est que ce sont les filles les plus flamboyantes parmi les « burnouts » qui dominent dans l'usage des formes les plus avancées pour la majorité des variables, de sorte que pratiquement chacun de leurśenoncés les fait ressortir du lot. Cela ouvre la porte à la conclusion majeure de l'ouvrage, à savoir que lorsque le changement linguistique atteint un certain degré d'implantation dans une ville comme Détroit, il devient disponible pour remplir des fonctions stylistiques comme l'identification aux « jocks » ou aux « burnouts » sur une aire géographique pluśetendue.

Ces dernières années, plusieurs travaux de sociolinguistique se sont penchés sur la variation stylistique. Dans le cas des variables morphologiques par exemple, Blondeau (2001) trouve une tendance à l'expansion des formes simples des pronoms au détriment des constructions avec -autres. S'agirait-il d'un processus de spécialisation des formes simples des pronoms forts à des fins stylistiques ? Encore faut-il savoir de quoi on parle lorsqu'on évoque des considérations stylistiques. Chez Labov, le style renvoie au degré de formalité associé à une activité langagière comme la lecture ou la conversation informelle. Chez Eckert, le style est une présentation personnelle globale dont la langue (provenant d'interviews dans le cas de son travail) fait partie.

Deux questions à propos du lien entre la variation stylistique et le changement linguistique me semblent mériter des éclaircissements : Peut-on rattacher la variation stylistiquèa un stade particulier du changement linguistique (la fin par exemple, comme tendent à le montrer diverses études) ? La variation stylistique se réduit-elle à un recyclage de variations régionales et sociales ? (Une question posée légèrement différemment par Gadet 2000.)

Dans son dernier ouvrage, Eckert fait plus qu'effleurer ces questions : elle ouvre des voies pour poursuivre leur examen. Il y a toutefois lieu de se demander pourquoi elle n'a pas jugé bon d'effectuer une nouvelle enquête dans cette école où elle aurait eu accès à une profondeur temporelle minimale. En fait, le début de l'ouvrage déçoit par l'absence de focus clair. Le titre ressemble d'ailleurs à celui du précédent ouvrage de Eckert sur les mêmes adolescents. On déplore également le caractère poussiéreux de l'analyse de l'articulation du social et du linguistique (un reproche qu'on pourrait sans doute adresseŕa la linguistique variationniste dans son ensemble). Souhaitons que Penelope Eckert produise un troisième ouvrage portant carrément, cette fois, sur le rôle des adolescents dans le changement linguistique.

Pierrette Thibault
Université de Montréal

Références

Blondeau, Hélène. 2001. Corpora comparability and changes in real time within the paradigm of the personal pronouns in Montreal French. Journal of Sociolinguistics 5:453-474.
Eckert, Penelope. 1989. Jocks and burnouts : Social categories and identity in the high school. New York : Teachers College Press. [End Page 108]
Gadet, Françoise. 2000. Vers une sociolinguistique des locuteurs. Sociolinguistica 14:99-103.
Labov, William. 1972. Sociolinguistic patterns. Philadelphie : University of Pennsylvania Press.

Share