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  • Les Dehors de la littérature: du roman populaire à la science-fiction by Marc Angenot
  • Daniel Compère
Les Dehors de la littérature: du roman populaire à la science-fiction. Par Marc Angenot. (Unichamp-Essentiel, 31.) Paris: Honoré Champion, 2013. 260pp.

Un ouvrage de Marc Angenot n’est jamais négligeable, même s’il s’agit d’un volume qui reprend des articles publiés de 1978 à 2010, comme l’auteur le signale dans son Introduction. Ils sont replacés dans une belle démonstration sur la marginalisation d’oeuvres non-canoniques du dix-neuvième siècle. En effet, Angenot examine ce curieux phénomène qui fait que l’écrasante majorité des romans publiés est a priori exclue du champ littéraire. Il place sa démarche sous le signe du Crocheteur, ce personnage qui va chercher du récupérable et du gaspillé dans ce que les autres ont rejeté. Qu’il s’agisse des publications dans la presse, des romans-feuilletons qui naissent en France dans les années 1830, des petites éditions ‘à deux sous’, des romans sentimentaux, de la poésie socialiste, de la science-fiction qui naît au dix-neuvième siècle, toutes ces oeuvres sont systématiquement dévalorisées. Elles reçoivent diverses étiquettes destinées à les marginaliser (‘paralittérature’) ou à les rejeter au nom d’un public-cible lui-même exclu (‘littérature pour concierge’, ‘roman populaire’). La locution allemande de Trivialliteratur révèle bien aussi que, si ces romans trouvent un large lectorat et connaissent le succès, ils n’en sont pas moins ‘vulgaires’ au regard d’un jugement social qui continue à leur refuser toutes marques de ‘distinction’ (pour faire allusion à Bourdieu). L’immense majorité des publications —romans, poésie, théâtre — se trouve ainsi rejetée par des institutions critiques ou culturelles. Le lecteur d’aujourd’hui qui considère parfois Eugène Sue ou Alexandre Dumas comme des auteurs ‘classiques’ peut s’étonner de constater la crainte que semblent éprouver des acteurs du champ littéraire de ces deux derniers siècles devant cette abondance des publications qui entraîne une concurrence entre les maisons d’édition et souligne la difficulté de l’industrie du livre à s’adapter au développement de la presse. D’ailleurs, celle-ci absorbe lentement les pratiques de colportage des siècles précédents, sans les faire disparaître totalement toutefois, en proposant des publications populaires de moins en moins chères, achetées en dehors des circuits de la librairie et souvent lues en commun. Au fil des articles, Angenot cherche à mieux comprendre la diversité de ces logiques d’exclusion et de dévalorisation. Là où certains, comme Sainte-Beuve en 1838, parlent d’une industrialisation de la littérature, ne faut-il pas voir une démocratisation en marche? Le rejet n’est-il pas dû à une crispation sociale? Il est frappant de noter que, sous le Second Empire comme sous la Troisième République, les censeurs se montrent bien plus sensibles aux questions sociales et politiques évoquées [End Page 424] dans ces littératures marginalisées qu’aux audaces grivoises ou érotiques. C’est bien le développement de la démocratie que redoutent ces élites qui voudraient conserver à leur seul usage le privilège de la lecture. En lisant cet ouvrage d’Angenot, on pourra tiquer parfois sur des inexactitudes de détail et regretter que l’analyse ne s’appuie pas sur des recherches récentes, par exemple celles qui se mènent autour de revues comme Le Rocambole ou Belphégor. Mais les analyses sont passionnantes et gardent toute leur force.

Daniel Compère
Université de la Sorbonne Nouvelle-Paris 3
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